Le bouclier de Sainte Odile
156 pages
Français

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Le bouclier de Sainte Odile , livre ebook

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Description

Yves-Olivier Muhlheim Le bouclier de sainte Odile Roman Gagnant du Prix 2010 Éditions Les Nouveaux Auteurs 16, rue d’Orchampt 75018 Paris www.lesnouveauxauteurs.com ÉDITIONS PRISMA 13, rue Henri-Barbusse 92624 Gennevilliers Cedex www.editions-prisma.com Copyright © 2013 Editions Les Nouveaux Auteurs — Prisma Média Tous droits réservés ISBN : 978-2-81950-028-5 Chapitre I Alsace, 20 janvier 1995 La petite voiture était bringuebalée, secouée en tous sens par un vent violent et des trombes d’eau glacée. Elle s’accrochait de son mieux à la route qui s’enfonçait dans la masse noire et hurlante de la forêt. Gravir cette montagne était son unique but, mais la tempête s’y opposait avec rage et puissance. Sa conductrice sentait la peur grandir dans son ventre, cette sourde mais implacable angoisse qui lui pressait les entrailles et ressortait par la bouche et les yeux en gémissements et larmes. Jamais encore en trente années d’une vie affligeante de banalité, Brigitte n’avait imaginé que les éléments pussent se déchaîner avec autant de rage dans un pays d’ordinaire si paisible. Les arbres fouettaient le ciel lacéré, défiaient la frêle mécanique en lui refusant le passage. La nuit se déchirait sous les éclairs et les branches surgissaient comme autant de hachoirs.

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Informations

Publié par
Date de parution 25 mai 2010
Nombre de lectures 27
EAN13 9782819500285
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Yves-Olivier Muhlheim
Le bouclier de sainte Odile
Roman
Gagnant du Prix 2010



Éditions Les Nouveaux Auteurs 16, rue d’Orchampt 75018 Paris www.lesnouveauxauteurs.com
ÉDITIONS PRISMA
13, rue Henri-Barbusse 92624 Gennevilliers Cedex www.editions-prisma.com
Copyright © 2013 Editions Les Nouveaux Auteurs — Prisma Média Tous droits réservés ISBN : 978-2-81950-028-5
Chapitre I

