La vierge africaine
197 pages
Français

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La vierge africaine , livre ebook

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Description

Elle se réveilla en sursaut et se dressa sur le lit. Elle scruta l’obscurité opaque de la hutte et écouta les bruits de la nuit africaine. Puis elle se recoucha. Elle avait dû mal entendre. La froideur du sol traversait le mince matelas. Elle frissonna et remonta la couverture sur ses épaules. Elle écouta la respiration calme de ses filles, sortit une main pour toucher le bras de la plus jeune. Il était frais. Doucement, elle le replaça sous la vieille couverture que les petites partageaient. L’enfant grogna dans son sommeil. Elle fronça le nez. La poussière lui chatouillait les narines. Puis elle roula sur le côté. Sa place était vide. Comme tant de fois auparavant. Elle était sur le point de se rendormir lorsqu’elle entendit des pas à l’extérieur. Plus distinctement cette fois. Peut-être rentrait-il enfin. Quelqu’un secoua la porte. Fatiguée, elle n’ouvrit qu’un œil. Mais ce n’était pas la silhouette de son mari qu’elle aperçut dans l’obscurité. Elle vit deux ombres. Deux étrangers. L’un d’eux se penchait sur ses filles, l’autre levait une machette.   « Si je ne crie pas, ils laisseront peut-être mes filles vivre » fut sa dernière pensée, avant de voir la longue lame du couteau étinceler au-dessus de sa tête. 1 La porte à tambour au pied du bâtiment de verre avalait les costumes sombres les uns après les autres. Juste avant d’être happés par la porte affamée, les costumes se redressaient. Ils savaient qu’ils étaient importants. Élus.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 septembre 2007
Nombre de lectures 2
EAN13 9782810403158
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Elle se réveilla en sursaut et se dressa sur le lit. Elle scruta l’obscurité opaque de la hutte et écouta les bruits de la nuit africaine.
Puis elle se recoucha. Elle avait dû mal entendre.
La froideur du sol traversait le mince matelas. Elle frissonna et remonta la couverture sur ses épaules. Elle écouta la respiration calme de ses filles, sortit une main pour toucher le bras de la plus jeune. Il était frais. Doucement, elle le replaça sous la vieille couverture que les petites partageaient. L’enfant grogna dans son sommeil.
Elle fronça le nez. La poussière lui chatouillait les narines. Puis elle roula sur le côté. Sa place était vide. Comme tant de fois auparavant.
Elle était sur le point de se rendormir lorsqu’elle entendit des pas à l’extérieur. Plus distinctement cette fois. Peut-être rentrait-il enfin. Quelqu’un secoua la porte. Fatiguée, elle n’ouvrit qu’un œil.
Mais ce n’était pas la silhouette de son mari qu’elle aperçut dans l’obscurité. Elle vit deux ombres. Deux étrangers. L’un d’eux se penchait sur ses filles, l’autre levait une machette.
 
« Si je ne crie pas, ils laisseront peut-être mes filles vivre » fut sa dernière pensée, avant de voir la longue lame du couteau étinceler au-dessus de sa tête.
1

