L année où Rosetta a été tuée
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Description

« Pourquoi rouvre-t-on cette affaire si longtemps après ? Sûrement un ordre d’en haut. Le préfet ? Un député ? Le président de la République ? Le pape ? Inutile d’y penser. Il faut respecter la consigne de la plus grande discrétion ! Le seul à connaître la véritable raison de ma présence, c’est ce maire logorrhéique, un vrai moulin à paroles. Pourtant je n’ai pas le choix, ses propos sont le seul moyen de reconstituer ce qui s’est passé l’année où Rosetta a été tuée : le seul espoir de découvrir quelque chose. Je ne peux qu’écouter. »Dans un village perdu du Piémont, un commissaire enquête sur la mort tragique de Rosetta survenue quelque vingt ans plus tôt. Affaire de famille ? Crime politique ? Fausses pistes, renseignements sibyllins, mythologie locale — l’enquête progresse tant bien que mal dans un milieu hostile et fermé. Pénétrant peu à peu dans le labyrinthe du passé qu’on a effacé à dessein, parviendra-t-on à reconstituer la vérité ?« Perissinotto joue des clairs-obscurs, des atmosphères de déliquescence, met en images des mélancolies lointaines. Tel Simenon ou comme l’Islandais Arnaldur Indridason, le Turinois a fait le choix du roman à énigmes pour appréhender le côté obscur de notre monde, ses défaillances, ses injustices, ses abominations. » Télérama.Alessandro Perissinotto est professeur de sémiologie à l’Université de Turin. Il est notamment l’auteur de La Chanson de Colombano, d’À mon juge et de La Dernière Nuit blanche.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 14 avril 2011
Nombre de lectures 30
EAN13 9782738195104
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Titre original : L’anno che uccisero Rosetta © 1997, Sellerio Editore, Palermo
Pour la traduction française : © ODILE JACOB, AVRIL 2010
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9510-4
ISSN : 1952-2126
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Le vent continue à souffler, des deux côtés du col, et les chiens aboient car ils le sentent. Ici, tous les chiens souffrent du vent, tous, sauf ceux de Pantera.
Il a deux chiens, Pantera et, quand il va boire au Moderne, ils l’attendent dehors. Devant la porte du Moderne, il y a trois marches d’escalier, et les chiens de Pantera, un de chaque côté, on dirait vraiment deux lions de pierre ; des heures, ils restent là.
Pantera en fait s’appelle Pancrazio, mais personne ne l’appelle plus par son prénom. Les ivrognes, chez nous, ne portent jamais leur vrai prénom. Alpininrussia, par exemple, il suffit de lui dire : « Alpininrussia, viens voir », et il arrive. Pantera, lui, ne répond même plus.
Quand il a assez bu au Moderne, Pantera, il va à la coopérative. Là-bas, ils ont un dolcetto à vous ressusciter un mort. Vous devriez y goûter, vous aussi. Non pas que vous ressembliez à un mort, entendons-nous bien, mais c’est pour dire. Ils ont aussi la télévision, à la coopérative, mais comme jamais personne ne la regarde, elle est toujours éteinte. Du temps où ils avaient la radio, c’était différent. Un jour à la radio ils ont joué l’ Internationale , ça devait être Radio Moscou ; Renzo Ala et Giovanin ’d Tinin 1 qui se trouvaient là l’ont entonnée eux aussi. Le lendemain, les fascistes ont rappliqué et les ont tabassés.
