La Mante
124 pages
Français

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Description

Elena est une prostituée qui aime son métier. Mais tout bascule lorsqu'elle se fait violer une nuit en boîte et que son agresseur lui avoue être séropositif. Elle se dit que c'est la fin et que c'est son destin, mais elle fait l'erreur de coucher avec un client à qui elle avoue sa maladie. En colère, il la séquestre et la torture. Elena n'est plus qu'une épave, seule avec elle-même, et remonte loin dans ses souvenirs pour comprendre comment elle a pu devenir si pathétique. En brossant le portrait de sa mère, blanche et acariâtre, de son père, noir et gay, de sa sœur reniant ses origines africaines, de ses amours perdues et de son parcours, Elena nous emmène dans un Paris brut fait d'exil, de violence et de haine, où tout tourne autour de l'identité. S'ensuivent une chute familiale, une chute amoureuse, des chutes irréversibles. Elle devient un danger pour son entourage et pour elle.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 14 septembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342055566
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Mante
Anaïs Durand
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
La Mante
 
Épigraphe
Qu’à être prostituée elle dut gagner en dignité étonnait, c’est pourtant de dignité qu’il s’agissait.
Pauline Réage, Histoire d’O
 
Chapitre I
Sa première fois, c’était un viol. Un viol que l’on cache d’instinct car on n’a pas très bien compris et c’est risqué de parler de quelque chose que l’on ne comprend pas. Après l’acte, on se sent sale, sans trop savoir pourquoi. On sait que quelque chose ne va pas, mais les pièces du puzzle flottent dans l’air de l’esprit et se jouent de notre entendement. On se parle à soi-même à tel point que la pensée rejoint les commissures des lèvres. La pensée de l’acte, commis dans un passé si proche, prend forme avec des mots que l’on se dit à soi-même : « pute ». Les gens vous traitent banalement alors que l’on ne se sent plus banal , on se sent sale . Elena n’a compris que quelque mois plus tard ce que signifiait l’acte barbare que lui avait infligé le frère de sa mère. Elle avait 7 ans. Elle n’avait rien demandé et elle avait reçu le pire cadeau empoisonné que peut recevoir une petite fille : le viol. Son innocence envolée. La fin…
 
— Va te faire foutre, connard ! crie Elena au barman du club.
Elle a refusé de lui faire une pipe, et ce salaud lui a cogné la tête magistralement sur le comptoir.
Soirée typique d’Elena.
— T’es qu’une pute ! hurle-t-il en la regardant se diriger vers les vestiaires pour récupérer sa veste jaune à paillettes, achetée aux puces. Le gars des vestiaires, en lui rendant sa veste atypique, la reluque et lui dit vulgairement : « Tiens, beellaaa ! » Elle ajoute tout aussi vulgairement : « Va te faire foutre enculé ! » Il hoche la tête de manière négative, elle est toujours la même : « Rétive comme un rat », se dit-il.
Le nez d’Elena saigne. Longeant le trottoir, elle s’essuie le nez avec un vieux mouchoir qui traîne au fond de sa poche depuis des mois. La rue, bondée comme le Trocadéro un 14 juillet, est pleine de mecs en rut. Ils discutent tout en guettant une occas’ de baiser. Sauf elle, c’est une pute que l’on soupçonne de couver une maladie bizarre entre ses cuisses. Donc, ils sont partagés en la regardant avec un air dégoûté, mêlé à un désir primitif.
Ces connards ne le savent pas, mais elle a chopé le sida d’un délicieux viol, une semaine et demie plus tôt. Son lot de consolation, c’est de se dire à elle-même qu’on meurt bien un jour.
Lorsqu’elle l’a annoncé à son meilleur client, pour lui éviter d’être contaminé, il a pleuré longtemps. C’est la seule personne au monde qui se préoccupe de son sort. Il lui a ordonné d’aller voir un médecin, de suivre un traitement, mais elle est catégorique : mieux vaut mourir en plein orgasme plutôt que sous perfusion.
 
— Tu es inconsciente, comment as-tu pu ? dit-il dépité.
— J’sais pas, dit-elle évasive.
Elle ne veut pas qu’il sache qu’elle s’est fait violer.
Elle pense que si elle le dit, ça sonnera comme une farce : une pute qui se fait violer ! Même l’ironie du sort ne peut le supporter. Après un long silence, elle lui affirme que, quand on tapine, il faut s’attendre aux risques du métier.
— Je peux plus coucher avec toi ! J’ai envie de mourir, Elena. Je veux mourir avec toi.
— T’es culotté de me dire ça, bah viens, on baise, comme ça t’auras ton ticket !
Il s’excuse et se rue sur elle. Ils restent allongés, l’un contre l’autre, sur le lit jusqu’à l’aube. Ce n’est que lorsqu’un rayon jette son dévolu sur les paupières de son client tant aimé qu’il se réveille. Il la quitte, non sans laisser un gros pourboire.
 
De toute façon, son cauchemar est de finir vieille pute. Elle rêve de mourir à 34 ans exactement. Mais là, elle n’en a que 24, et elle sent déjà dix piges se barrer de son corps en courant au viol et à la contamination. Elle ne tente pas de se soigner. Elena ne veut pas perdre son temps dans une chambre d’hôpital. Elle veut finir dans sa chambre, la sienne, pas celle d’un hôpital.
Elle veut mourir avec un client au creux de ses seins.
 
