Le fauteuil de tapisserie
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Le fauteuil de tapisserie , livre ebook

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Description

Tandis que Jack DESLY flâne du côté de l’Hôtel des Ventes, il remarque une jeune femme éplorée en tenue de deuil suivant un commissaire-priseur traînant une charrette emplie de meubles fatigués. « Une saisie, songea-t-il. On va bazarder tout cela pour une bouchée de pain... Pauvre petite ! ».


Son instinct l’attira dans la salle de l’établissement où, constatant le peu d’engouement et de générosité des acheteurs, il propose une honnête somme pour un vieux fauteuil Voltaire à la garniture de tapisserie rapiécée.


À sa grande surprise, un homme à la mine patibulaire double son offre.


Amusé, Jack DESLY décide de faire monter les enchères... jusqu’à un prix incroyablement haut à partir duquel il baisse les bras, fier d’avoir aidé une gamine dans le besoin.


Mais, très vite, la curiosité l’emporte sur la satisfaction et Jack DESLY se demande quelle raison peut pousser un inconnu à mettre autant d’argent et de volonté pour posséder un siège sans aucune valeur... Et, si la curiosité est un vilain défaut, chez Jack DESLY, elle est surtout signe d’aventures, de dangers et... d’enrichissement personnel.

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9791070039403
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0007€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