La femme de Pantera, après l’événement, a filé de l’autre côté du col avec Rosso 2 , un peu parce qu’elle avait la trouille, dites, c’était la cousine de Rosetta, un peu parce que tout le monde savait qu’elle sortait avec lui ; mais ça n’a peut-être pas non plus d’importance : ici on sait tout sur tout le monde, et ça n’intéresse plus personne. En vérité, Rosso voulait repartir en France, il y avait déjà travaillé avant guerre et, elle, rester avec son mari, ça ne lui disait plus rien, surtout après ce qui s’est passé.
Mais allons à l’église, don Celestino a déjà sonné le glas deux fois. Le service funèbre va commencer. Reculez un peu, pour laisser aux femmes les places près du confessionnal, comme ça elles entendent mieux.
Ça, ce sont les petits tableaux des miraculés, autrefois chacun faisait le sien, mais aujourd’hui c’est Mancino 3 qui les peint tous, sur commande. Un petit tableau de Mancino ça peut coûter un paquet de sous, mais ça en vaut la peine. On lui raconte la scène du miracle et, trois jours après, on va chercher le tableau, plus vrai et plus miraculeux que la scène même, bien mieux. Les miracles les plus fréquents, ce sont les incendies dans les granges.
« Écoute ça, Mancino, lui raconte-t-on, samedi soir, j’étais dans la grange, quand j’ai senti une odeur d’essence, je me retourne, tout cramait déjà : un vrai miracle si je me suis rien cassé en sautant.
– Et la Margherita ?, lui fait-il, la Margherita qui se sauve à poil de ta grange, on la met ou pas ?
– Va te faire foutre, Mancino. »
C’est comme ça, Mancino en sait toujours plus que les carabiniers, sur tout. Vous pourriez lui demander à lui les renseignements sur ce qui s’est passé. Ah non, pardon, il a commencé à peindre en 46, deux ans au moins après l’histoire de Rosetta. Avant, quand il avait encore son bras droit, il n’était pas fichu de tracer un cercle à l’aide d’un entonnoir. Et puis, en 46, au mois de juillet, en allant se baigner un après-midi au lac de la Fertà, il aperçoit une boîte métallique au fond. D’après lui, elle ressemblait à ces boîtes de succédané de chocolat que les Américains balançaient de leurs zincs. En fait, c’était une grenade. Le vrai miracle, c’est que ça ne lui a emporté que le bras droit. Alors lui, de la main gauche, il a peint ce petit tableau que vous voyez là-haut, celui avec la grenade qui explose sous l’eau.
Depuis, il n’a plus arrêté d’en peindre, de ces tableaux. Ici, les miracles ont lieu à foison, sans doute à cause des nombreux accidents. La grenade qui lui a emporté le bras droit, à Mancino, ne se trouvait pas là par hasard. C’était une de celles que les partisans utilisaient pour pêcher les truites de la Fertà, lorsqu’ils se planquaient à l’Alpe-du-Mois-d’Août. Il est persuadé que sa grenade, c’est Mini qui l’a lancée, c’est-à-dire Domenico ’d Luis, il n’y a pas plus maladroit que lui, pas étonnant qu’elle n’ait pas pété. Il jure que dès qu’il le retrouve, il lui arrache le bras droit à coups de dents. Sauf que Mini est passé de l’autre côté du col en 45 et qu’il n’a pas l’intention de revenir, s’il est toujours de ce monde. Peut-être devriez-vous y aller vous aussi, de l’autre côté du col : tous ceux qui vous intéressent sont là-bas, mais peut-être ne le pouvez-vous pas, vu que, là-bas, c’est la France.
Vous savez pourquoi l’Alpe-du-Mois-d’Août s’appelle comme ça ? Parce que c’est si haut qu’on n’y va qu’en août, quand les bêtes ont brouté toute l’herbe plus bas. Mais vous l’aviez peut-être deviné. «  Ave Maria » , allez-y, dites-le vous aussi, sans quoi n’espérez pas l’aide de don Celestino.

