86
pages
Français
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2021
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Ebook
2021
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Publié par
Date de parution
05 novembre 2021
Nombre de lectures
0
EAN13
9782374539058
Langue
Français
Ararat. En référence à Noé. Un village niché sur un plateau, au cœur des montagnes et de la forêt, isolé de tous, qui abrite une communauté autogérée où chacun a sa place, son rôle, et se sent protégé. Tous ont fui la civilisation, leur passé, et surtout le « grand noir », ce jour où le monde a sombré.
Hélène, Antoine et son fils Guillaume, un jeune autiste, sont les derniers arrivés. Elle répare les moteurs, bricole les groupes électrogènes, fait de la mécanique. Lui, un ancien flic, essaye de travailler la terre pour nourrir sa famille.
Tout semble aller pour le mieux dans un quotidien entièrement tourné vers la survie, quand un jour on découvre dans les bois le corps d’un inconnu. Un « autre », qui vient de l'extérieur.
Que fait-il ici ? Qui l’a tué ? Il semble avoir été torturé. Pourquoi ? Par qui ?
Publié par
Date de parution
05 novembre 2021
Nombre de lectures
0
EAN13
9782374539058
Langue
Français
Présentation
Ararat. En référence à Noé. Un village niché sur un plateau, au cœur des montagnes et de la forêt, isolé de tous, qui abrite une communauté autogérée où chacun à sa place, son rôle, et se sent protégé. Tous ont fui la civilisation, leur passé, et surtout le « grand noir », ce jour où le monde a sombré.
Hélène, Antoine et son fils Guillaume, un jeune autiste, sont les derniers arrivés. Elle répare les moteurs, bricole les groupes électrogènes, fait de la mécanique. Lui, un ancien flic, essaye de travailler la terre pour nourrir sa famille.
Tout semble aller pour le mieux dans un quotidien entièrement tourné vers la survie, quand un jour on découvre dans les bois le corps d’un inconnu. Un « autre », qui vient de l'extérieur.
Que fait-il ici ? Qui l’a tué ? Il semble avoir été torturé. Pourquoi ? Par qui ?
Du polar, un peu de radio, un peu de vidéo, un peu de scénario de BD... Un Berrichon devenu Tourangeau qui raconte des histoires souvent très courtes. Auto-éduqué à grands coups de néo-polar, Jérémy Bouquin trouve donc naturel de se consacrer à la description subjective de cette vie de tous les jours qui tourne en vrille.
LA TENTATION DE NOÉ
Jérémy Bouquin
38 rue du polar
Chapitre 1
— Patate.
Il rigole. C’est drôle comme son : PATATE ! La musicalité du mot. Ça le fait marrer. Puis il y a la forme du truc. Ce tas de racines, de feuilles. Guillaume y voit comme de la crasse. Dégueulasse !
Patate.
Ce grand dadais de gosse qui agite son premier tubercule. Il frotte la terre rouge presque noire, trop sèche, le regard d’un coup illuminé. C’est magique pour lui. Tubercule. Un autre mot que prononce Antoine, son père.
Patate ! Drôle surtout.
La motte lourde, il faut du temps pour la décrotter, sortir les deux premières pommes de terre d’Antoine. Minuscules, rachitiques, rares, comme un trésor. Guillaume regarde son père les faire rouler dans sa main. Deux ridicules patates !
Il en espérait certainement plus.
Le gamin excité écarquille ses grands yeux : patate ! Il est catégorique. Il assiste à sa première maigre récolte.
— Une charlotte, précise son père, qui frotte la base de la racine une dernière fois, avant de lui tendre la pomme de terre.
Le gamin ose à peine approcher. C’est sale.
— Harlotte ?
Il s’efforce d’articuler.
— Charlotte, le corrige encore Antoine, patient.
C’est moins drôle.
— Charlotte.
— C’est ça !
