La rose qui tue
236 pages
Français

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Description

Delly (1875-1947) (1876-1948)



"La brise, saturée du parfum des orangers, soulevait le journal étendu sur la table. Gemma pencha la tête pour relire l’annonce :


« On demande jeune personne de bonne famille, munie de diplômes, pour instruire deux petites filles. Écrire avec tous renseignements et références à la comtesse de Camparène, Grand-Hôtel, à Cannes. »


De longues coulées de soleil pénétraient jusqu’au milieu du salon vieillot, dont les murs tendus de toile de Jouy fanée s’ornaient de portraits encadrés d’une dorure ternie. Sur la petite terrasse, dans des vases en terre vernissée, de hautes digitales offraient la pourpre vive et le rose tendre de leurs clochettes. Le jardin s’étendait au-delà, abondamment fleuri, bien que négligé depuis la mort de Mme Faublans.


Gemma repoussa le journal et s’accouda à la table. La chaude lumière de mars avivait les reflets moirés des cheveux blonds formant des boucles légères sur la nuque délicate, d’un blanc de nacre. De cette même blancheur nacrée, à peine teintée de rose tendre, était le jeune visage sérieux aux beaux yeux songeurs et soucieux.


Une porte claqua tout à coup, des pas résonnèrent sur le dallage du vestibule. Au seuil du salon parut une jeune fille vêtue de demi-deuil. Elle jeta sur un siège le carton à musique qu’elle tenait à la main, et se laissa tomber sur le petit canapé dont la soie s’élimait."



Mahault et Gemma, deux soeurs, répondent à une offre d'emploi d'institutrice. Elles se retrouvent dans un château proche de Nice. L'atmosphère du lieu et le comportement des habitants leur paraissent étranges... Y aurait-il du danger ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 juillet 2022
Nombre de lectures 3
EAN13 9782384420933
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La rose qui tue


Delly


Juillet 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-093-3
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1091
I

La brise, saturée du parfum des orangers, soulevait le journal étendu sur la table. Gemma pencha la tête pour relire l’annonce :

« On demande jeune personne de bonne famille, munie de diplômes, pour instruire deux petites filles. Écrire avec tous renseignements et références à la comtesse de Camparène, Grand-Hôtel, à Cannes. »