La porte à tambour au pied du bâtiment de verre avalait les costumes sombres les uns après les autres.
Juste avant d’être happés par la porte affamée, les costumes se redressaient. Ils savaient qu’ils étaient importants. Élus. Meilleurs que la plupart.
Caroline bomba le torse et allait se laisser avaler à son tour lorsqu’une Mercedes ML noire aux vitres teintées arriva à sa hauteur. La jeune femme s’arrêta net.
Le chauffeur du 4 × 4 descendit et fit le tour de la voiture pour ouvrir la portière arrière. Une paire de chaussures apparut d’abord. Elles luisaient dans la lumière matinale. Probablement des Church’s. Les pieds furent bientôt suivis d’un corps, qui glissa lentement du haut du siège arrière. Apparut alors le directeur Clausen, grand patron de Dana Oil, en chair, en os et court sur pattes.
Caroline resta pétrifiée, tandis que le directeur la dépassait sans saluer pour entrer seul dans la porte à tambour. Une aura froide presque visible, comme une couche bleue glacée, vibrait autour de lui.
De l’autre côté de la porte, à la réception, toutes les conversations stoppèrent net. L’ensemble des costumes se concentra intensément pour avoir l’air affairé et les femmes derrière le long bureau d’accueil inclinèrent la tête avec déférence au passage du patron.
L’instant d’après, Caroline se glissa à travers la porte. Elle regarda les deux réceptionnistes du coin de l’œil, mais celles-ci l’ignorèrent : elles continuaient à saluer le dos du directeur.
Elle suivit des yeux le directeur Clausen, surnommé « le Bourreau ». C’était lui qui avait fait de Dana Oil l’entreprise qu’elle était aujourd’hui. Une entreprise ambitieuse et parfaitement huilée, connue pour être l’une des meilleures du monde dans son domaine. Comme son surnom l’indiquait, il lui avait fallu couper des têtes pour conquérir ce poste prestigieux. Beaucoup de têtes. Quand on veut parvenir au sommet de ce genre d’entreprise, jouer des coudes n’est qu’un doux euphémisme, il faut accepter d’avoir du sang sur les mains.
 
Les pas de Caroline emboîtèrent ceux du Bourreau jusqu’au portillon pivotant de sécurité que tous devaient emprunter pour pénétrer dans l’entreprise. Elle sortit de son sac sa carte d’accès et la plaça devant le lecteur électronique. Il bipa, le portillon s’ouvrit dans un « pchiouf » et la laissa passer. À pas rapides, elle traversa les dalles noires lustrées pour atteindre au fond du hall d’entrée les deux ascenseurs de verre et le large escalier.
Elle jeta un regard aux ascenseurs, mais suivit le directeur Clausen dans l’escalier. Ce n’était pas bien vu d’emprunter les ascenseurs chez Dana Oil, à moins d’être handicapé, enceinte ou invité.
 
Au cinquième étage, elle s’engagea, le buste droit, dans le couloir qui menait au bureau en open space . Elle salua ses collègues qui étaient déjà arrivés – c’est-à-dire la plupart, puisqu’il était presque 8 heures – et alluma son ordinateur. Elle avait reçu dix mails depuis qu’elle l’avait éteint vers minuit. L’un d’eux venait de son chef ; elle l’ouvrit et le lut.
Une angoisse noua soudain son estomac. Elle parcourut du regard le grand espace aseptisé jusqu’au bureau de son chef, derrière le mur vitré. Markvart était à son poste, soigné comme toujours dans un costume sur mesure, qui tombait parfaitement sur son corps mince de presque deux mètres. Aujourd’hui, le costume était gris, élégamment assorti à ses tempes. Caroline tenta d’attirer le regard de son chef, mais il gardait les yeux rivés sur son écran d’ordinateur. Impossible de savoir s’il était réellement absorbé par son travail ou s’il s’évertuait à éviter son regard.
Elle observa l’espace ouvert, où des bureaux modulables s’alignaient deux par deux les uns face aux autres des deux côtés de la pièce. Les visages de ses collègues étaient impassibles et concentrés. Pas de visages tendus par la nervosité. Aucun autre n’avait visiblement reçu de mail inquiétant du chef – ou alors, ils étaient tellement entraînés à garder des visages de marbre qu’ils ne le montraient pas.
Elle relut le mail.
 
16 heures dans mon bureau. Markvart.
 
Rien de plus.
 
