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Alexis Bouvier (1836-1892)
"C’était par une chaude soirée d’été ; à l’accablante ardeur de la journée succédait une nuit lourde et pleine d’orage ; de longues nuées noires s’étendaient sur le ciel gris, éteignant les dernières lueurs rouges du soleil couchant.
En même temps que la nuit, le silence envahissait le vieux quartier du Marais.
Neuf heures et demie venaient de sonner ; la rue Payenne était déserte.
Les rares boutiques étaient fermées, les hauts contrevents des vieux hôtels étaient clos. De la rue du Parc-Royal à la rue des Francs-Bourgeois une seule maison avait encore ses fenêtres éclairées.
Petite maison d’apparence discrète, construite au milieu d’un jardin touffu, – arraché dans une vente au parc du grand hôtel voisin, – dans l’ombre des arbres séculaires, elle paraissait le nid frais et fleuri d’un ménage heureux.
C’était une de ces constructions modernes qui, cherchant à corriger un style, n’a plus même l’originalité du sien. Élevée sur un sous-sol qui servait aux cuisines, on arrivait au rez-de-chaussée par un perron sur la grille duquel se tordaient les plantes grimpantes de saison.
Le rez-de-chaussée se composait d’un vaste salon, d’un fumoir et d’une salle à manger. C’est de cette dernière pièce que jaillissait la lumière, qui, tamisée par le feuillage des arbres, étalait ses arabesques lumineuses sur le pavé noir de la rue.
Les maîtres de la maison venaient de terminer le repas du soir ; ils se levaient de table."
La terrible vengeance d'un ancien officier de marine envers son épouse infidèle et l'amant de celle-ci...
La femme du mort
Alexis Bouvier
Décembre 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-007-0
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1005
PREMIÈRE PARTIE
I
Où Pierre Davenne apprend un terrible secret
C’était par une chaude soirée d’été ; à l’accablante ardeur de la journée succédait une nuit lourde et pleine d’orage ; de longues nuées noires s’étendaient sur le ciel gris, éteignant les dernières lueurs rouges du soleil couchant.
En même temps que la nuit, le silence envahissait le vieux quartier du Marais.
Neuf heures et demie venaient de sonner ; la rue Payenne était déserte.
Les rares boutiques étaient fermées, les hauts contrevents des vieux hôtels étaient clos. De la rue du Parc-Royal à la rue des Francs-Bourgeois une seule maison avait encore ses fenêtres éclairées.
Petite maison d’apparence discrète, construite au milieu d’un jardin touffu, – arraché dans une vente au parc du grand hôtel voisin, – dans l’ombre des arbres séculaires, elle paraissait le nid frais et fleuri d’un ménage heureux.
C’était une de ces constructions modernes qui, cherchant à corriger un style, n’a plus même l’originalité du sien. Élevée sur un sous-sol qui servait aux cuisines, on arrivait au rez-de-chaussée par un perron sur la grille duquel se tordaient les plantes grimpantes de saison.
Le rez-de-chaussée se composait d’un vaste salon, d’un fumoir et d’une salle à manger. C’est de cette dernière pièce que jaillissait la lumière, qui, tamisée par le feuillage des arbres, étalait ses arabesques lumineuses sur le pavé noir de la rue.
Les maîtres de la maison venaient de terminer le repas du soir ; ils se levaient de table.
C’était Pierre Davenne, sa jeune femme Geneviève et leur fille Jeanne ; le plus heureux ménage, la plus charmante famille, de l’avis de tout le quartier.
Après avoir embrassé sa femme et sa fille, qui se disposaient à gagner leur chambre, Pierre Davenne dit à la première avec une tendresse inquiète :
– Allons, ma belle aimée, repose-toi bien, que demain tu n’aies plus ce teint pâli, ce front soucieux. C’est ce temps lourd, étouffant, cet orage menaçant qui t’indisposent.
– Ce n’est rien, mon ami, un bon sommeil près de ma Jeanne, et demain il n’y paraîtra plus. Mais il me semble qu’au contraire c’est toi qui es malade.
– Moi ?
– Oui, tu parais nerveux, fiévreux, tourmenté.
– Tu es folle, ma chère enfant, je n’ai absolument rien ; l’orage peut-être.
