Le Cafémaison
190 pages
Français

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Description

Dans le Cafémaison, j'avais une position incomparable : assis sur le tabouret de la caisse on ne faisait pas attention à mon jeune âge. Les réparties fusaient par gerbes, s'entremêlaient aux rires épais pour s'en aller gicler sur les lambris piquetés de chiures de mouches avant de retomber, éventées, sur le dépoli de faux marbre du comptoir. Pendant que mon père brillait de mille feux, dans toute la gloire de son rôle, je faisais mon miel de tout ce qui se passait autour de moi.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 décembre 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332854018
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-85399-8

© Edilivre, 2014
Dédicace

Pour Nathalie…
1 Avant-propos
Écrire ! Décision irrévocable, plongeante,
Au gouffre d’une jeunesse incandescente,
Pour accéder, fruste dilemme,
À l’empathie d’une mémoire débusquée,
Dans un frétillement d’algues, d’étoffes chatoyantes,
Conquises, aux heures d’ivresses et de tambours.
Je m’appelle Marcel Derien et je viens d’avoir cinquante ans ; depuis deux ans, ma vie a basculé dans une solitude douloureuse, un grand mépris, une perte du goût des autres. J’ai entamé certaines modifications radicales dans mon existence, réactivé d’anciennes voies d’introspection pour analyser ce chaos, survivre. À la fin de l’été, de manière tout à fait fortuite, soudaine, une évidence s’est imposée à moi : c’était sans doute le fruit d’un long cheminement intérieur, comme une source souterraine qui soudain jaillit hors du sol ; il fallait que je me penche enfin sur mon passé, que j’accepte d’ouvrir certains dossiers sensibles ; mettre en mots un peu de ce que j’avais vécu, pour essayer de comprendre et si possible passer à autre chose. J’avais le sentiment qu’un peuple de fantômes, soudain, s’était levé en moi, me faisant découvrir avec surprise que ma solitude était habitée.
Je me mis très vite au travail, début septembre ; je prenais des notes la journée à mon bureau, recopiais en mettant en forme le soir sur l’ordinateur. Je fus étonné de la façon claire, précise, avec laquelle la source s’ouvrit en moi. Je n’eus plus qu’à remonter le cours, suivre les méandres, laisser faire. Petit à petit, le puzzle de ma jeunesse s’est reconstitué par petits chapitres successifs qui se complétaient naturellement. Je les ai peu retouchés, laissés dans l’ordre de leur apparition. Parallèlement à ce travail, des vers, des bouts de poèmes s’en venaient éclore à ma surface, comme des petites bulles délicates surgissant de la vase ; je décidai de les incorporer au récit, en contrepoint, confiant dans leur pouvoir de dissonance, propice à atténuer la rugosité du réel. Cette illustration décalée de mon propos, c’est certes un petit rôle que je donne à la poésie, mais il me tenait à cœur.
Je m’aperçus très vite à quel point ces souvenirs étaient précis, vivaient en moi et, pour certains, me parasitaient ; c’était donc le moment de regarder ma vie en face, payer mes dettes, régler mes comptes. Après dix semaines d’un tel régime, je venais à toucher au bord extrême de ce récit ; je décidai de m’arrêter là, dans la promesse radieuse de cet envol qui paraissait ouvrir de grandes perspectives dans ma jeunesse… hélas ! de ce qui s’est passé ensuite, je dirai simplement que cela ressemble à la vie ordinaire que beaucoup d’entre nous mènent, un lent détricotage du maillage social, professionnel et domestique qui s’effiloche lentement, mais sûrement, avant de basculer vers le gouffre de la paralysie dans un joyeux bordel consumériste et anxiogène… jusqu’à l’explosion en plein vol, qui redistribue les cartes de ce petit jeu, où la raison vacille en proie au doute, accablée de solitude. Les amis… une volée de moineaux qu’effarouche un cabot stupide… mais voilà que je m’égare, prêt à replonger dans cette vaste mer du ressentiment, oléagineuse, à la couleur bleu pétrole.
Parler de soi, c’est risquer d’achopper sur l’écueil de sa propre vanité… Ma vie vaut-elle à ce point que l’on s’y arrête, la scrute ? C’est une vie ordinaire comme les autres… ou presque ! Face à la débâcle d’un monde en pleine mutation, avec son cortège d’horreurs télévisées, le narcissisme exacerbé des réseaux sociaux, est-ce bien raisonnable ? Je ne mésestime pas la vacuité de cette tâche et m’y emploie forcé en quelque sorte par l’écriture, sa convocation intempestive. Un impératif intérieur qui m’exhorte à ce voyage à rebours, où je me suis efforcé de tenir le cap, envers et contre tout. Ce récit est maintenant achevé. Avant de dérouler le fil de mon histoire, je repense aux vers de Baudelaire :
Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversée çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
2 Les vacances
