Le Mal des mots
90 pages
Français

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Description

Librement inspiré de l'univers kafkaïen, l'oppressant roman de Benoît Louis met en scène le destin tragique d'un individu broyé par un système absurde. Monsieur K. reçoit un courrier officiel du Ministère des Affaires Ordinaires, dont il ne parvient pas à déchiffrer le jargon vide de sens. L'esprit rationnel de ce géomètre de profession est plongé dans la plus grande confusion. Il se sait innocent de tout crime et cherche par tous les moyens à comprendre les motifs des obscures accusations qui pèsent contre lui. Mais le langage du pouvoir autoritaire devient une arme contre laquelle il lui est impossible de lutter. Le piège se referme progressivement et le fait sombrer dans une folie paranoïaque en le coupant du monde réel.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 septembre 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414249831
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-24981-7

© Edilivre, 2018
Le Mal des mots
 
Comme tous les matins avant d’aller travailler, Monsieur K. prenait le temps de regarder son courrier. Ce matin là, il reçut une lettre du Ministère des Affaires Ordinaires. Une lecture rapide ne lui permit pas de comprendre le sens du texte que ses yeux venaient de parcourir. Aussi, se replongea t’il immédiatement dans une deuxième lecture qui le laissa absolument perplexe. Que devait-il comprendre de ce qu’il venait de lire pour la deuxième fois ? Les phrases qui étaient écrites avec les mots de la langue qu’il parlait depuis toujours ne lui disaient rien. Du moins rien qui ne lui soit intelligible immédiatement. Chacun des mots lui évoquait un sens précis mais l’assemblage que l’auteur de ces lignes en avait fait pour composer ces phrases donnait quelque chose d’incompréhensible.
Il avait déjà entendu parler d’un trouble neurologique qui ne permettait plus aux personnes qui en étaient atteintes de comprendre ce qu’elles lisaient. Il eut soudain très peur. Aussi se précipita-t-il vers le premier livre qu’il trouva à portée de sa main : « Angles, Lignes et Mesures ». Monsieur K. était géomètre au Ministère des Grandes Réalisations, ce qui explique en partie qu’un tel livre ait pu se trouver là. Fébrilement il l’ouvrit au hasard, anxieux de constater que le trouble put persister. La première phrase qu’il attrapa sous son regard lui présenta quelque chose de parfaitement et d’immédiatement compréhensible, du moins, faut-il le préciser, pour lui-même. Car ce qu’il venait de lire eut pu paraître totalement incompréhensible pour une toute autre personne qui ne fut pas, comme lui, experte sur les questions dont traitait ce manuel. En poursuivant sa lecture le texte restait tout à fait intelligible.
Rassuré par cette expérience, il refit une nouvelle lecture de la lettre. Les mots qui défilaient de nouveau sous ses yeux n’ouvrirent devant eux aucun sens logique qui lui aurait permis d’en comprendre quelque chose. Il imagina un instant que cette correspondance puisse être le résultat d’une nouvelle méthode de communication que la Direction Centrale avait dû présenter dans une circulaire.
Son esprit cartésien l’incita à poser deux hypothèses. Les tournures générales des phrases et l’emploi de quelques mots caractéristiques pouvaient lui laisser penser qu’il s’agissait soit d’une invitation, soit d’une convocation. Il s’employa alors à distinguer les deux possibilités en recherchant les indices qui puissent l’orienter. Il pensa qu’une invitation comportait toujours une justification. On est invité pour une inauguration, une promotion, un changement de service, une mise à la retraite… Mais rien de tout cela n’apparaissait dans le texte. Et il ne connaissait personne à ce Ministère qui puisse lui faire l’honneur de le convier à une réception. A aucun moment de sa carrière au Ministère des Grandes Réalisations il avait été en relation avec le Ministère des Affaires Courantes. Chacun d’eux ayant les personnels compétents pour mener à bien les tâches relevant de leurs attributions, il n’y avait véritablement aucune raison que les Ministères communiquent entre eux. Par conséquent, leurs employés ne communiquaient pas entre eux.
Il replongea dans une quatrième lecture. Lentement il parcourut d’un regard attentif chacun des mots qui composaient le texte. Etait-ce une convocation ? L’expression «  en conséquence  » qui reliait la première à la deuxième phrase pouvait le laisser penser mais aucun autre caractère sur la feuille ne lui permettait de confirmer cette hypothèse. Il se trouvait donc toujours autant embarrassé, ne sachant quoi penser de ce qu’il avait sous les yeux. Plus il relisait et plus le doute s’installait dans son esprit. Chaque nouvelle lecture rendait plus confuse encore la précédente car loin de clarifier son incompréhension initiale, celle-ci se trouvait davantage encore obscurcie par une désagréable impression qui montait en lui.
