L’ŒIL NU
260 pages
Français

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Description

Akaï et Saidje sont épuisés après dix jours de cérémonies palpitantes. Ils se retrouvent au petit matin, sans sommeil dans un lit à baldaquin à la taille augmentée de cette fête gigantesque. David fait des bêtises avec son boy. Les parents d'Akaï dorment dans un coin du sommeil des justes, son aîné Kittichai intervient dans son sommeil. « La nuit tombée, l'orée du petit jour, peut-être, s'empare des variations de l'éclairage, la nuit bleutée exile de nouveaux parfums ambrés. La respiration de la terre humidifie provisoirement le dehors. Des bruits lointains, des clochettes, des tambourins aussi, se font entendre, comme des illusions fugaces, des ronrons de fantômes. Il n'y a rien et rien avant. C'est l'heure inquiète où tout bruissement éveille l'oreille. C'était un beau mariage... »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 janvier 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414177851
Langue Français
Poids de l'ouvrage 14 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-17783-7

© Edilivre, 2018
L’Œil nu
 
Le récit de la fête est la moitié de la fête.
Proverbe Tadjik
– Je n’ai pas terminé l’histoire de la mouche ni de Patrick. Je commence par laquelle ?
– Tu n’y penses pas, Sai Dje. Il nous manque David.
– C’est vrai mais vous pourrez le briefer, car j’en ai encore un certain nombre et les livres ont des pages limitées. Je suis assez embêté, pour le moment David doit être en train d’atterrir à Londres. Il a fait des bêtises qui ont contrarié mon ami Kittichai, il est donc au piquet.
– Laquelle est la plus courte ? Tu veux un fruit ? Kittichai tu dors ?
– Pas du tout, pourquoi ? dit celui-là en ouvrant un œil interrogateur. Il a un air halluciné, hagard. Il ferait mieux d’aller au lit. Son front penche dangereusement contre un pilier indien pas trop loin du bois de lit, recouvert ici et là de bavures de peinture d’un bleu-gris délavé, le temps a fait son ouvrage et décapé tout le reste.
– Eurgh…, fait Akaï qui se racle la gorge avec un bruit qui remonte de ses intestins. Sa petite main fait des tourniquets autour de sa bouche. Elle pivote.
En réalité Kittichai dort debout. Est-il vraiment au fait qu’il est tout à fait nu, sans feuille de vigne pour masquer ses parties basses ? Plus minuscules que celles du David de Michelangelo.
– Parce que ta tête dodeline, répond Saidje. Pourquoi t’es-tu levé ? Viens au lit avec nous. On est un peu serré tous les cinq mais papa-maman dorment déjà assez profondément, ils ont rapetissé tant qu’ils ont pu pour nous laisser de la place. Je vais retaper le lit dans la chambre d’à-côté, celle où des poules et des coqs aux couleurs flamboyantes atterrissent sur des graines, c’est un papier assez cher, un vintage intissé tout à fait unique, dessiné par Laura Ashley m’a dit David qui s’y connaît quand il est question de La Couronne, quand elle s’est lassée de dessiner des petites fleurs, juste avant sa mort accidentelle. Akaï je t’en supplie, continue Saidje en se retournant, essuie-toi les yeux tu as déjà assez pleuré pour ce matin. A ce propos, les enfants, connaissez-vous La Poule de Rameau, jouée par Dimitri Sokolov ?
Kittichai proteste, un de ses yeux est fermé l’autre ouvert : « Mais ils dorment profondément ! Ils ont besoin de se refaire après cette semaine épuisante. Heureusement qu’on ne célèbre pas un mariage tous les deux jours, bien que je ne sois pas le marié je suis moi-même à bout ! David reviens ! »
Akaï articule lentement, malgré ses larmes qui ne cessent pas de couler : « Tes bras câlins, Kittichai, déposeront papa-maman sans qu’ils le sachent, c’est un tableau charmant, ils croiront toujours être avec nous, ce sera une œuvre célèbre copiée sur La Déposition de la Mère de Vermeer. Sai Dje veut terminer l’histoire de la mouche. »
– Il faut attendre David, réplique Kittichai étourdi, tu l’as dit toi-même il y a un instant. On voit bien qu’il a la tête ailleurs. Mais ailleurs c’est où ? Il vacille légèrement, sa tête dodeline sans qu’il le sache, le pilier en bois de teck le retient. Son corps massif, épilé à la cire, luit ici et là au hasard des reflets de la pénombre, une lampe plafonnier kaja indien fait des efforts pour donner quelque clarté au tableau, secondée par une dizaine de petits bougeoirs photophores marocco-asiatiques disposés ici et là. Les petites flammes sont gigotées par un air traversant.
– Sai Dje l’a mis au coin, il en a encore pour un moment. Ce sera sa punition, continue Akaï, le petit frère, qui fait d’autant plus minuscule que son frère aîné est une masse de chair gigantesque.
– Pourquoi pas l’histoire de Patrick… Euh non, quelle horreur ! C’est une erreur fait le gros alangui, avec cet air abruti de celui qui ne sait plus où il habite. Il est punché dans les cordes du ring ! C’est un malheur de voir ce corps musclé être dans l’abandon de ses connexions neuronales.
– Encore… ! Kittichai tu rêves, couche-toi ! Je ne vais rien dire de Patrick pour l’instant, ce serait indélicat. » Saidje est assez catégorique. Du coup Akaï sèche ses larmes avec un bout de drap à sa portée. Il tapote plutôt avec une efficacité limitée. Comme Pau Casals le faisait jadis avec son violoncelle. Les arpeggiatures du triple concerto de Beethoven grimpe des échelles chromatiques qui se répondent avec élan.