– Que vas-tu faire à cette heure ?
– J’étouffe. Je vais me promener une heure dans le jardin, en fumant un cigare.
– Tu ferais beaucoup mieux de te reposer.
– Je ne pourrais pas dormir. Allez vous coucher bien vite ; et s’adressant à sa fille, tendant ses lèvres épaissies, beubeuses, pour offrir un baiser, il lui dit :
– Bonsoir, ma petite Jeanne, allez dormir avec maman.
L’enfant se jeta au cou de son père qui la caressa, en zézayant les noms les plus doux. La mère les regardait, heureuse, attendrie ; enfin elle prit le gracieux bébé, sonna la bonne et se dirigea vers sa chambre en rendant à son mari le sourire tendre qu’il lui donnait.
Lorsque la mère, l’enfant et la bonne eurent disparu dans l’escalier, qu’il entendit leurs pas au-dessus de lui, Pierre Davenne rentra dans la salle à manger ; il tira de sa poche un petit papier qu’il déplia, et sur lequel il lut :
« Monsieur,
« On vous demande une demi-heure d’entretien. Il y va de votre avenir et de votre honneur. Sous la condition du secret absolu, je me présenterai chez vous ce soir, à dix heures. »
– C’est bien à dix heures ! fit-il après avoir lu, et il regarda l’heure à sa montre.
Il était dix heures moins vingt minutes.
Il se mit à la fenêtre, cherchant à deviner l’objet de ce singulier rendez-vous, et se demandant si la lettre était d’un homme ou d’une femme.
Pierre Davenne avait environ trente ans. Lieutenant de vaisseau, il avait servi dix ans dans la marine. Un jour, ayant hérité d’un oncle qui composait à lui seul toute sa famille, il résolut d’abandonner la mer pour se marier et remplacer ainsi la famille absente. Il rencontra Geneviève, orpheline d’un officier qui avait été son ami et son professeur à bord.
Geneviève Drouet était une petite ouvrière bien modeste, bien sage, qui avait été élevée par sa tante, la sœur de feu le lieutenant Drouet, le vieil ami de Pierre.
Pierre épousa la jeune fille et garda chez lui la vieille femme ; elle mourut l’année même qui suivit le mariage de sa nièce.
Davenne, après un an de ménage, se déclarait le plus heureux des hommes : il vivait avec sa femme et son enfant et ne recevait chez lui qu’un de ses anciens compagnons d’armes, démissionnaire comme lui, son seul ami ; brave et loyal garçon ayant son âge, qu’il considérait comme son frère, et auquel il avait fourni la commandite de sa maison : il se nommait Fernand Séglin.
Le service de la maison se composait de deux domestiques : Annette, qui servait à la fois de cuisinière et de femme de chambre, et Simon Rivet, l’ancien brosseur de Pierre Davenne, un matelot à tous crins qui était à la fois le domestique et le jardinier. Simon était plus qu’un serviteur ; c’était un chien fidèle, un dévoué, qui se serait fait tuer pour son maître. Après son chef, Simon adorait la petite Jeanne ; il n’avait pour Mme Davenne qu’une amitié beaucoup plus réservée ; il disait qu’elle lui avait « volé » l’affection de son maître.
Davenne quitta la fenêtre et descendit dans le petit jardin ; il se promena, aspirant à pleins poumons l’air tiède, cherchant vainement la fraîcheur sous les feuilles des arbres immobiles que pas un souffle n’agitait. Après avoir été jusqu’au bout du jardin, il revint vers l’entrée du sous-sol, juste au moment où Annette redescendait ; il lui demanda :
– Madame va-t-elle mieux ? Ne vous a-t-elle rien demandé ?
– Non, monsieur, madame est couchée ; elle a prié qu’on fît le moins de bruit possible, qu’elle voulait dormir.
– Vous auriez dû lui faire un peu de tisane.
– Madame a refusé, je lui avais offert. Monsieur n’a pas à s’inquiéter, madame n’est pas malade, elle m’a recommandé de l’éveiller demain de bonne heure.
– Bien ! Annette, dites à Simon que je me promène sous les arbres ; on doit venir me demander vers dix heures, qu’il me prévienne dès qu’on sera venu.