De longues coulées de soleil pénétraient jusqu’au milieu du salon vieillot, dont les murs tendus de toile de Jouy fanée s’ornaient de portraits encadrés d’une dorure ternie. Sur la petite terrasse, dans des vases en terre vernissée, de hautes digitales offraient la pourpre vive et le rose tendre de leurs clochettes. Le jardin s’étendait au-delà, abondamment fleuri, bien que négligé depuis la mort de Mme Faublans.
Gemma repoussa le journal et s’accouda à la table. La chaude lumière de mars avivait les reflets moirés des cheveux blonds formant des boucles légères sur la nuque délicate, d’un blanc de nacre. De cette même blancheur nacrée, à peine teintée de rose tendre, était le jeune visage sérieux aux beaux yeux songeurs et soucieux.
Une porte claqua tout à coup, des pas résonnèrent sur le dallage du vestibule. Au seuil du salon parut une jeune fille vêtue de demi-deuil. Elle jeta sur un siège le carton à musique qu’elle tenait à la main, et se laissa tomber sur le petit canapé dont la soie s’élimait.
– Quelle corvée que ces leçons ! Quelles nullités que ces élèves !
La voix était plaintive, comme les yeux couleur d’un beau ciel d’été. Sur ceux-ci battaient de longs cils blonds qui formaient un séduisant contraste avec de bruns cheveux bouclés.
Gemma laissa retomber ses mains sur la table et regarda sa sœur.
– Je viens de voir dans ce journal quelque chose qui pourrait peut-être me convenir...
Elle tendit la feuille à Mahault. Celle-ci lut, et fit la moue.
– Institutrice, avec tous tes diplômes...
– Tu as vu qu’ils ne me servent à rien pour trouver une situation, depuis des mois que je cherche ?
Une note de lassitude passait dans la voix au timbre pur et grave.
– ... Puisque la villa doit être vendue dans trois semaines, il convient de ne plus faire les difficiles.
Mahault eut un sourire un peu amer.
– Tu dis cela pour moi ? Alors, il va falloir me résigner à enseigner toute l’année la musique aux élèves de Mlle Courballon, à vivre comme les sous-maîtresses, dans une petite chambre sous les toits, et cela, pour gagner quoi ? Non, c’est trop odieux !
Elle se leva brusquement, son regard était plein de colère, ses lèvres tremblaient comme celles d’un enfant prêt à pleurer.
Gemma se leva à son tour. Ses yeux, d’une sombre teinte bleue, considéraient pensivement Mahault. Les deux sœurs n’avaient comme trait de ressemblance que le même teint de nacre. Mahault, petite, mince, offrait un singulier mélange de langueur et de vivacité. Celle-ci l’emportait, en ce moment. Mahault de Fonteillan n’avait d’ardeur que pour ce qui l’intéressait personnellement.
Gemma eut un geste d’impatience, aussitôt contenu. Elle dit avec une ferme douceur :
– Il le faut cependant. Je vais écrire à cette dame, et si je m’arrange avec elle, nous déciderons pour toi.
Les doigts de Mahault se crispèrent sur le petit sac élégant qu’ils tenaient.
– Je ne pourrai pas, Gemma !
Sa voix reprenait le ton plaintif.
– ... J’aurais mieux fait, vois-tu, d’épouser M. de Plissan.
– Mahault !... Un homme de cinquante ans, toi qui en as vingt et un ! Et un homme de réputation douteuse, au point de vue moralité.
– Ce sont peut-être des mensonges. Et j’aurais été riche.
– Si cela te suffit...
Il y avait une nuance de mépris dans l’accent de Gemma.
Mahault leva les épaules.
– Eh bien non, je ne regrette pas, malgré tout. Mais je voudrais que quelque chose change dans ma vie !
Gemma songea : « D’autres le souhaitent aussi. »
Elle quitta le salon, monta l’escalier garni d’un tapis usé. Dans sa chambre, envahie par le soleil et les parfums enivrants, elle demeura debout devant la fenêtre, le regard perdu dans la lumière et dans le bleu céleste de l’horizon.
Changer quelque chose à sa vie... Depuis l’enfance, elle le désirait obscurément.
Être aimée. Ne plus être celle qui ne compte qu’à moitié, aussi bien pour la mère au cœur léger que pour le père absorbé par ses travaux d’historien. Tous deux lui préféraient Mahault. La vieille tante Laurence aussi. Mais Gemma, seule, avait soigné celle-ci dans ses derniers jours.
Elle ne sentait pas de rancœur, mais une peine infinie. Son âme noble pardonnait. Mais le pardon n’empêche pas la souffrance.
Une âme secrète. Personne n’avait su l’ouvrir jusqu’ici. Gemma endurait sa peine en silence. Son père, qu’elle avait aidé parfois dans son travail, disait : « Elle est parfaite comme une belle statue. »
Une belle statue frémissante, ainsi qu’en cet instant où elle songeait à son enfance blessée par la mésentente de ses parents, à son adolescence qui avait vu la mère quitter son foyer, ses enfants, rompre avec ses principes religieux par le divorce. Son père avait souffert dans un farouche silence. Cette charmante Yolanda aux clairs yeux bleus – Mahault lui ressemblait – il avait dû l’aimer passionnément. Jamais plus Gemma n’avait surpris un sourire sur cette bouche durcie, dans ce regard qui ne s’adoucissait un peu que pour Mahault. Elle pensait parfois qu’il était peut-être mort de ce chagrin, trop lourd pour son cœur envoûté par l’amour.
Et il avait laissé dans la gêne ses deux filles. Une belle fortune, négligée depuis l’abandon de l’infidèle, se trouvait réduite à peu de chose. Gemma venait de terminer des études brillantes, Mahault s’adonnait à la musique, pour laquelle ses dons étaient remarquables. En attendant qu’elles eussent trouvé une situation, leur grand-tante, Mme Faublans, leur ouvrait sa petite villa de Vallauris. Il y avait dix-huit mois de cela. Un soir de janvier, la vieille dame s’était alitée pour ne plus se relever. Elle vivait en grande partie d’une forte rente viagère. Les deux sœurs héritaient de la villa et d’une cinquantaine de mille francs chacune. La maison devait être vendue pour payer les frais de succession. Avec ce qui leur restait de la fortune paternelle, les jeunes filles se trouveraient nanties chacune d’un revenu de dix mille francs.
Il fallait se faire une situation. Mais les diplômes de Gemma, jusqu’ici, n’avaient pu lui en procurer une. M. de Fonteillan n’ayant eu que peu de relations, ses filles ne savaient à qui s’adresser. Mahault donnait quelques leçons de musique dans une institution de jeunes filles, à Cannes. La directrice offrait de la prendre à demeure. Mais Gemma ne voyait pas dans cette cage cet oiseau trop joli...
Mahault. Une âme légère, comme celle de sa mère. Un visage délicieux. Vers quel troublant destin s’en irait-elle ?
À Paris, le baron de Plisson, qui occupait un appartement dans la même maison que M. de Fonteillan, l’avait demandée en mariage après la mort de son père. Elle avait un peu hésité – très peu. Elle se savait assez jolie pour espérer mieux, la fortune mise à part.
Oui, elle le disait franchement, avec le naïf orgueil qu’on ne songeait pas trop à lui reprocher.
Gemma soupira et quitta la fenêtre pour s’asseoir devant sa table, afin d’écrire à Mme de Camparène.
II