– Nos oreilles sont à toi, Sai Dje, dit-il entre deux tapotages, je ne sais pas si elles sont simples, mais du moins elles te sont offertes, toi qui a guéri Paulette S. et qui fait cas de cas qui n’existent pas.
Ils pouffent tous les trois en un decrescendo d’instruments de musique de chambre, mais en silence, pour ne pas réveiller papa-maman qui dorment comme des loirs. On distingue au loin les grincements des deux violons de Bach, probablement la version Oïstrakh-Menuhin, un enregistrement de référence.
– Silence, chuttt, fait Akaï en mettant un doigt devant sa bouche, ce qui est pour lui un geste assez habituel. Il pianote.
– Je suis si heureux de faire partie de votre famille, chuchote Saidje. En vérité dans ce monde il n’y en a qu’une. Tous les humains sont frères…
– Ou cousins, opine Akaï sur le souffle. Il est asthmatique, en plus d’avoir des joues couperosées et bien arrondies, comme un hamster qui vient d’avaler un radis noir, il prend une petite friandise violacée à la place, qu’il mâchonne consciencieusement. Dans l’exotisme local rien n’est pareil.
– Un destin immérité m’a cogné si fort dessus que j’ai une bosse, poursuit Saidje.
Akaï prend sa main et la mordille un peu en disant avec sa voix presque effacée : « Mon Parthénon. » Puis il s’essuie la bouche vigoureusement.
– Même ce pervers de David est si charmant, si fin, si généreux, mais hélas il ne le sait pas, réplique Saidje, en attrapant un kumquat. Il fixe Akaï, déçu.
Sur ce coup Kittichai ne dodeline plus comme s’il faisait face au mur des lamentations, nettement géographiquement plus à l’ouest, question longitude. Singapour huit heures avant Londres. Jérusalem trois heures seulement, pas de jetlag. On prononce le nom de David et ses yeux sont grands ouverts, même en tenant compte de sa mèche qui n’a pas l’air de le gêner et balaye ses fossettes. Il articule sur un ton langoureux qui souligne ses sentiments : « Ce ne sont pas ses activités sexuelles qui me tracassent, au contraire, ça me fait des vacances, mais le rapprochement de ses rechutes. Son cœur et son esprit sont avec moi, je le sais, mais sa nature animale l’entraîne dans des abîmes affreux. Je réprouve ces agitations assez pénibles sans pouvoir les empêcher. Ce sont des addictions que sa volonté ne peut pas réfréner, je vois bien qu’il souffre de ces pulsions inquiètes, et alors sa souffrance est la mienne. »
– Ne le laisse pas te détruire, dit Saidje en mordant dans le kumquat généreusement ! Le bulbe en forme de testicule de coq est arraché par moitié. Toute violence se tourne vers la mort.
– Saidje je t’aime vraiment comme tu sais, réplique Kittichai, sa paupière droite est un peu affaissée, mais laisse tes commentaires stupides au garage. Je suis un roc. Je suis cent fois plus fort que la part en toi qui est turque.
– Mais pas truquée. J’aime tant Kittichai quand tu es drôle, continue à m’amuser, ne fais rien ! Ne rien faire est ta vocation. Je ne sais pas comment tu arrives à porter ton poids lourd sur tes petits petons de danseuse de music-hall ?
Kittichai pousse un long soupir pour laisser passer l’orage, et quand l’orage s’est calmé, avec des gestes de doigts mantriques il enchaîne :
– Quand il chute il y a des bouts de moi qui se divisent, mon bras est presque arraché. Mais je tiens fermement où je me trouve, hum…, grâce à vous. Je suis arraché mais je m’en fiche. Toi qui as guéri Paulette S., tu sais bien la puissance de nos bras.
– Tu rigoles. On ne guérit pas ses patients. C’est un conte inventé. Ils se guérissent, c’est possible, et encore assez incertain. Ce sont eux qui font le travail, et David pareil. Il a une force considérable, sa sexualité est débridée, ses hormones excédentaires, c’est un Samson, mais il faut que ses efforts soient plus grands. En fait psychanalyste est un nom qu’on se donne pour plaisanter entre nous.
– Comment sais-tu qu’elle va mieux ? demande Akaï de sa voix la plus simple.
– Si tu parles de Paulette, et que tu tiens à la vérité, je l’ai rencontrée dans l’autobus le jour de la mort de ma femme. Quand je suis rentré de la clinique elle était dans le même bus, un peu au fond, elle m’a immédiatement reconnu et est venue me parler. Je n’avais pas eu de ses nouvelles depuis un an, car ceux que nous soignons nous abandonnent dans la poubelle avec les souvenirs mauvais qu’ils ont mis à l’intérieur. Mais là c’était une rencontre spontanée.
– Abrège je t’en prie, dit Akaï, celui avec qui Saidje s’est marié récemment. Se marier deux fois dans une vie est la norme, une moyenne un peu molle.
– Oui, tu fais bien de me rappeler que j’ai tendance à être long. Tu es fait pour me restreindre. Enfin… bon, elle est donc venue me parler… Akaï, ta petite taille parle pour toi. Tu achètes du douze ans. On trouve de tout dans les contrées exotiques. Elle avait repris une vie normale, quoiqu’un peu terne, elle avait recommencé un peu la couture, elle refaisait la cuisine deux ou trois fois par semaine pour soulager son mari. Elle gardait ses petits-enfants. Sa fille était enceinte du troisième. Elle rendait visite à ses voisines. Elle était redevenue la mère juive qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être.
– Elle était heureuse ? Kittichai dodeline de plus en plus, on craint pour les vases chinois de Nankin.
– Kittichai ne joue pas les naïfs. Si la vie était un conte de fées on sera

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