L’heure tournait. Il choisit donc de poursuivre sa réflexion sur le chemin qui le mènerait au Ministère. Dans le tramway qu’il empruntait tous les jours, il ne put comme à l’accoutumée passer en revue le programme de sa journée. Très concentré sur le sujet qui mobilisait son esprit il en oublia presque de descendre à sa station. Mais l’habitude qui conditionnait ses comportements lui avait fait lever la tête précisément au moment où le tramway abordait son arrêt. Prestement, il gagna la porte de sortie en se faufilant entre les voyageurs qui occupaient l’allée centrale. Trop préoccupé par toutes ses pensées, il passa sans s’arrêter devant le kiosque planté au beau milieu de la place qu’il traversait pour atteindre le grand escalier du Ministère. D’ordinaire il aurait acheté son «  Quotidien de l’information  » pour pouvoir le lire à sa pause déjeuner. Il gravit les marches sans prêter attention aux employés qui se bousculaient autour de lui pour emprunter le même chemin. Il traversa le grand hall, la tête légèrement inclinée, comme alourdie par le poids de toutes les pensées qui se bousculaient dans sa tête. Aucun nouvel élément n’était venu, au cours de son trajet, alimenter sa réflexion. Fort au contraire, celle-ci avait transformé son incompréhension en une lancinante inquiétude qui prenait chaque instant un peu plus de place dans son esprit.
Il savait d’expérience qu’aucun courrier ne sortait par erreur des bureaux de l’Administration. Chacun avait sa raison d’être. Mais il avait eu beau le lire et le relire, il n’était pas parvenu à en comprendre le sens. La mobilisation cérébrale dont il avait fait preuve depuis la réception de cette lettre lui avait ôté toute la tranquillité d’esprit qui lui permettait chaque jour de faire face aux tâches délicates et pointues qu’il devait gérer en sa qualité de chef de bureau en second. L’essentiel de son activité consistait à vérifier des chiffres sur des plans en consultant les normes officielles.
Toutes ses journées se déroulaient ainsi lorsqu’il était au Ministère. Il utilisait donc peu les mots et toujours les mêmes qu’il connaissait parfaitement pour les avoir à lire dans les circulaires, notes et autres courriers qu’il recevait chaque jour. Mais ceux qui composaient la lettre qu’il avait dans la poche, ne lui disaient vraiment rien. En sa qualité de chef de bureau en second se devait-il d’avoir les compétences pour les comprendre ? Et dans ce cas, puisqu’il n’y parvenait pas, ne pouvait-il pas se penser dans une situation embarrassante au regard de celui qui lui supposait cette qualité qu’hélas il se devait reconnaître ne pas avoir ? N’y avait-il pas eu dans les circuits complexes qui relient entre eux les bureaux du Ministère, une erreur dans la mise en forme de l’information qu’il avait reçue ? Le courrier avait-il été bien relu avant de passer dans le service des expéditions ? Plus il se questionnait et plus il avait de questions.
Dès son arrivée dans le bureau, il alla consulter fébrilement le Grand Registre où l’objet de toutes les circulaires diffusées dans les services était méticuleusement reporté dans une écriture appliquée qui s’enseignait dans les écoles de l’Administration. Il voulait s’assurer qu’aucune nouvelle disposition concernant la communication aux usagers ne lui avait échappée.
Il vérifia une à une chacune des circulaires classées chronologiquement. Mais il eut beau remonter plusieurs mois en arrière il ne trouva rien qui puisse le renseigner sur son problème. Un doute l’envahit soudainement. Avait-il bien gardé toutes les circulaires reçues ? N’avait-il pas par erreur jeté à la corbeille celle qui précisément lui faisait aujourd’hui défaut ? Comment pouvait-il en être sûr ? Il avait bien la possibilité de contacter le service de diffusion des circulaires, mais ne risquait-il pas de passer pour un employé négligeant en demandant une information qu’il était sensé avoir eu ? Devait-il attendre que son commis arrive pour lui poser la question ? Quoi faire ? Quelle décision prendre ? Quelle aide demander et vers qui se tourner ? Devait-il attendre ? Devait-il se lancer dans une action ? Et laquelle ?
Il se précipita sur son commis dès qu’il fit son entrée dans la pièce les bras chargés des plans qui devaient faire l’objet de leur attention de la matinée. Sans même lui laisser le temps de les déposer sur la table il l’apostropha de manière tout à fait inhabituelle. Le commis parut désolé de lui dire que l’enregistrement et le classement des circulaires ne rentraient pas dans ses attributions et que par conséquent il n’avait aucune idée des sujets et informations qu’elles diffusaient. N’y avait-il pas dans cette réponse comme une pointe de surprise ? Etait-ce dans l’intonation ? Le choix des mots ? La tournure de la phrase ? L’attitude ? Il ne pouvait pas le dire exactement mais il était certain d’avoir perçu quelque chose qu’il n’avait encore jamais observé chez lui.
D’ordinaire Monsieur K. donnait à son commis des consignes sur un ton qu’il prenait soin d’énoncer posément. Mais pour la première fois les mots s’étaient imposés à lui dans une précipitation qu’il n’avait pas su contrôler. Quel effet cela avait-il produit ? Sa ponctualité, sa rigueur dans l’exécution de chacun de ses travaux, sa tenue toujours irréprochable, son humeur continuellement égale, son incontestable connaissance encyclopédique dans le domaine des mesures : toutes ces bonnes considérations à son égard n’allaient-elles pas disparaître de l’esprit de son employé ?
Cette douloureuse question éclipsait même la préoccupation qui l’avait amené à réagir ainsi. Ne fallait-il pas d’urgence réparer cette inquiétante perspective a

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