La variation du mal
254 pages
Français

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La variation du mal , livre ebook

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Description

À Isabelle, pour son courage. 1 Mercredi – Là, tu les vois ? – Le groupe avec les filles ? – Oui, ceux qui sont autour d’un feu. – Laisse-moi les observer. Lucie s’allongea sur le sable comme si elle s’assoupissait. Posée sur le ventre, elle enfouit sa tête dans ses bras, ses cheveux tombant en cascade sur son visage. On aurait pu la croire endormie ou tombée ivre, mais il en était tout autrement. À travers sa fine chevelure, elle dardait un regard perçant sur le groupe de jeunes en train de faire la fête. Un regard presque flamboyant, dont les prunelles de glace trouaient l’obscurité telles deux minuscules lunes. Cette couleur d’yeux, aussi belle que dérangeante, était suffisamment rare pour qu’on la remarque et qu’on s’en souvienne. Elle n’était pourtant, à ce moment, pas la seule à la posséder. Assis à côté d’elle et scrutant des eaux noires, un visage défiguré par de terribles cicatrices arborait lui aussi ce regard inquiétant. Son attention toujours portée vers l’horizon, Maxime s’adressa à sa sœur d’une voix calme : – Prends ton temps, regarde-les bien. Tous, puis chacun leur tour. Observe leur physique, leur attitude, leur comportement avec les autres, les signaux qu’ils émettent. Note leurs expressions, leurs mimiques. D’abord au sein du groupe, puis lorsqu’ils sont à l’écart, pensant que personne ne les voit. Et le plus important, vois leur regard. C’est lui qui te parlera, lui qui te révélera ce que tu dois savoir. Lucie ne répondit pas.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 novembre 2019
Nombre de lectures 1
EAN13 9782819506027
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À Isabelle, pour son courage.
1
Mercredi