Antoine se redresse douloureusement, il a les articulations qui grippent, tapote ses cuisses poussiéreuses, cramponne ses hanches : mal de dos. Dur de travailler la terre. Puis il fait chaud aussi ! Le soleil tape depuis des jours. Le champ crame sous ce cagnard. Un coteau dégagé, à l’inclinaison moins aiguë, niché entre deux montagnes abruptes. Des roches dures comme du béton, des sapins qui ne montent plus. La pluie manque. La terre quasiment ocre par endroits est craquelée.
Il n’a pas plu depuis des semaines. Peut-être un trimestre. Une horreur.
Antoine commence à calculer les rangs, trouve les patates vraiment trop petites. Les salades ne poussent pas, le sol est trop sec, la batavia a besoin de flotte. Il gratte un moment, mais le transplant est sec. Restent quelques topinambours qui germent.
Il doute réellement de sa production. Il doute surtout de ce travail : Paysan. Un an qu’il s’efforce de gratter la terre, d’écouter les conseils des voisins. Mais rien ne pousse vraiment.
Rien ne pousse nulle part de toute façon ! La terre est malade. La retourner, la bêcher, la nourrir de compost n’y fait rien. Il soupire, exaspéré.
Puis il y a son gamin, Guillaume, huit ans. Sa grande tige, comme lui, filiforme, toute tordue. Souvent absent. Autiste.
Son unique enfant. Comme un boulet. Mais il l’aime son mouflet. Peut pas faire autrement. C’est son gosse. Antoine voudrait le serrer dans ses bras, l’embrasser, le marmot déteste ça. À chaque fois il rechigne, il lui arrive même de crier, plus encore ses derniers temps. Le môme préfère rester perché à sa fenêtre. De sa chambre, il voit le village, les bois autour.
Son Guigui.
— J’aime pas.
Il fait de larges mouvements. Il est grand maintenant, et refuse qu’on l’appelle Guigui… C’était maman qui l’appelait comme ça ! Pas papa ! Maman. Juste maman.
Guillaume n’évolue plus. Parle à peine, perdu, entre deux mondes… Agite ses bras, frotte ses mains compulsivement, pris de flapping récurrent. Incontrôlable. Ses troubles l’envahissent.
Pourtant, de temps en temps, il a des élans de lucidité, cause à son père. Comme là :
— PATATE !
Le gosse devient beau, un visage fin, des traits réguliers. Il lâche un large sourire, ses dents de grand désordonnées dans sa bouche d’enfant. Un visage tordu par des mimiques, des stéréotypies. Il se cabre, se tord comme pour se rouler en boule debout, se protéger, s’enfermer sur lui-même.
Guillaume. Son fils unique.
— Viens me faire un bisou.
— J’aime pas !
Il tape plus fort dans ses bras.
Le gamin apprend la vie. Bien obligé vu le contexte. Il tente même d’imiter son papa :
— Charlotte… Patate !
Il explose de rire, il répète, fier de lui, les mains posées sur les hanches.
Antoine lui sourit, le rassure par une tape légère sur l’épaule. Presque une caresse. Mon Guigui…
Le gosse s’y remet alors. Il gratte la terre, à quatre pattes. Les mouvements sont perturbés par des soubresauts, par l’excitation qui monte, celle d’en trouver d’autres. Un filon de patates !
Comme une implosion compulsive, impossible de retenir ce débord d’émotion. Guillaume, c’est tout ça : un petit bonhomme devenu vite grand. Un gosse pas tout à fait normal. Son gosse à lui. Antoine l’observe, pensif. Huit ans déjà ! Huit ans ? S’ils sont là, c’est aussi pour lui. Pour les protéger lui et elle. Et demain ? Ici, au village, c’est quoi l’avenir pour un gosse pas banal ?
Devenir grand, comme une mission impossible, comme une barre trop haute.
— Un jour, tu sais, papa, moi, je… Il… je vais… Un jour, je ne serai plus là… plus là pour toi.
Antoine cherche ses mots pour ne pas dire « mort ».
— J’irais ailleurs !
— Ailleurs ?
Guillaume ? Antoine qui parle à un mur. Le gosse gratte à la recherche de patates !