Alsace, 20 janvier 1995
La petite voiture était bringuebalée, secouée en tous sens par un vent violent et des trombes d’eau glacée. Elle s’accrochait de son mieux à la route qui s’enfonçait dans la masse noire et hurlante de la forêt. Gravir cette montagne était son unique but, mais la tempête s’y opposait avec rage et puissance.
Sa conductrice sentait la peur grandir dans son ventre, cette sourde mais implacable angoisse qui lui pressait les entrailles et ressortait par la bouche et les yeux en gémissements et larmes. Jamais encore en trente années d’une vie affligeante de banalité, Brigitte n’avait imaginé que les éléments pussent se déchaîner avec autant de rage dans un pays d’ordinaire si paisible. Les arbres fouettaient le ciel lacéré, défiaient la frêle mécanique en lui refusant le passage. La nuit se déchirait sous les éclairs et les branches surgissaient comme autant de hachoirs. Terre et sable arrachés à la pente faisaient déraper la voiture dans les virages ; elle butait sur chaque ornière, patinait, pour reprendre son élan et, contre toute attente, attaquait la montée suivante. Accrochée à son volant, aveuglée par ses pleurs, la jeune femme essuyait du plat de la main la buée sur le pare-brise. Elle devinait à travers la loupe déformée et la neige fondue les bords de cette route vaguement éclairée par des phares impuissants. Elle redoutait de mordre le bas-côté, ou de se prendre un bloc de grès décroché des pierriers entre les sapins. Elle aurait voulu traverser cette foutue montagne, rentrer chez elle, retrouver son lit, s’enrouler dans les couvertures et tout oublier. Mais elle savait maintenant qu’elle n’y arriverait plus.
Elle avait quitté Dabo plus tôt dans l’après-midi, par un frais soleil d’hiver. Pas un nuage au-dessus des montagnes alsaciennes. Une de ces journées de fin de semaine appréciées des fumistes qui inventaient n’importe quel prétexte médical pour ne pas aller travailler et qui, hilares d’avoir dupé leur employeur, filaient en groupe rejoindre les stations de ski vosgiennes.
Elle n’était pas partie avec l’esprit léger, bien au contraire. L’appel téléphonique qu’elle avait reçu un peu plus tôt l’avait terrifiée. Son correspondant ne s’était pas identifié. En quelques mots, l’inconnu l’avait convaincue qu’il ne plaisantait pas. Il connaissait le secret.
Personne ne pouvait le connaître ce secret, en dehors de sa propre famille. Il représentait sa particularité, sa force, mais également un fardeau d’une responsabilité infinie. Il en était ainsi depuis des générations et ça devait se perpétuer.
Alors quand l’homme au bout du fil, d’une voix monocorde et sèche, lui avait ordonné de venir à lui, elle s’était précipitée sur les routes forestières sans demander son reste, pied au plancher.
Le vent s’était levé.
– Tu as le Geistliche Schild 1  ?
L’homme ne s’était pas embarrassé de formules de politesse. Il se détachait dans la nuit noire et ressemblait à un oiseau maléfique. Les pans de son manteau étaient secoués par les rafales. Devant son silence, il avait tonné :
– Tu as le Bouclier ?
– Non.
Elle frondait :
– Et même si je l’avais sur moi, vous ne pourriez pas le prendre, et vous le savez bien !
– Que tu crois, petite imbécile ! Je te conseille de ne pas te mettre en travers de mon chemin…
– Sinon ? l’interrompit-elle.
– Tu n’as pas la force. Pour se servir du livre, il faut de l’expérience. Tu es jeune. Tu es bien trop immature. Donne-moi ce putain de livre !
Elle enrageait :
– Vous ne l’aurez jamais.
– Alors pourquoi es-tu là ? lui demanda-t-il.
Elle voyait son visage dans un vague rayon de lune. Ses yeux étaient noirs et ses traits décidés. L’homme ne plaisantait pas. Ce rendez-vous, au pied des ruines d’un château médiéval, avait quelque chose de sinistre. Il sentait la mort. Elle le savait, mais elle affrontait ce regard dur.
– Je voulais savoir. Comment se fait-il que vous connaissiez notre secret ? Je pensais que ma famille l’avait gardé plus précieusement que ses propres enfants.
– Ta famille a bien gardé le secret, jeune fille. Là n’est pas la question. Vous vous êtes trahis sans le vouloir. Vous avez fait votre devoir pendant très, très longtemps. Aujourd’hui, vous devez passer la main, et je viens réclamer mon dû.
– Votre dû ? s’exclama-t-elle. Je vois où vous voulez en venir ! Vous n’êtes pas là pour le livre : vous êtes là pour ce qu’il contient.
Elle reprit froidement :
– Vous n’êtes personne et vous n’avez rien à me réclamer. Nous n’avons jamais trahi la confiance qui a été placée en notre famille et nous continuerons ainsi.
– Et si je te disais, chère enfant, que je suis ta famille. Aujourd’hui, pour des raisons de sécurité évidentes – parce que vous vous êtes trahis – il te faut me transmettre le Geistliche Schild. C’est ton devoir et tu le sais. Tu ne serais pas ici ce soir, face à moi qui t’affirme connaître ce fameux secret, si tu n’en étais pas convaincue.