Elle prend une clope dans la poche de son short. Elle demande du feu à un mec mignon, du type beau gosse ténébreux ; il jure totalement avec le décor sordide de cette rue aux accents de baisodrome. Il allume sa clope, et elle la fume à une rapidité irréelle en restant en face du mec en question. Elle a complètement oublié sa présence. Elle stresse car elle n’a aucun plan pour ce soir. C’est donc une journée perdue : pas d’argent qui rentre dans son entreprise personnelle. Elle a pas mal d’argent, mais elle en veut plus ; sûrement pour combler le vide financier de son enfance.
Le mec la mate pendant qu’elle fume. Lorsqu’elle constate son existence, elle conclut qu’il ne sait pas que c’est une tapineuse.
— Je te plais Ducon ?
— J’dois dire que oui.
— Tu fous quoi là ? T’es un flic ?
— Non. Pas du tout. J’m’appel…
— J’m’en fous. Tu veux que je te suce ?
— Non euh…
— Retourne chez ta mère alors.
Elle l’abandonne et part en titubant légèrement. Elle a de la chance, ce mec était bien un flic. Mais il ne l’a pas arrêtée : elle n’est pas en exercice, et il a été attendri par la tristesse qui émane de ses sourcils froncés, de ses mains ballantes, de sa dégaine pathétique, comme un verger accidenté par un orage d’été. Son arrogance n’est qu’un leurre.
Elena rentre à pied chez elle, pour prendre un peu l’air. Elle rencontre Sonia, sa collègue, en train d’allumer deux p’tits cons. Quand Elena va la saluer, elle voit un beau coquard violacé autour de son œil droit. Un camaïeu de bleu et de violet bourgeonne sur sa gueule. Les deux p’tits cons ont vraiment envie de baiser pour vouloir se taper cette pute battue. Je la prends dans mes bras tandis qu’elle crache un flot de paroles que je n’écoute même plus. Elle fait semblant d’être opérationnelle, en jurant être trop heureuse et super-chaude pour cette nuit. Mais la vraie raison à la présence de ces deux jeunots est d’attendrir sa nuit. Ils voudraient juste du classique : un p’tit plan à trois, peut-être une double pénétration pour couronner le tout. Alors, elle oublierait ses maux.
Elena sait ce que c’est de se faire cogner. Dans ce métier, la brute est autant le client Number One que l’ennemi Number One .
Sonia essaie de les éviter de son mieux, mais elle tombe sur certains parfois, quand la chance tourne, et elle tourne souvent à son goût ! Elena aussi le pense. Elle se fait souvent tabasser par ses clients, les meufs de ses clients et même les copines des meufs de ses clients. Elle en prend plein la gueule, et ça la fait chier d’être une tête à tartes : et que je te cogne contre le mur, ma bonne salope, et que je te jette par terre, tu ne tomberas pas plus bas tout de même !
C’est vrai qu’elle n’est pas un ange. Mais ce qu’elle veut, c’est un peu de tendresse. Celle de son enfance ; les bisous de son père, et plus le fantôme qu’il est devenu ; qu’il l’embrasse sur la joue avec un bruit de pet mignon, ses mains agrippées dans son dos et son souffle léger, sentant le café froid. Qu’il la regarde faire des tours comme une conne sur une licorne rose, et comme si elle allait s’enfoncer dans un tourbillon qui cherche hâtivement les entrailles du centre commercial. Là, il la regarde avec le sourire le plus débonnaire qui soit en cet âge de cruauté, en gesticulant comme un chimpanzé tout rabougri qui connaît la grimace, avec la joie de voir sourire sa fille.
Qu’elle aime ça notre catin, que son père l’aime sans vouloir forcément la sauter, question d’éthique, seule alternative contre la prostitution père/fille. Elle aurait voulu qu’il la protège. Mais en fait, son amour n’est qu’une farce, une bonne blague. Le con. Il l’a abandonnée à son propre sort.
Bref, elle ne connaît pas le bonheur. Elle et Sonia sont dans la même galère des « coups à tout bout de champ ». Elles n’en parlent jamais quand elles voient l’autre fracassée ; une entente muette de putes écorchées vives qui se donnent des petites tapes dans le dos, comme un geste essentiel contre la dépression de putes : faut pas lâcher la viande, faut continuer de tafer, y a qu’ça de vrai. Il faut croquer de la chair là où il y en a, il faut survivre.
Elena est sans cesse en colère d’être une femme battue sans le mari qui va avec. Elle en a marre d’être une ratée, une merdique et de ne rien faire pour s’en sortir. Elle est en colère contre sa paresse, son inaction. Elle est aussi en colère quand elle voit le bus et qu’elle se refuse de courir après pour ne pas être essoufflée et transpirante. Elle se dit aussi que presque tout le monde est comme elle, mais que certains le cachent mieux que d’autres. Elle fait partie d’une catégorie en toc.
Elle a été une enfant passive, sans ambition réelle. Sa mère voulait qu’elle soit propre et polie. Et lorsque la maîtresse lui demandait ce qu’elle souhaitait faire plus tard, elle disait : « Je veux plaire ». La maîtresse lui avait demandé : « À qui ? » et elle avait dit : « Aux gens. » Elle n’a jamais pensé à aucun métier. Son rêve était de plaire et de satisfaire, tout en restant polie et propre.
Ce qui l’a le plus blessée a été qu’elle n’a plu ni à sa mère ni à son père. Ses bonnes notes au primaire leur passaient par-dessus la tête. Sa mère hurlait toujours : « Ça m’amène pas du pain à la maison, ça !!! » Alors, un jour, elle a eu la folle idée d’aller voler du pain à la boulangerie. La boulangère l’a surprise, mais elle a feint de ne pas voir la petite Elena, mignonne comme tout, sortir avec un pain caché dans s

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