« Autonomie, te débrouiller tout seul, faire à manger, construire ta maison… »
Le gamin n’y comprend rien. Des mots qui n’ont aucun sens. Antoine, les leçons de vie, c’est pas son truc. Guillaume tripatouille la terre, retourne chercher des charlottes, sa casquette vissée sur la tête, ses yeux ronds comme des billes.
Il l’aide aujourd’hui. « Il travaille avec son papa ! » Il est en boucle là-dessus, il le bredouille comme pour se rassurer lui-même. Son attention est limitée, le gamin tire régulièrement sur les pieds, les arrache en se marrant. La patate ne vient pas. Bim ! Il se retrouve sur le cul, les feuilles dans les mains :
— Harlotte !
Il exulte. Il agite une nouvelle motte, la secoue dans tous les sens, éclate de rire.
Antoine regarde le ciel complètement dégagé. Pas un nuage. Il fait lourd, aucun souffle de vent sur le coteau. Certains arbres fatigués par la chaleur ont perdu de leur splendeur, leurs branches sont mortes, les épines jaunies. Impossible de résister, presque quarante degrés, pas un gramme d’ombre. C’est irrespirable. Le village a beau être masqué par la forêt, on distingue le clocher à la couverture ocre. Le hameau est complètement assommé par le soleil au zénith.
Il va falloir se rentrer dans peu de temps. Antoine regarde le village, les fenêtres closes, déjà on s’enferme. Au loin le clocher de l’église, les reflets des jumelles qui éclatent. Achill le guetteur, à la vigie, entonne ces douze coups. Midi ! Déjà.
— On va manger ? lance Antoine à son fils.
Le gosse se redresse d’un bond ! Manger !
Il file à toute vitesse vers la vieille ferme, saute comme un cabri.
— Harlotte ! Harlotte ! Patate !
Antoine dépoussière grossièrement les dernières mottes, tire sur son vieux jean râpé. Il perd son falzar, il maigrit de jour en jour. Il va devoir faire un nouveau trou à sa ceinture de cuir rouge.
Restent les outils à ramasser. Il se baisse difficilement pour ranger. Ils n’ont pas été très productifs ce matin ! À peine un kilo de patates ramassé ! Antoine tire le sac en toile de jute. Il reviendra ce soir, quand il fera moins chaud.
On s’agite en cuisine.
— On se lave les mains !
Hélène lève le ton. Elle s’agace même. Elle voit le gamin débarquer comme une furie, se précipiter sur la table pour y choper la miche de pain.
Voilà qu’il tape dans la mie, avec ses doigts tout crottés. Le gosse casse le croûton de la boule toute tiède. Le seigle est grossier, la farine épaisse, le levain puissant en goût. Pourtant le pain d’Hélène est meilleur de jour en jour.
Le sel commence à manquer. La farine aussi… ça l’inquiète la belle Hélène. Elle tire son maillot de corps, le tissu colle à sa peau cramée par le soleil, son coude est constellé de pâte. Elle radote. Mais elle dit ça avec son joli sourire. Antoine promet de trouver une solution.
Hélène s’adapte vite. Elle se sent bien ici, au village. En sécurité, presque chez elle.
— On se lave les mains Guillaume !
Le gamin sauce déjà le plat en fonte. Des restes qui mijotent, ceux d’un ragoût commencé en début de semaine, bien gras, avec des légumes dans un jus brun, des miettes de viande qui flottent.
— Bon le canard !
Impossible de dire à Guillaume que c’est du lapin. Sinon, il refuserait de le manger. Les lapins, les poulets, c’est son quotidien. Le matin, il va dans les clapiers pour nourrir les bêtes. Donne un nom à chacune.
Dehors, dans la cour, il converse avec les trois poules, leur raconte des histoires incompréhensibles. Il a son langage à lui. Il admire les danses des cinq lapins. Il en prend soin, leur donne les restes des repas, va de temps en temps chercher du pissenlit, du lichen, des boutons de fleurs aussi qu’ils peuvent manger. Le gosse a compris, depuis qu’il s’est fait engueuler à taper dans la réserve de plantes vivaces. Ce jour-là, Hélène a failli le tuer tellement elle était en rage !
Le tuer ? L’expression