– Là, tu les vois ?
– Le groupe avec les filles ?
– Oui, ceux qui sont autour d’un feu.
– Laisse-moi les observer.
Lucie s’allongea sur le sable comme si elle s’assoupissait. Posée sur le ventre, elle enfouit sa tête dans ses bras, ses cheveux tombant en cascade sur son visage. On aurait pu la croire endormie ou tombée ivre, mais il en était tout autrement.
À travers sa fine chevelure, elle dardait un regard perçant sur le groupe de jeunes en train de faire la fête. Un regard presque flamboyant, dont les prunelles de glace trouaient l’obscurité telles deux minuscules lunes. Cette couleur d’yeux, aussi belle que dérangeante, était suffisamment rare pour qu’on la remarque et qu’on s’en souvienne. Elle n’était pourtant, à ce moment, pas la seule à la posséder. Assis à côté d’elle et scrutant des eaux noires, un visage défiguré par de terribles cicatrices arborait lui aussi ce regard inquiétant.
Son attention toujours portée vers l’horizon, Maxime s’adressa à sa sœur d’une voix calme :
– Prends ton temps, regarde-les bien. Tous, puis chacun leur tour. Observe leur physique, leur attitude, leur comportement avec les autres, les signaux qu’ils émettent. Note leurs expressions, leurs mimiques. D’abord au sein du groupe, puis lorsqu’ils sont à l’écart, pensant que personne ne les voit. Et le plus important, vois leur regard. C’est lui qui te parlera, lui qui te révélera ce que tu dois savoir.
Lucie ne répondit pas. Elle ne cilla même pas, concentrée sur la tâche que lui avait confiée son frère. Ils restèrent là un moment, sans qu’aucun esquisse le moindre geste. Ils n’étaient pas seuls sur la plage. Aux yeux des autres fêtards, ils passaient pour un couple venu finir une soirée trop arrosée sur la bande de sable qui faisait face à l’océan.
Nul n’aurait pu deviner le but de leur véritable présence. Se joindre aux festivités ne faisait pas partie de leur plan. Ce soir, frère et sœur étaient en chasse.
– Celui-là, annonça Lucie avec certitude.
Maxime ne bougea pas, le regard encore perdu dans les eaux sombres.
– Décris-le-moi.
Elle observait sa cible qui se tenait dans la lueur d’un feu.
– Blanc. Dans les un mètre soixante-dix, large d’épaules, plutôt baraqué. Une tête ronde. Des cheveux clairs, mais épars. Des petits yeux, et un nez épaté.
– Parle-moi encore de ses yeux.
– Légèrement plissés. Mais tu as raison, c’est son regard qui m’a mise sur la piste.
– C’est-à-dire ?
– Ses yeux sont rieurs quand il est avec les autres, mais calculateurs quand il est à l’écart, comme s’il réfléchissait à ce qu’il devait faire, au comportement qu’il devait adopter. Lui aussi, il les observe. Les expressions de son visage ont beau être différentes, son regard, lui, ne l’est pas. Noir et sans vie.
Elle conclut d’une voix presque menaçante :
– Ça, il ne parvient pas à le cacher.
Elle réprima un frisson quand elle sentit la main de son frère se poser sur sa cuisse.
– Tu dois te maîtriser.
– Je sais, mais ce type, c’est le mal incarné. Il émane de lui une telle perversion. On doit faire quelque chose, Max.
– « On » ?
– Oui, je veux que tu me laisses t’aider cette fois.
Il s’allongea au côté de sa sœur. Leurs visages se rapprochèrent et il lui murmura :
– C’est non. J’ai été clair avec toi. Tu m’accompagnes, tu m’aides à les débusquer, mais ça s’arrête là.
– Mais je veux faire plus.
– Tu ne sais pas ce que tu dis. Crois-moi, il y a des chemins qu’une fois empruntés, on ne peut plus rebrousser.
Il soupira. Il savait que tôt ou tard cette conversation arriverait. L’empathie de sa sœur pour le mal était telle qu’elle savait le reconnaître n’importe où, et avec plus de clairvoyance que lui. Un atout considérable dans la mission qu’il s’était fixée.
Lucie posa son regard bleu électrique sur son frère.
– Max…
– Laisse tomber Lucie. On reparlera de tout ça plus tard, OK ?
Elle resta encore quelques secondes à le dévisager, les yeux dans les yeux. La glace face à la glace. Elle espérait le faire changer d’avis. Puis, aussi soudainement qu’elle avait entamé ce duel de volonté, elle l’interrompit et se replongea dans l’observation de leur cible.
– Et maintenant ? demanda-t-elle comme si rien ne venait de se passer.
– On attend. Je sais que c’est lui, et tu l’as senti au premier coup d’œil. Mais ça ne suffit pas. Pour ce que j’ai à faire, il faut que je sois sûr. Alors on attend.
– On attend quoi ?
– Que la bête se montre.
Ils restèrent ainsi plusieurs heures, allongés sur le sable, sans que personne s’intéresse à eux.
Le groupe qu’ils observaient se composait d’une dizaine de jeunes adultes, avec autant de filles que de garçons. L’ambiance était dansante et fortement alcoolisée, le sol jonché de plus en plus de cadavres de bouteilles à mesure que la soirée avançait. Le pas chancelant, ceux encore debout se trémoussaient au rythme des sons langoureux que produisait une énorme enceinte. Les autres occupaient le sable de leurs silhouettes enlacées. Le monde aurait pu s’écrouler, une vague géante aurait pu pointer, que rien n’aurait su les séparer. Un moment, Maxime se surprit à les envier. Ils vivaient une jeunesse dont il ignorait tous les plaisirs.