- 22 -

Le fauteuil de tapisserie
Récit policier

Claude ASCAIN
CHAPITRE PREMIER
LA VENTE AUX ENCHÈRES
 
C'était par pur hasard que Jack Desly venait de franchir la voûte de l' Hôtel des Ventes, rue Drouot. Non pas qu'il n'y vînt jamais. Au contraire, il savait y trouver des occasions, parfois remarquables, en vieux meubles ou livres anciens, dont il était fort amateur.
Or, ce jour-là, flânant à proximité rue Rossini, il se laissa aller jusqu'à la grande porte. On ne vendait pas grand-chose. Il fit un tour rapide dans les salles, et s'apprêta à ressortir, quand, en traversant une cour, il s'arrêta un instant devant un navrant spectacle.
Un commissionnaire venait d'arriver, traînant une voiture à bras dans laquelle étaient entassés, pêle-mêle, une table qui devait être bancale, deux chaises de paille, un vieux buffet de cuisine, et un fauteuil Voltaire à la garniture de tapisserie considérablement rapiécée.
Une jeune fille vêtue de noir accompagnait l'homme. On voyait à ses yeux rougis, qu'elle avait dû beaucoup pleurer.
Jack, en un instant, saisit la portée de ce petit drame, hélas, banal, mais si poignant, tout de même, dans sa fréquence.
— Une saisie, songea-t-il. On va bazarder tout cela pour une bouchée de pain... Pauvre petite !
Un instinct le poussa à suivre le petit groupe dans une salle séparée et d'aspect sinistre où avaient lieu ces ventes sans intérêt pour le grand public. Quelques personnes regardèrent les pauvres meubles, avec la dure indifférence qu'on éprouve à Paris pour le malheur quotidien, quand on est soi-même en proie à des soucis.
Il y avait peut-être cinq curieux en tout quand le commissaire-priseur commença sa litanie nasillarde. Visiblement, la vente ne rapporterait que quelques francs incapables de couvrir la dette de la jeune fille en deuil, au visage si pâle.
De fait, les premiers objets furent adjugés à des prix si dérisoires que le commissaire-priseur, tout émoussé qu'il fût, lança un regard de pitié à la malheureuse.
Il désigna le vieux fauteuil.
— Allons, Messieurs, un bon mouvement... Voici un fauteuil Voltaire dont les ressorts sont encore solides, les pieds vraiment d'aplomb... Il suffira de le faire recouvrir pour obtenir un meuble excellent et durable... Je mets l'enchère à dix francs... Il en vaut davantage !...
Jack Desly, malgré sa profession de gentleman-cambrioleur, n'était pas insensible à la détresse humaine. Il lança :
— Vingt-cinq francs !...
— À la bonne heure !... Nous disons vingt-cinq francs !... Personne ne dit davantage ?...
Une voix sèche retentit au fond de la salle :
— Cinquante francs !...
Surpris, Jack se retourna. Il y avait donc quelqu'un d'autre qui éprouvait de la commisération ? L'homme qui venait de surenchérir était d'une taille un peu au-dessus de la moyenne, vêtu d'un complet fatigué, coiffé d'un chapeau qui avait dû subir plus d'une intempérie et armé d'un gros parapluie de coton noir, malgré le soleil qui brillait dehors, en cette belle tournée de fin d'avril.
Il ne portait pourtant pas la bonté sur ses traits. Un visage jaune et sec, anguleux, les yeux abrités sous des lunettes teintées, la voix désagréable. Jack remarqua que la jeune fille, dont il s'était rapproché, avait regardé l'inconnu en même temps que lui et fait un léger mouvement de surprise. Le commissaire-priseur exhortait à une nouvelle hausse :
— Allons, Messieurs, encore un petit effort !... Cinquante francs, c'est donné !... Rien que la charpente du fauteuil en vaut davantage...
— Soixante-quinze francs !... émit Jack.
— Cent francs !... riposta immédiatement l'homme au parapluie.
Jack le vit s'avancer jusqu'au fauteuil et l'examiner de tous côtés. L'inconnu hocha la tête en grommelant quelque chose de confus. Le meuble, cette fois, était bien payé, car il ne valait, certes, pas davantage, dans l'état où il se trouvait.
Mais Jack eut un sourire railleur. La pensée lui était venue de pousser encore le prix. Il pouvait se permettre cette fantaisie. Et ce serait une façon délicate d'aider la jeune fille dont le regard semblait vague et détaché des réalités qui l'entouraient.
— Cent cinquante !... proposa-t-il.
L'homme au parapluie se tourna vers lui avec un sursaut comme s'il avait été piqué par une guêpe. Il enveloppa Jack d'un regard rapide sous ses verres bleutés, et gronda :
— Trois cents francs !...
Cette fois, Desly haussa les épaules. La plaisanterie avait assez duré. Le fauteuil rapportait dix fois plus que tous les autres meubles ensemble. Il n'était pas mécontent d'avoir obligé son adversaire à donner pareille somme. Au fond, c'était tout ce qu'il avait désiré.
— Trois cents ! glapit le commissaire-priseur... Une fois... Deux fois !... Trois fois !... Adjugé à trois cents...
Le marteau retomba. L'acquéreur, qui avait tiré un vaste mouchoir de sa poche, s'épongea furtivement le front et s'en fut payer.
— J'emporte le fauteuil avec moi... spécifia-t-il.
Il sortit, revint avec un homme de peine et donna ses ordres. La vente était terminée.
Jack vit la jeune fille qui échangeait quelques mots avec le commissaire-priseur. Il quitta lentement la salle. Sur le trottoir, il alluma une cigarette. À peu de distance, l'homme au parapluie s'installait à côté d'un chauffeur de taxi, après avoir fait placer le fauteuil à l'intérieur de la voiture.
Une voix hésitante se fit entendre à côté de Desly.
— Je vous remercie, Monsieur !...
Il reconnut la jeune fille en noir. Elle était vêtue sans luxe, mais fort correctement. Jack salua.
— Merci de quoi, Mademoiselle ? fit-il.
Elle rougit et balbutia :
— De... De ce que vous avez fait, à l'instant... La surenchère... J'ai eu l'impression que... que vous vouliez... Je... excusez-moi, mais je ne crois pas que vous aviez vraiment l'intention d'acheter ce fauteuil !
Elle paraissait fort embarrassée. Jack la mit à l'aise avec un de ses sourires si sympathiques.
— J'avoue, dit-il gaiement, que j'ai voulu voir jusqu'où irait ce bonhomme... Il m'a amusé... C'est qu'il paraissait y tenir, à ce brave vieux fauteuil !... Entre nous, il l'a payé cher...
— Oh, oui, il y tient... murmura la jeune fille.
Jack la regarda avec un peu de surprise.
— Comment pouviez-vous le savoir ?
Ils étaient là, sur le bord du trottoir, à converser. Le taxi avait depuis longtemps disparu. Sans attendre la réponse, Jack ajouta :
— Je vous retiens, peut-être, Mademoiselle ?
— Non. Je n'ai rien à faire... Je... Mais c'est moi qui vous ennuie, Monsieur... dit-elle avec quelque chose de pathétique dans le regard.
Ils cheminèrent de conserve. Jack apprit l'histoire de Madeleine Despaux. Orpheline, habitant avec sa grand-mère, elle avait travaillé comme vendeuse dans un grand magasin.
Congédiement pour réduction de personnel, les petites économies mangées en peu de semaines, la grand-mère à l'hôpital... Puis le fatal dénouement, le cimetière pour la pauvre vieille femme, et la saisie du mobilier afin de couvrir le règlement de quelques dettes.
— Mais, grâce à vous, dit Madeleine, tout sera payé !
— C'est dommage, remarqua Jack, que cet individu ne soit pas arrivé plus tôt, car j'aurais peut-être pu lui infliger tout le mobilier dans les mêmes conditions !
— Oh, il était là depuis le début... assura la jeune fille. Mais il n'aurait rien pris d'autre que le fauteuil...
C'était la seconde fois que Madeleine Despaux affirmait cette hypothèse. Elle poursuivit :
— Je l'ai bien reconnu. Il était venu deux fois, chez ma grand-mère, la dernière visite date d'il y a quinze jours... J'étais seule. Il voulait déjà acheter ce meuble...
— Ah bah !... Il était venu exprès pour cela ?
— Je ne saurais vous le dire... Ma grand-mère était déjà à l'hôpital et j'ignorais ce qui s'était passé à leur première entrevue. Je courais Paris à la recherche d'un emploi.
— Il vous en offrait un bon prix ?
— Une centaine de francs... Mais je ne pouvais répondre affirmativement, tout ce qu'il y avait dans notre logement ne m'appartenait pas. Et puis je savais que ma grand-mère aimait ce vieux fauteuil, et j'espérais tant qu'elle s'y assoirait encore...
Elle étouffa un petit sanglot et continua de marcher, regardant obstinément le trottoir.
Après un court instant, elle murmura :
— Eh bien, il l'a eu tout de même... Et dans des conditions que je n'aurais jamais espérées. Encore une fois merci, Monsieur...
Ils étaient arrivés dans une petite rue du quartier des Batignolles. Jack aurait voulu poser encore d'autres questions, mais il les retint, une bonne poignée de main et ils se quittèrent.
— Dès demain, songea Desly, je lui enverrai Gladys pour lui commander des travaux de broderie... Ou n'importe quoi... Elle est trop fière pour accepter un prêt... Courageuse petite...
Gladys Smith, son amie et collaboratrice, ne demanderait pas mieux, il en était sûr. Elle était toujours prête à l'aider, quelle que fût la nature de la besogne qu'il proposât.
Jack consulta sa montre. Il y avait une heure et demie qu'il avait quitté l' Hôtel des Ventes ...

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