– Oui, monsieur, je vais le lui dire tout de suite.
Pierre Davenne ralluma son cigare et continua sa nocturne promenade dans l’étroit jardin. Arrivé à l’extrémité, il s’assit devant une petite table de fer. Accoudé, les yeux fixés sur la fenêtre de la chambre – où reposaient ceux qu’il aimait, – éclairée à cette heure par la lueur pâle de la veilleuse, il rêvait d’amour et de bonheur, et il remerciait Dieu qui l’avait élevé à ces deux sommets, la fortune et l’amour.
Il rêvait depuis quelques minutes, lorsqu’il lui sembla entendre s’ouvrir et se fermer la porte de la rue. Il vit une ombre se diriger vers lui.
– C’est toi, Simon, demanda-t-il.
– Oui, lieutenant.
– Que veux-tu ?
– La dame qui vous a écrit vient d’arriver.
– C’est une dame ? fit Pierre intrigué. Tu l’as fait entrer au salon.
– Mon lieutenant, je le lui ai offert, mais elle a refusé, elle ne veut pas entrer dans la maison.
– Est-elle jeune ?
– Ça, ça n’est guère facile à voir, elle est encapuchonnée dans un voile noir.
Pierre Davenne se leva et se dirigea aussitôt vers l’entrée, suivi par Simon.
L’inconnue, debout dans l’ombre de la nuit, s’avança en les voyant paraître. Pierre vint vers elle et lui dit :
– C’est vous, madame, qui désirez me parler ?
– Oui, monsieur.
En disant ces mots elle fit un signe pour montrer que le domestique qui la regardait les yeux ronds, la bouche béante, était de trop. Sur un mot de son maître, Simon s’éloigna en clignant de l’œil et en haussant les épaules.
– Madame, dit aussitôt Pierre, je suis à vos ordres, et lui désignant le perron il s’effaça pour la laisser passer.
– Je désirerais, monsieur, ne pas entrer chez vous.
– Mon Dieu, madame, je ne vois pas alors le moyen d’être assuré du secret que vous m’avez demandé ; la bonne ou mon domestique peuvent se trouver dans le jardin sans que nous les voyions. Un de mes voisins peut, comme moi, prendre le frais à cette heure.
– Vous avez raison, monsieur, fit l’inconnue avec un désappointement visible, mais nous serons seuls, et je ne risque point d’être vue ?
– Je suis le seul encore debout dans la maison. Permettez- moi de vous diriger.
Tout à fait intrigué, et surtout gêné par les allures singulières de la visiteuse, il monta rapidement le perron, ferma à clef la porte du vestibule qui donnait sur l’escalier de service ; puis il ouvrit la porte du salon, et, ayant pris la lampe de la salle à manger pour s’éclairer, il fit entrer la femme voilée.
Dès qu’elle fut dans le salon, Pierre ferma la porte du vestibule, puis poussa le verrou, et ayant approché un siège, il dit :
– Madame, nous sommes absolument seuls, vous pouvez parler.
– La lettre que je vous ai adressée ce matin vous a dit la gravité du motif qui me dirige.
– Madame, j’espère que vous avez exagéré les mots. Vous me parlez de mon honneur, de mon avenir, ce sont bien les mots.
– Oui, monsieur, vous en jugerez tout à l’heure.
– Avant, madame, pour avoir dans vos paroles la confiance qu’elles méritent, puis-je savoir à qui j’ai l’honneur de parler ?
– Monsieur, mon nom ne vous servirait à rien, vous ne me connaissez pas.
– Permettez-moi de vous dire encore, madame, que je vous prierai au moins de relever votre voile, le mystère dont vous vous entourez m’embarrasse.
La dame resta muette un instant, puis tout à coup, comme si elle prenait un violent parti, elle dit :
– J’ai la certitude que vous ne mettrez pas en doute ce que je vous dirai, ce que je vous prouverai ; au reste, je saurai ainsi s’il a parlé de moi chez vous. Monsieur, je me nomme Madeleine de Soizé.
Et, arrachant vivement son voile, elle ajouta en regardant fixement le jeune homme :
– Vous voyez, monsieur, que vous ne me connaissez