Le Monde de Justin
282 pages
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Le Monde de Justin , livre ebook

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Description

Justin voudrait convaincre Valentin, son frère jumeau, que chacun d’eux a vécu la vie de l’autre. Valentin s’en agace et choisit une vie nomade, loin de ce frère malade de son passé.
Justin sombrera dans une mélancolie profonde. Au terme d’un séjour de six mois dans un hôpital spécialisé, il demeure la proie d’un mal qui le dévore : si naître à deux ce n’était pas vivre à deux, c’est naître qu’il n’aurait pas fallu... Revenu en Europe, Valentin retrouve Justin.
L’auteur, qui tente de faire revivre les êtres qu’il a connus et aimés, a choisi, sous le masque de Justin, son alter ego imaginaire, d’inventer leur histoire, la sienne, et celle de Justin, sans pouvoir distinguer ce qui les rapproche de ce qui les différencie, tant se confondent en lui souvenirs et imaginations.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 mai 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414059911
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-05989-8

© Edilivre, 2017
Naître à deux
On ne raconte pas sa vie, on l’invente, mais comme un inventeur, comme un chercheur, on la découvre en l’inventant ; et en la racontant, on la dévoile à soi-même. Faut-il pour y parvenir tenter d’apprendre « l’art d’effacer les faux plis du passé ? »
Ada Vladimir Nabokov
Il était une fois en 1939, au cours des semaines qui précédèrent le 11 mars…
Comment Justin aurait-il pu oublier ces jours euphoriques ? Les mois précédents, conquête pour chacun de son pré carré. Partage équitable de l’espace et de la nourriture. Une conquête précaire et toujours remise en cause au fur et à mesure qu’ils se voyaient grandir et grossir. Une angoisse sourde déjà. Alors, pour s’en divertir, on se touchait, on faisait la bagarre, on se taquinait. On allait forcément sortir de là. Et l’on finit par se convaincre au cours du fameux neuvième mois que quelque part, dehors, on les attendait.
Ils étaient deux et les seuls à le savoir. Peut-être imaginaient-ils déjà les sourires contraints d’un père accablé, croulant d’entrée de jeu sous le nombre, et arborant, la surprise avalée, une contenance un peu raide que les vivats du personnel de la clinique Thiers transformeraient en fierté militante.
En ce temps-là, l’océan maternel n’était pas si immense que les deux petits jumeaux ne pussent, à l’occasion, se croiser entre deux brasses indolentes. Ils échangeaient alors des clins d’yeux complices, et les sourires d’hilarité débonnaire que chacun percevait sur le visage de l’autre nourrissaient chaque jour davantage le désir de Justin de mettre un point final à cette bienheureuse torpeur utérine. Il vit à quelques signes que la même impatience travaillait Valentin, son compagnon poisson. Leurs cerveaux reptiliens, tout mignons, tout neufs, vibraient à l’unisson. La même question s’y formulait malicieusement : lequel des deux serait le premier à contempler la tête de papa à la sortie du second ? Pour faire diversion, Justin proposa à Valentin au cours de la trente-sixième semaine quelques divertissements innocents afin de détourner son attention. Pas fou, Valentin rivalisa d’astuce. Bref ils étaient, l’un et l’autre, prêts pour le sprint final.
En cette compétition première, le hasard-déjà – les départagea. L’océan, un jour, se mit d’abord à tanguer. Puis la douce écorce qui le contenait sembla se raidir et se craqueler. Elle fut même agitée de spasmes de plus en plus fréquents. Leur univers, en expansion jusque-là, se rétrécissait. Ce fut bientôt l’affolement. Si bien que, le plus affolé des deux, Justin fut précipité le premier vers un tunnel dont ils ne soupçonnaient pas l’existence et qui fort opportunément leur offrait une ouverture par où s’écoulait déjà si fort le cher océan qu’il entraîna Justin dans sa course. Le petit jumeau sut bien vite que si l’océan était d’eau, il pouvait bien être fait, lui, d’une matière moins ductile : la plus grosse partie de lui-même, sa tête, bloquait la sortie. Justin comprit sur le champ que si elle parvenait à forcer le passage, celle de Valentin lui en saurait gré pour longtemps. Dans ce naufrage de la naissance, si chevaleresque que fût une telle pensée, la tête de Justin se serait déclarée vaincue, si Aude n’avait pas rassemblé toutes ses forces, la pauvre petite, pour provoquer un mouvement d’expiration favorable à l’expulsion de son enfant. À peine sorti, Justin entendit un rugissement de fureur ponctué d’un juron occitan ( macarèla ) : en se délivrant de lui, sa mère le chassait du paradis.
Ce fut l’instant de la naissance de Justin. Le corps de sa mère le façonnait. Elle souffrait. En passant Justin l’embrassa pour atténuer sa douleur.
Valentin apparut à son tour, sans savoir que sa mère et son frère, dans une collaboration douloureuse, lui avait facilité la tâche. Par la suite, il le rendit bien à Justin : à son tour il serait le premier pour lui faire la trace. Sa mère, il la garda jalousement dans son cœur et n’en parla jamais.
* * *
Georges Chaumette, employé aux écritures à la mairie de Clermont Ferrand, rédigea, le 14 mars 1939, sur le registre des naissances, l’acte suivant :
