La République du sissongho
146 pages
Français

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Description

Un jeune homme disparu pendant la chute du régime qu'il défend laisse derrière lui un journal décrivant les pratiques à la fois cocasses et pernicieuses érigées en méthodes de fonctionnement par les élites et le gouvernement de son pays. Entre libertinages sexuels, pratiques ésotériques, corruptions excessives, crimes en tous genres, La République du sissongho étale sans pudeur, dans une langue éclatante et une écriture décomplexée, la vie d'une Afrique en proie à de nombreuses mutations.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 septembre 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342012057
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0064€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La République du sissongho
Venant Mboua Bassop
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
La République du sissongho
 
 
 
 
Chapô. Je ris pour ne pas pleurer
 
 
 
Bonjour,
Cette lettre sera-t-elle lue ? C’est moins ce petit mot que les mots qu’il accompagne que je vous prie de lire.
Je sais que vous recevez, tous les jours, des tonnes de papiers qui portent le rêve de leurs auteurs de figurer, aux côtés de Mongo Beti et Chinua Achebe, dans l’annuaire des grands écrivains de notre peuple. Lui n’a aucune chance d’être un auteur que les jurys des prix littéraires vont se disputer ; son texte est dépourvu de cette érudition qui honore la formation de ses illustres aînés ; son récit est une banale histoire sur une poignée de personnes dont le destin n’influence pas la marche de votre monde.
Non, ça n’est pas vraiment un livre.
Je sais ce que vous attendez d’un livre. Son auteur n’a jamais voulu en faire un ; je le connaissais. Je vous assure qu’il ne pouvait pas y penser. On ne lui a pas appris à écrire ; on ne lui a pas appris à penser. On ne voulait même pas qu’il pense ! On lui a appris à dire. Il disait souvent n’importe quoi sur n’importe qui, sans aucune rigueur. Je le détestais pour ça. Mais je l’aimais. Enfin, je le croyais. Je me suis attachée à lui lorsque je l’ai entendu parler, que je l’ai vu agir. Il avait les manières de ces braves personnes qui se compliquent la vie en voulant se la rendre simple. Je ne sais pas comment ça se passe chez vous mais chez nous, la vie ne sera jamais simple. Je le lui disais, il le savait.
Je parle de lui au passé alors que je ne sais pas ce qu’il est devenu. Il a disparu après les événements que le pays vient de connaître. Je suis allée aux obsèques de sa vieille mère, tuée dans l’incendie de la majestueuse maison qu’il venait de construire pour afficher sa sortie de la misère. Depuis les événements qui nous ont bouleversés, il a disparu. Sa vieille mère a été retrouvée morte, à moitié brûlée par le feu. A-t-il mis le feu à sa villa avant de s’en aller ? S’est-il donné la mort en compagnie de sa mère comme Hitler convaincu de sa chute ?
Cela reste un mystère.
Il méprisait son frère. J’ai, plusieurs fois, parlé à mon amoureux de ses relations catastrophiques avec ce frère. Je voulais les voir réunis, discutant des questions d’intérêt familial. Je lui rappelais ces paroles de ma grand-mère : « la prospérité d’une famille se trouve dans une assiette commune ». Mais il répétait qu’aussi longtemps que son frère n’adhérera pas au même parti que lui, ils ne mangeront jamais dans un même plat. Il disait qu’il enterrera ce frère maudit comme un chien, puisqu’il fait tout pour verser par terre toute nourriture qu’on lui sert dans un plat doré. « C’est un chien sauvage, me répétait-il. As-tu observé les chiens dans ce village ? Ils ne mangent jamais dans les assiettes ; chaque fois qu’on leur apporte à manger dans une écuelle, ils la renversent pour mieux se servir à même la boue ou la poussière ». Il faisait allusion à l’entêtement de son frère à refuser les offres que lui faisait le parti au pouvoir contre son ralliement. Ce frère, son aîné, il l’appelait le taré. Il le traitait de kengué, la pire insulte à l’intelligence d’un être humain chez nous. Le crime de ce frère est qu’il avait décidé d’adhérer à un parti d’opposition dans ce village que son frère avait offert au président naturel du parti au pouvoir, Son Excellence monsieur le président-à-vie-bien-aimé-de-la-république-chef-de-l’État-chef-du-gouvernement-président-à-vie-jusqu’à-la-mort !
Je suis allée aider son frère à enterrer leur pauvre mère qui n’a jamais pu trancher entre le subversif et le nouveau riche. Il m’a présentée comme la veuve de son frère. J’étais fière et couverte de honte en même temps. J’ai tellement rêvé de porter son nom que ce court instant de deuil pendant lequel je jouais le rôle de son épouse m’a comblée de bonheur ; le désastre que ses agissements ont provoqué dans ce village jadis paisible m’a fait pleurer à vider mon corps. Tout le village a pensé que je pleurais cet homme qui a disparu depuis le début des événements. Au fait, vous ne vous imaginez pas ce que notre pays a vécu. Les médias vous en ont parlé, mais je vous conseille de venir voir la tragédie sur place.
J’ai accepté cette position de veuve pour tourner définitivement la page de cet amour que j’avais quitté bien avant les événements. J’ai aussi accepté ce rôle parce que j’étais animée d’un bizarre sentiment de joie, car désormais présente et intégrée dans cette famille devenue unipersonnelle. Peut-être aussi que j’étais heureuse d’être à côté de son frère, cet homme pondéré, aux allures de timide mais d’une force de caractère que son visage et ses manières ne laissaient transparaître à première vue.
Je voulais cependant oublier ces moments d’une vie gâchée par la lâcheté et l’irresponsabilité. Malgré mon opposition à ses actes, je n’ai jamais eu la force de le dénoncer, de le combattre réellement. J’ai timidement parlé sans réellement m’imposer. Et pourtant, j’avais tous les atouts pour le faire plier. Je n’ai pas envie de revenir là-dessus. Je me rends compte que je suis en partie responsable du désastre que nous vivions sous le régime précédent. Je ne sais pas pourquoi j’avais peur de me brouiller avec lui. Était-ce son argent qui me retenait ? Était-ce la peur de ses réactions violentes à la moindre contestation de ses actes ? Était-ce la peur des lendemains incertains ? Toujours est-il que lui et les gens de son parti ont profité de nos couardises pour nous réduire à l’esclavage.
J’ai honte de moi quand je me rappelle ce passé. Son frère aîné, qu’il traitait de kengue, je vous le rappelle, m’a pourtant dit un jour, sentencieux comme Jésus : « Femme, ne me plains pas, s’il te plaît ; plains-toi pour toi-même et tous ceux et celles qui sont sous les fourches caudines de ces vampires. Quant à moi, je ne me livrerai jamais à eux ; ils peuvent me tuer s’ils veulent mais jamais je ne me livrerai à leur sorcellerie ».
Il se peut vraiment que je fus malheureuse sans la savoir.
Finalement, je suis partie. Peut-être parce que partir était la seule chose que je pouvais réellement faire. Comme tous les gens de ma génération qui étaient dans cette situation étouffante et qui n’avaient pas les armes pour résister en restant au pays. D’ailleurs, dans toutes les régions d’Afrique, les gens sont partis. Les jeunes comme les vieux : la majorité de mes anciens camarades de l’université est partie. Les cinéastes, les écrivains, les comédiens, les ingénieurs, les médecins, les enseignants, des militaires avec ou sans armes se sont exilés. Même les bandits et les putes de nos quartiers ont décampé, pour aller chercher du boulot ailleurs. Ce pays est délesté de tous ses enfants.
 