Brigitte tremblait de tous ses membres. Elle dévisageait cet homme comme s’il se fût agi du diable lui-même. Ses propos étaient censés. Seul un initié pouvait savoir qu’elle était en possession du livre et de ce qu’il contenait. Néanmoins, elle ne se connaissait ni cousin, ni oncle ou tante, n’avait pas de frère, et aussi loin qu’elle pouvait remonter elle ne voyait qu’une longue succession de filiations directes. Pourtant, à le voir ainsi lui faire face, elle ressentait une curieuse impression de familiarité.
Elle avait repris la route vers Dabo. La tempête s’amusait à lui entraver le chemin, soulevait des feuilles mortes, abattait des branches pour frapper la carrosserie, misérable tambour.
Soudain la route et les sapins s’illuminèrent et elle fut éblouie par son rétroviseur. Surgie de nulle part une lumière fusa, si intense que la forêt sembla presque se calmer.
Ce devait être un engin forestier, un de ces grumiers à rallonge, équipé d’une rampe de projecteurs, qu’elle n’avait pas vu venir par l’arrière. La surprise passée, elle se reprit à espérer. Elle n’était plus seule et cette imposante masse couronnée d’un pareil éclairage lui semblait une force presque paternelle, qui l’accompagnerait jusqu’au bout de la route, lui ouvrant le chemin, écartant les embûches, lui procurant chaleur et réconfort.
Un choc. Sèche surprise. La frêle voiture fut projetée en avant, mais se rattrapa.
L’engin l’avait heurtée. Comment cela se pouvait-il ? Ne l’avait-il pas vue ? Était-ce à cause de la pluie ? Brigitte pressa hystériquement le klaxon pour se signaler, mais son bruit était dérisoire, couvert par le tonnerre et le vent. Il y eut un nouveau choc. Elle n’eut plus l’ombre d’un doute. Ce monstre la voulait. L’exécuteur ne serait pas la tempête. Il serait de fer et de feu, mécanique, mû par la volonté humaine. Était-ce l’inconnu qu’elle venait de rencontrer ? Peut-être que oui.
Elle mourrait cette nuit, dans cette forêt, et ce serait écrasée par un énorme camion. Elle disparaîtrait, broyée. Dans le vacarme de la tempête, sans que personne, mis à part son bourreau, ne l’entende hurler.
Car de toute façon il fallait qu’elle meure. Elle s’y résignait.
Mais au lieu de capituler, elle appuya de toutes ses forces sur l’accélérateur et serra les dents. Ses coups de volant se firent plus vifs, plus précis. Elle évita les obstacles sur la route défoncée et reprit de la distance. Elle ne se laisserait pas prendre aussi facilement. Si, un temps, elle avait cédé à la panique, c’était maintenant oublié… Des restes de l’éducation rigide et froide que lui avait donnée son père, colonel de l’armée de terre. Elle le revit en un éclair, vingt ans auparavant, de retour de campagne, lui infliger des corrections à l’aide de son ceinturon de cuir. Il n’était ni méchant ni violent, seulement militaire de corps et français d’esprit. Catholique de religion. Entre chaque coup asséné, il lui lâchait un glacial : « Quand on a fait une bêtise, on accepte sa punition et on ne pleure pas. » Jusqu’au jour où elle n’avait plus pleuré. Après la raclée, elle l’avait regardé droit dans les yeux en serrant les dents. Elle n’avait versé aucune larme, pas un son n’était sorti de sa bouche. Elle n’avait plus jamais fait de bêtises. Il ne l’avait plus frappée. Il en avait été très fier.
Ce n’était pas du courage, mais une sérénité qui la gagnait. Elle savait à cet instant quand et quelle serait sa fin. Mais elle se battrait. Sans gloire, sans espoir de victoire, juste parce que son éducation reprenait le dessus.
Quand la petite voiture s’envola dans le ravin, elle pensa « merci papa », et s’écrasa contre un tronc.
Elle ne ressentait pas de douleur. Le pare-brise avait explosé en une myriade d’éclats et, dans la semi-inconscience dans laquelle elle se trouvait, cette image d’un feu d’artifice multicolore persistait. Le bruit de l’impact, sec et mat, semblait lui aussi figé dans son cerveau. Elle avait trouvé l’impression curieuse. Elle devait avoir ouvert les yeux. Sa joue frottait contre l’écorce rêche et odorante du sapin, elle respirait mal. Une sensation de bien-être la gagnait. Plus de pluie, ni de vent, ni de froid. Elle aimait la terre ouverte, confortable, la résine, l’essence et le métal brûlant. Un univers sylvestre, mêlé de tôles tordues, feutré et reposant.
Elle le vit venir.
Noir, silencieux, cruel. Il la voulait.
Trop tard, elle s’en allait.

1 . Bouclier spirituel.
Chapitre II

– Christmann, ton papier, tu comptes me le pondre avant ou après ta retraite ?
Le rédacteur en chef avait beuglé à travers toute l’agence. Les secrétaires s’étaient empressées de s’intéresser à leur

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