Dans l’après-midi du surlendemain, les deux sœurs prirent l’autobus de Vallauris à Cannes. Gemma était convoquée au Grand-Hôtel pour cinq heures. Mahault avait décidé de l’accompagner. « Cela me distraira, et puis je verrai la tête de cette dame. »
Gemma pensait aussi que le plaisir de se trouver, ne fût-ce que quelques instants, dans un milieu luxueux, entrait pour quelque chose dans cette décision.
Elles longèrent la Croisette, à cette heure fort animée. On les regardait beaucoup. Même dans leurs simples robes de demi-deuil, les deux sœurs n’étaient pas de celles qui passent inaperçues.
Comme elles entraient au Grand-Hôtel, un jeune homme brun, au teint un peu bronzé, les croisa, et Gemma vit de sombres yeux qui la considéraient au passage, discrètement d’ailleurs.
Il monta dans un élégant cabriolet qui démarra aussitôt.
Le portier pria les jeunes filles d’attendre dans le hall, tandis qu’il téléphonait à l’appartement de Mme de Camparène. Puis l’ascenseur les mena au second étage. Une jeune femme de chambre les introduisit dans un salon où se trouvait un homme âgé, qui se leva à leur vue.
Il allait leur adresser la parole, quand, d’une pièce voisine, surgit une femme vêtue de velours noir. Une vieille femme, en dépit du fard savamment appliqué. Un visage dont l’âge avait déformé les lignes, qui devaient être belles naguère. Une allure aristocratique, de la souplesse encore dans ce long corps maigre.
– Mlle Gemma de Fonteillan ?
Des yeux clairs, scrutateurs, regardaient alternativement les deux sœurs.
– C’est moi, madame.
Mme de Camparène s’assit, en désignant un siège aux arrivantes. Le vieux monsieur avait repris son fauteuil, près d’une table où des revues voisinaient avec un nécessaire de fumeur.
– Il s’agirait, mademoiselle, ainsi que je l’ai indiqué dans mon annonce, d’instruire mes deux arrière-petites-filles, sept et neuf ans. Mais peut-être une licenciée en histoire trouvera-t-elle la tâche un peu... simple pour elle ?
– Mais non, madame, j’aime beaucoup les enfants, et je serais heureuse de contribuer à l’éveil de toutes jeunes intelligences.
– Tant mieux ! Car, de mon côté, j’aimerais voir près de Joyce et d’Auberte une personne de bonne éducation et de très bonne famille. Or, mon mari...
Elle tourna la tête vers le vieux monsieur.
– ... qui connaît la généalogie de toute la noblesse du midi de la France, m’a dit que les Fonteillan était une des plus anciennes familles du Dauphiné.
– C’est exact, madame. Mon père en était le dernier descendant mâle. Ma sœur et moi restons seules héritières de ce nom.
Le regard de Mme de C

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