Bon… je ne sais pas pourquoi je vous raconte toute cette histoire. Tout ça ne vous concerne pas, n’est-ce pas ?
Voilà, j’ai trouvé dans les décombres de la maison brûlée, ce manuscrit que je vous prie de lire. Et de publier. Ce n’est pas un manuscrit comme les autres. Mais, je vous supplie de le publier. Je ne saurais vous dire pourquoi. Pour donner la possibilité à d’autres de savoir ce qui s’est passé ? Pour achever le rêve d’un opportuniste détraqué ? Au moment où les nouveaux dirigeants nous promettent le changement, nous devons peut-être savoir ce qu’ils veulent changer. Peuvent-ils changer ce qui est vécu dans le récit ci-contre ? Je pense sérieusement que je tiens entre mes mains les références de notre passé qu’on visiterait pour éviter les pièges du présent – j’essaye de parler comme les philosophes ; je sais que je n’y arriverai pas mais vous comprenez quand même ce que je veux dire…
Ce manuscrit n’est pas un chef-d’œuvre, je le répète. Son auteur n’a jamais été un brillant sujet. Avec lui il est difficile de savoir s’il écrit ou s’il parle. Mais les mots – ou les paroles – que j’entends de ces papiers sont un récit qui m’a bouleversée. Pas seulement parce que ce type parle de moi en de termes contradictoires, confirmant de manière flagrante la duplicité qu’il a apprise de ses mentors du Parti, mais aussi parce qu’il retrace avec beaucoup de précisions les lignes du parcours de toute ma génération. Je reconnais les lieux, les personnes, les événements… Ô, mon Dieu !
À quel moment a-t-il rédigé tout ça ? Je ne l’ai jamais vu écrire. Si je n’avais pas reconnu son écriture désordonnée, son style décousu et quasi handicapé, j’aurais conclu qu’il s’est attaché les services d’un nègre, comme le faisait la plupart de ses amis du régime disparu. On a l’impression que c’est un journal d’une vie qui l’a surpris dans un pays étonnant de contradictions. Je ne sais pas s’il relate des événements vécus des années avant ou ceux à l’instant où il rédigeait. Je ne sais vraiment pas. Les critiques nous aideront sans doute à trouver des réponses…
Je l’ai fait lire à un éditeur de la place. Je n’attendais pas grand-chose de lui, il édite un livre tous les cinq ans, en subtilisant de l’argent dans le porte-monnaie de son épouse, commerçante au marché des vivres. Il a ri sans arrêt de la première à la dernière ligne. Cela m’a irritée et j’ai pleuré. C’est alors qu’il m’a dit : « je ne me moque pas de ce type. Ce qu’il raconte ne m’amuse pas. Je ris pour ne pas pleurer ».
Bonne lecture.
 
PS : Comme j’ai vécu cette période avec lui, j’ai pris la liberté de compléter certaines parties manquantes de son récit. Si cela n’est pas conforme aux usages de l’éditio

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