« Le onze mars mil neuf cent trente-neuf à vingt-trois heures et quinze minutes est né, à la Maternité de Thiers, Justin, Marie Doublet du sexe masculin, premier jumeau de Léonce Georges Doublet, né à Buire (Aisne) le quatorze août mil neuf cent treize, étudiant en médecine, et de Aude, Marie Rouvière, son épouse née à Rennes-les-Bains (Aude) le premier mai mil neuf cent cinq, sans profession, domiciliés à Clermont Ferrand, rue de la Fontaine. Dressé le quatorze mars mil neuf cent trente-neuf, à huit heures, sur déclaration du père qui, lecture faite, a signé avec nous, Georges Chaumette, adjoint officier de l’état civil de Clermont Ferrand par délégation du Maire. » Le même Chaumette eut à parapher un autre document attestant la naissance de Valentin, Jean, second jumeau de Léonce, et d’Aude Marie.
Sous son apparente froideur, l’extrait de naissance 182 de l’année 1939 n’a pas l’ambiguïté d’un oracle. Ce n’est pas non plus une devinette. L’écriture fine et régulière de Georges Chaumette, officier d’état civil, calligraphe républicain, prête la souplesse de ses pleins et de ses déliés pour déclarer au monde, qui n’en fut pas éberlué, tant il était déjà troublé ce mois-là, que Justin Doublet était né. Mais aussitôt fait le constat du jour et de l’heure de la naissance, Georges Chaumette, très respectueux de la formulation que lui impose le code civil, le désigne comme le premier jumeau de ses parents, le premier des deux à voir le jour. Le plus cocasse, c’est que ni la mère de Justin ni son médecin d’époux ne savaient qu’ils étaient deux ! Pas plus que le médecin accoucheur qui, à l’apparition de Valentin, proclama : « Et un deuxième bébé ! » À cette époque, la vie offrait encore ce genre de surprise à l’ignorance des plus instruits… Faute d’appareils propres à introspecter les ventres des mères, on attendait, elles surtout, le jour de leur délivrance pour en savoir plus.
Valentin était celui qu’on n’attendait pas. Le second jumeau. L’inattendu . De nos jours, on le lui cacherait de peur de le traumatiser ! Justin voit encore leur mère raconter l’aventure sous l’œil ravi et complice (cela s’est parfois produit…) de leur père. À chaque fois, son visage exprimait la même fierté juvénile, comme si elle n’en était pas encore revenue. Elle imitait alors le ton de voix triomphal du médecin : « Et encore un bébé ! ». Elle n’en est d’ailleurs jamais revenue, la petite Aude… Parfois se soulevait l’importante question de savoir lequel des deux avait été le premier conçu, l’aîné de la paire. L ’inattendu eut d’emblée ses chauds partisans : deuxième sorti, premier conçu. Puis une mode inverse balaya un temps la première. Qu’importe après tout, puisque, aîné ou pas, Justin demeure à tout jamais le premier jumeau . Et l’on sut qu’il mit toute son ardeur à le devenir avant même d’apercevoir le jour.
Ces spéculations sur l’aînesse du jumeau lui ont toujours paru d’autant plus vaines que, si les deux frères étaient réellement issus d’un œuf fécondé unique – et ils l’étaient – comment déterminer sur quelle partie de ce zygoto-là, un joyeux spermatozoïde – the winner – avait pu imprimer (tatouage ? morsure ? baiser ?) la marque de l’aînesse, dussent les spécialistes en homo ou bizygoterie se hisser sur leurs ergots à l’idée qu’on puisse émettre une hypothèse aussi farfelue. Qu’importe d’ailleurs à Justin une aînesse authentifiée ou non par la science. D’un jumeau l’autre, le droit d’aînesse n’existe pas. Entre eux, point de ruse à la Jacob, pour emporter à la barbe rousse d’Esaü le plat de lentilles…
En dépit des élucubrations homozygotiques qui assignent la charge d’aîné tantôt au premier jumeau, tantôt au second, Justin avait sa conviction. En bon jumeau, Valentin devait avoir la sienne. La même. Même si l’on s’avisa, le 14 mars 1939, (trop estourbi, leur père s’était donné trois jours avant d’aller signer l’arrêt de paternité), par acte d’état civil rédigé par l’officier Chaumette qui n’en démord pas, que Justin fut bien le premier jumeau d’Aude Marie Rouvière et de Léonce Georges Doublet !
Les paroles s’envolent, les écrits restent, dit-on. Pas de quoi pavoiser pourtant, car c’est l’irruption de l’ inattendu qui souleva les ovations les plus nourries. En son déjà for intérieur, il dut les accueillir avec circonspection ! Ce statut d’ inattendu , en tout cas l’a marqué pour la vie. Dès l’enfance, il fut déterminé par le devoir d’être le premier en tout. Il n’avait pas l’étoffe de l’éternel second. Ni le goût de l’être.
Travaillé par la hantise d’avoir à jouer à vie les poulidors de la gémellité, il s’épuisa à tout propos à être le premier. Il en faisait plus qu’on ne lui demandait pour prouver qu’il l’était bel et bien. Quant à Justin, s’il lui est arrivé par la suite – après sa naissance – de paraître, ou de se croire le premier des deux, ce fut par hasard, par distraction ou par méconnaissance de lui-même. Réflexion amusante, mais significative, le jour où Justin lui présenta son amie, Valentin déclara : « Je suis venu trop tard ! » Beau joueur, il se reconnaissait en retard d’un hasard heureux, et sa galanterie désignait aux yeux et au cœur de Justin l’objet d’un désir qu’il n’avait pas su reconnaître par lui-même. Mais, à destin inversé, s’il était né le premier, aurait-il plus tard connu, avant Justin, cette jolie fille ? En tout cas une facétie du hasard fit qu’il la croisa le premier, sans le savoir. Dans un établissement scolaire où il aurait fallu que les filles fussent bien effrontées pour parvenir

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