L’angoisse se propagea rapidement de l’estomac au reste de son corps. Caroline se leva et traversa le bureau pour se rendre aux toilettes.
Elle inclina son long buste au-dessus des lavabos design et inspira profondément. Mais les exercices de respiration appris à l’époque où elle s’obligeait encore à aller au yoga ne suffirent pas à calmer son corps. Elle leva la tête pour se contempler dans le grand miroir.
Une heure plus tôt, quand elle avait quitté son appartement, elle était satisfaite de son apparence. Avec son costume sombre cintré, son visage aux traits prononcés et son dos droit, elle ressemblait à ce qu’elle voulait être : une femme ambitieuse et dynamique. Mais cette image s’était flétrie en quelques minutes. Sa veste pendait sur ses épaules comme sur un cintre en plastique, son nez n’était plus prononcé, simplement trop pointu, et son dos s’affaissait. On lui avait dit plusieurs fois qu’elle ressemblait à l’actrice Uma Thurman, mais si c’était vrai, c’était à présent à une Uma Thurman décrépite.
Les cernes sous ses yeux étaient en train de s’installer durablement. Elle n’avait pas besoin de miroir pour les remarquer, il lui suffisait de regarder ses collègues, qui avaient tous développé les mêmes.
 
Ces derniers mois avaient été éprouvants pour tous les employés de Dana Oil.
Comme dans beaucoup d’autres entreprises, un plan de licenciements avait été annoncé, et pour le département de Caroline cela signifiait qu’au moins trois des dix collaborateurs allaient bientôt recevoir une « invitation à partir ».
La perspective d’être licencié avait tendu l’atmosphère dans le département. La crainte de l’éviction avait transformé les employés autant en artisans de leur propre bonheur qu’en artisans du malheur des autres. Les activités qui auparavant nécessitaient un travail d’équipe, ou team effort comme on disait chez Dana Oil, faisaient à présent l’objet de prestations individuelles. Si l’on entrevoyait l’opportunité de se mettre en valeur et, par la même occasion, de faire une remarque dégradante sur un collègue, on la saisissait.
Ses collègues partageaient tous la crainte de recevoir une lettre de licenciement.
Pour Jens, qui occupait le bureau en face de Caroline, un licenciement serait une menace sérieuse pour son rôle de chargé de famille. Avec le troisième enfant en route, une femme qui travaillait à mi-temps et une nouvelle maison à retaper à Emdrup, sa situation financière résisterait difficilement à des mois ou des années d’indemnités chômage. Il venait cependant d’être promu responsable adjoint et ne ferait donc probablement pas partie du wagon.
Birthe, la secrétaire du département, était convaincue qu’elle ne retrouverait jamais un nouveau travail si elle était mise à la porte. Avec un acte de baptême datant des années 1950 et aucun diplôme officiel, Caroline était encline à lui donner raison.
Quant à Caroline, ce n’était ni une question d’argent ni la peur de l’exclusion permanente du marché du travail qui lui causait cette boule dans l’estomac. C’était la peur de l’humiliation. La peur, une nouvelle fois, de ne pas peser assez lourd.
Il n’y avait encore aucun nom sur la liste, ni de date prévue pour que le couperet tombe, mais d’après le consensus qui se dégageait à la cantine, c’était imminent. Peut-être la semaine suivante, peut-être déjà celle-ci ?
Peut-être, rumina-t-elle tout en sentant la boule grandir dans son estomac, que le couperet l’attendait sous la forme d’une feuille A4 sur le bureau de Markvart lorsqu’elle en franchirait le seuil cet après-midi. Il avait l’habitude d’écrire l’ordre du jour de ses invitations à réunion – ou au moins de leur donner un titre –, pour qu’elle et ses collègues puissent avoir le temps de se préparer. Celle-ci avait simplement été titrée « invitation à réunion », et elle savait que certaines personnes avaient déjà été virées lors de ce genre de réunion sans objet.
 
Caroline se regarda dans le miroir des toilettes. Elle tenta de redresser le dos. Dans une tentative d’avoir la même taille que ses amies, et surtout, de ne pas être plus grande que les garçons, elle avait laissé son dos se voûter pendant toute son adolescence. Ses amies lui affirmaient que de longues jambes et des cheveux blonds formaient une combinaison que beaucoup d’hommes trouvaient attirante. Mais elle ne l’avait admis que bien plus tard – lorsque sa posture courbée s’était installée et qu’elle réapparaissait à chaque fois que la vie lui jouait des tours.
Seuls ses yeux verts en amande et ses cheveux ressemblaient encore à ce qu’ils étaient au début de la journée. Sa coupe au carré était comme toujours strictement lis

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