Il se détourna d’eux et finit par reporter son attention sur sa proie.
Aurélien Tenneguin.
Son nom, il le connaissait depuis plusieurs semaines maintenant. Assis à l’écart du groupe, Tenneguin se tenait dans l’ombre du feu de camp, là où on ne pouvait que deviner sa présence. Plongé dans l’obscurité. Personne ne lui portait la moindre attention. Cet homme était un prédateur, et il était en chasse. Ce qu’il ignorait, c’était que Maxime aussi.
Une bourrasque souffla sur le sable, entraînant quelques cris de surprise. La rafale agaça le feu de camp et fit virevolter les flammes. L’espace d’une seconde, elles éclairèrent la face de l’homme. Assis et les bras repliés sur les genoux, il dévorait de ses yeux noirs la jeune fille qui lui tournait le dos. Même à cette distance, Maxime put sentir l’avidité avec laquelle il la regardait.
C’était une jeune femme aux couleurs locales, sa peau dorée étincelant à la lueur du feu. Vêtue d’une brassière blanche et d’une courte jupe rouge, elle se mouvait avec grâce sur les airs lancinants. Sa danse avait quelque chose d’hypnotique. Elle tenait une bière dans une main alors que l’autre soulevait ses cheveux bouclés avant de redescendre caresser son corps parfait.
C’est elle. C’est celle qu’il a choisie ce soir. Il savoure sa volupté, son érotisme à fleur de peau. Ça l’excite. Pas seulement de la voir, mais également de penser à ce qu’il va pouvoir lui faire. Il l’imagine déjà à sa merci, impuissante et soumise à sa volonté.
Le bourreau venait de désigner sa victime. Maxime en avait la certitude, Tenneguin ferait tout pour s’emparer d’elle avant la fin de la nuit. Ses pulsions étaient trop fortes, incontrôlables même. Le masque d’honnêteté qu’il affichait la journée se fêlait le soir, la nuit dévoilant sa véritable identité.
Cela, Maxime ne le connaissait que trop bien, victime lui aussi de travers similaires. Mais chez lui, la volonté était aussi puissante que la haine qui l’animait. Il était presque toujours resté maître de lui, de ses propres démons. Des démons qui le contrôlaient de plus en plus, mais pas encore suffisamment pour lui faire perdre le sens des réalités, ni toute notion du bien et du mal. Pour les maintenir à distance, il avait fait le choix de les nourrir comme ils le demandaient.
Et ses démons ne s’abreuvaient que d’une seule chose.
De sang.
Il délaissa Tenneguin du regard et se tourna vers sa sœur. Elle avait ses cheveux devant le visage et il crut un instant qu’elle s’était endormie. Comme si elle venait de percevoir son interrogation, elle lui répondit d’une voix étrangement glaciale :
– Je ne dors pas.
– À quoi tu penses ?
– Pas au passé, si c’est ce à quoi tu fais allusion.
Maxime se renfrogna. Sa sœur parvenait à lire en lui comme dans un livre ouvert.
– À quoi, alors ?
– Je n’arrive pas à croire que ce type soit gendarme.
Réfléchissant à ses mots, Maxime passa sa main sur le tissu cicatriciel qui mangeait une partie de son visage.
– Son travail n’a rien à voir là-dedans, tu devrais le savoir. J’en suis le parfait exemple.
Elle se redressa brusquement.
– Tu n’es pas comme ce monstre, tu m’entends ? Tu n’as rien à voir avec lui.
– Vraiment ? Tu sais, ces hommes ne naissent pas comme ça, ils le deviennent. Je ne cherche pas à leur trouver d’excuses, ils n’en ont aucune. Mais le passé m’a appris que c’est ce que nous vivons qui conditionne ce que nous devenons. Deux voies s’offrent toujours à nous. L’une, difficile, où l’on doit combattre ses démons au quotidien afin de ne pas les laisser nous contrôler. L’autre, celle de la facilité, celle que cet homme a choisie, est de leur céder. Tout est affaire de volonté. Aurélien Tenneguin a beau éprouver une extrême jouissance à dominer les autres, c’est un faible. Il laisse ses pulsions le gouverner. Mais cette faiblesse a un prix.
– Je ne vois pas lequel.
– Celui de me trouver sur son chemin.
Lucie voulut renchérir, mais un mouvement au sein du groupe attira son attention.
– Regarde, ils bougent.
La majeure partie de la bande se leva pour quitter la plage. Ceux-là semblaient d’humeur plus festive que les autres et avaient sans doute décidé d’aller continuer la soirée autre part. Sans un regard derrière eux, ils laissèrent le reste de la troupe sur le sable. Trois couples allongés qui ne remarquèrent même pas leur départ, deux filles en train de danser autour du feu, et lui.
Il était toujours assis à l’écart dans la pénombre, personne ne lui prêta attention. Maxime et Lucie le savaient, les choses allaient s’accélérer. Le départ soudain du gros de la bande pouvait décider Tenneguin à passer à l’action.
– Max, regarde. Tu vois ce qu’il fait ?
– Oui, cet enfoiré se prépare à la droguer.
Aussi sournoisement qu’un serpent, Tenneguin glissait avec lenteur une main dans la poche arrière de son

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