Le premier souvenir qui me vient naturellement de mon enfance, c’est la pêche du maquereau en Bretagne : c’est une belle après-midi ensoleillée, je suis avec les taties et Noémie, j’ai six ans. Pour la première fois, nous passons une semaine à la mer. Les taties ont obtenu l’appartement grâce à la compagnie dans laquelle elles travaillent. Noémie fait des pâtés dans le sable avec une petite copine, son bob sur la tête, le torse nu enduit d’une crème solaire blanchâtre et luisante ; les taties sont restées habillées sous le parasol et nous observent ou font des mots fléchés. Je suis dans l’eau, près du bord, à barboter, rêvasser, quand mon regard est attiré par une forme lumineuse, argentée et mouvante. Je plonge les mains et réussis à saisir un beau maquereau frétillant et visqueux, que je ramène comme je peux, tant il se débat, à mes taties, complètement excitées par cette pêche miraculeuse ! Elles sont ébahies et me félicitent chaudement, tout en racontant mon exploit à la petite famille voisine, intriguée par nos effusions bruyantes. Je suis le héros du jour ! Cette flaque de lumière vibrante, ce « don » de la nature, m’apparut par la suite comme la première manifestation tangible de quelque chose qui avait à voir avec la beauté, l’harmonie du monde. La beauté pouvait donc se toucher du doigt, se refléter dans l’œil, puis se propager dans tout mon être et me transporter de bonheur ; elle existait bien, c’était rassurant ! Je fus aussi malade durant ce séjour, un refroidissement, avec nausée, douleurs au ventre carabinées. Le docteur me prescrivit des comprimés à prendre plusieurs fois par jour. Tatie « Calinou » me les écrasait avant de les mélanger à de la confiture. J’en tirai une aversion prolongée pour la confiture…
Je me souviens aussi des départs en vacances pour Fulmine, avec mes parents : la voiture (toujours une Peugeot ; à cette époque, c’était un break 504, vert bouteille), remplie jusqu’à la gueule, avec une grosse remorque accrochée derrière. On partait dans la soirée, une fois avalé un mince repas et fermé le Cafémaison. Mon père roulait toute la nuit. On prenait la nationale 10 pour ne pas payer l’autoroute. Venait ensuite une succession de départementales sombres, étroites et sinueuses, qui terminaient le voyage. Le trajet était long et mon père détestait s’arrêter. J’étais toujours angoissé d’avoir une envie de pisser, car je savais qu’il faudrait lui demander plusieurs fois, avant qu’il enclenche le clignotant et me fasse mettre mes chaussures en quatrième vitesse. Avec l’âge, ça ne s’est guère arrangé, j’ai toujours eu des gros besoins, des envies pressantes ; mon médecin dit que c’est un signe de bonne santé, mais j’en doute. J’ai passé des examens, craignant pour ma prostate et qui n’ont rien donné ; j’en ai conclu au vice de fabrication, une contrainte qui me complique l’existence, m’occasionne des situations délicates en milieu hostile, à l’étranger ou dans une ville inconnue. Dans ma ville, je suis organisé, la mémoire vigilante, toujours en repérage du petit coin propice au cas où… un maillage fiable de cafés avec w.-c. sans monnayeur et discrètement accessibles, de fast-food, de recoins discrets, établi au fil des années, me permet une relative tranquillité.
Les premières heures de route étaient souvent ponctuées du miaulement plaintif de notre chat, enfermé dans sa panière en osier à nos pieds. Il mangeait toujours à moitié la nourriture mélangée avec son tranquillisant, qu’il décelait invariablement, c’était pourtant pour son bien ! Une fois le chat calmé, on s’endormait rapidement, avec Noémie, sous notre couverture, mais maman, assise à l’avant, dormait peu, s’efforçait de tenir le plus longtemps possible pour épauler mon père, veiller à ce qu’il ne pique pas du nez. Il roulait en silence, concentré, peu de mots s’échangeaient, l’autoradio restait muet, c’était une affaire sérieuse et dangereuse aussi. On arrivait au petit matin à Fulmine ; les grands-parents étaient déjà levés, les contrevents entrouverts, la cheminée réactivée. Il y avait de la fébrilité chez la mamie, du soulagement, après tout le mauvais sang des dernières heures. La cuisinière à charbon était elle aussi allumée, une cafetière pleine posée sur la plaque en fonte était au chaud, nous attendant. Il y avait toujours un bon bifteck pour mon père, particulièrement affamé à l’arrivée, libéré de cet harassant trajet, cette épreuve inévitable. Le grand-père s’installait sur sa chaise longue près de la cheminée pour suivre notre conversation animée. Avec Noémie, on se chamaillait pour prendre possession de la chaise basse en paille tressée à ses côtés et surveiller les tranches de pain qui grillaient près des braises, piquées sur une fourchette.
Une année, on descendit un énorme cochon de cent vingt kilos, engraissé patiemment avec tous les restes du restaurant, pour le tuer et le cuisiner avec les grands-parents. Faire monter cette bête dans la remorque fut une vraie prouesse, accomplie avec une brochette de clients costauds, armés de pelles et de balais, le cochon entravé par une énorme corde en guise de laisse ; la traversée du Cafémaison par cet équipage hétéroclite fut un grand moment, déluge de cris, d’ordres brefs, jurons, rires gras et grouinements aigus, un cataclysme sonore étourdissant qui amusa les clients et les voisins venus en observation. Le tuer fut aussi très problématique : l’animal avait été mal égorgé et gigotait encore recouvert de pail

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