1 - Giovanin ’d Tinin, c'est-à-dire Giovanin(e) d Tinin, en français : Jeannot [fils] d’Augustin. Et ainsi pour les autres noms propres dans le dialecte piémontais des vallées de Lanzo. (Toutes les notes sont du traducteur.)

2 - Rosso  : le Rouge, le Communiste.

3 - Mancino  : le Gaucher.
Les murs de l’église sont couverts d’ex-voto, les petits tableaux des miraculés comme les qualifie le maire. Il s’agit de détrempes, d’aquarelles, mais certains sont à l’huile. Les images sont simples, je dirais presque naïves, si ce n’était un terme aujourd’hui galvaudé. En tout cas, elles tranchent avec les fresques baroques de la voûte et les dorures des faux chapiteaux. J’aurais bien aimé voir cette église avant sa « baroquisation ». J’ai lu que le clocher, de pierres sèches, est antérieur à l’an Mil : cela laisse imaginer un intérieur sans enduit, froid et sombre comme les abbayes du Nord. Seul le pavement de pierre brute est resté tel quel, mais la voûte en bois réclame elle aussi son dépouillement originel. Dans les espaces entre les panneaux, le faux enduit de la fresque commence à se craqueler et, de temps en temps, du haut de ce ciel couvert d’étoiles et de saints, il pleut des éclats de peinture bleu foncé.
Je ne suis pas mécontent qu’on m’ait envoyé ici en montagne, simplement j’aurais préféré y venir en été. D’ailleurs, on savait depuis des mois ce qu’il y avait à faire et, même, qui s’en chargerait : « Allez-y, a dit le chef, puisque votre famille est de là-haut. » Qu’importe, si je n’étais jamais venu sur la terre de mes ancêtres, si je ne connais personne ici, et si personne ne me connaît. J’étais prêt, il n’y avait qu’à guetter l’occasion propice, voilà qu’elle se présente à la mi-novembre : une lointaine parente meurt. Certes, cet enterrement fournit un bon prétexte pour venir au village, mais après, qu’est-ce que je vais dire ? Comment justifier que je reste ici ? Il faut que j’y réfléchisse, peut-être n’aurai-je pas besoin d’y séjourner longtemps, peut-être découvrirai-je tout en deux jours.
Il est bon de temps en temps de se bercer d’illusions. De se convaincre qu’on peut trouver l’assassin de cette Rosetta ; ainsi que la manière, les circonstances et le mobile d’un meurtre survenu il y a belle lurette et, peut-être bien, y parvenir rapidement. Alors qu’on ne m’a même pas dit pourquoi on rouvre cette affaire si longtemps après, ni pourquoi on ne la confie pas aux carabiniers du district. Sûrement un ordre d’en haut, mais à quel niveau ? Le préfet ? Un député ? Le président de la République ? Le pape ? Inutile d’y penser. Respecter la consigne de la plus grande discrétion ! Le seul à connaître la véritable raison de ma présence, c’est ce maire logorrhéique : il parle sans discontinuer, en mêlant italien et patois, intarissable dans son récit de personnes, de faits, de situations ; un vrai moulin à paroles. Mais je n’ai pas le choix, ses propos sont le seul moyen de reconstituer ce qui s’est passé l’année où Rosetta a été tuée : le seul espoir de découvrir quelque chose. Je ne peux qu’écouter. «  Ave Maria . »
Celle-là, là-bas, c’est la tombe de Rosetta, on y passera après. Toutes les autres autour datent aussi de 44. Nombreuses, trop nombreuses, à l’époque. C’étaient presque tous des amis de Rosetta. Là, par exemple, il y a Toju ’dla Toj ; pendant la guerre, il avait caché un juif : Avigdor, il s’appelait, un de la ville. Quand ça sentait la rafle, Toju bouclait Avigdor dans la cave derrière une étagère. Un coup, les rafles ont duré quatre jours, l’autre en est ressorti avec une pneumonie. Toju aimait beaucoup Avigdor, alors il est allé lui chercher des médicaments partout dans la vallée, au marché noir : mais rien à faire. Alors ils sont allés appeler Idina. Il a bien fallu six gars pour la porter là-haut, jusqu’à la Toj.
Avant, rares étaient ceux qui avaient vu Idina s’éloigner de chez elle. Toujours assise devant sa porte, été comme hiver. Pour sûr, elle ne craignait pas le froid, avec toute sa graisse. Elle ne pouvait même pas serrer les jambes, tellement elles étaient grasses, on aurait dit un cou de veau.
Quand ils l’ont assise devant le l

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