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Description

Né en 1881 dans la Russie impériale, Nikolaï Tytchkine devient le T dont il signe ses toiles le jour où il décide de consacrer sa vie à la peinture. Une vocation que son père lui fera payer d’un mariage forcé et d’un bannissement hors les murs. Il traverse la première guerre mondiale, la révolution russe, la solitude de l’émigration, la France des années folles, de l’occupation et de l’après-guerre.

D’une éducation sévère à l’Académie Militaire de Saint-Petersbourg, il garde une raideur ascétique , et de sa formation artistique en Toscane, celui des femmes offertes. Quant à sa recherche de vérité sur une peinture dite de l’intérieur, elle lui vaudra l’intérêt croissant des policiers.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 octobre 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414503438
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
194, avenue du Président Wilson – 93210 La Plaine Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-50431-2

© Edilivre, 2020
Dimanche 11 Novembre 1900, Pérouse
C’est au soir de ses 19 ans, ivre de confiance et de grappa, que Nikolaï Tytchkine prend une décision qui engage sa vie. Il sera peintre et signera ses œuvres de la lettre T. Après un un an sans relâche à écumer les bibliothèques, copier les grands maîtres et les corps, il pense être seul à savoir faire vibrer l’incarnat des joues d’une vierge polychrome, faire sourire les morts et donner à leurs chairs l’éclat du marbre. Mais trêve de suffisance, il a rendez-vous avec ses cadavres.
Abandonnée des hommes et des chiens, la ville de Pérouse est plongée dans un brouillard jaune qui forme autour de ses rues une étoupe de silence. Pour ses premiers pas via del Pozzo, T cherche le sol. Avec plus de grappa dans le sang que d’eau dans l’humidité de l’air, il remonte le Corso et se pose à l’arrière de l’hôpital Santa Maria della Misericordia devant une porte basse bardée de métal et de traces de moisissure. C’est là que la nuit, il partage le royaume du légiste.
Il peine à trouver l’entrée de la serrure, s’y reprend à trois fois, et dès la porte ouverte, recule sous l’effluve de métal froid, de grésil, de graisse et d’éther qui perturbe son l’alcoolémie. Il s’avance, et au-delà du bac blanc où le médecin baigne ses bras, il décèle un parfum supplémentaire comme celui d’une rose fanée. Ce sont des cheveux blonds qu’il aperçoit d’abord, tonnerre de vie qui contraste avec les cheveux blancs, gris, clairsemés et ternes de son quotidien. Une chevelure épaisse, ferme, désordonnée et joyeuse qui n’a rien à voir avec l’endroit. Encore deux pas et c’est le visage d’une madone. Pas celle accueillante, visage bruni des italiennes, mais plutôt celle douloureuse et blafarde des espagnoles. Une jeune fille dans sa vingtaine, épargnée par les mains du médecin qui sans doute, ce soir, avait mieux à faire. Corps immaculé si ce n’est une légère trace rouge de piqûre à la base du cou, proche de la carotide. Le corps est épargné par le hâle, le ventre est plat et les seins surmontés de tétons pâles aussi menus que des boursouflures d’abeille. Des cuisses à peine disjointes laissent apparaître une fourrure aussi dense que la chevelure. T balaie des yeux les alentours, la porte et le plafond. Il hume. Il réfléchit. Oui. L’odeur de la fille est celle des fleurs non cueillies, des amours non vécues, des enfants non portés. Il porte le regard vers les lèvres du vagin qu’il trouve serrées comme une croute de lave prise dans l’étau d’un séisme et le voilà déçu. Autour du gros orteil, un fil retient une étiquette sur laquelle est inscrit à l’encre violette l’identité de la malheureuse : Vespera Vespucci. Un nom aussi triste qu’une nuit sans étoile pour une sculpture qui n’en est pas vraiment une. Voilà ses mains qui, sans lui demander son avis, se sont portées sur les chairs pâles. Les seins sont d’improbables îlots dans un lac de lait primitif, le ventre a la consistance d’un marbre mou, comme un latex en train de figer dont le trop plein inutile fuirait par le nombril. Levant la tête, il aperçoit un alignement de scies, écarteurs, pinces et scalpels sur une desserte, comme une invitation à un repas hors normes, au-delà du sucré et du salé, du solide et du liquide, et auprès desquels couteau, fourchette et cuiller paraitraient rudimentaires. T ressent une urgence de se mettre à table, folie d’autant plus impérieuse que tous ces mois passés sa pitance fut maigre et ses ustensiles limités à des crayons plus ou moins durs. Il coupe, il scie. Entre deux phases, il retourne à ses feuilles. De cette fille, il veut tous les palimpsestes de sa vie passée inscrites dans le rose de ses muscles. Par endroits, le sang qui gicle encore, macule ses feuilles comme en automne un vent sur une forêt d’érables parsème la terre de points rouges. Il se recule. La fille est à présent comme un champ de terre retournée. Elle est brune. Elle est rouge. Elle est boueuse. Elle est offerte, prête à semer. Demain pousseront sur son ventre des cohortes de poupons d’autant plus éternels qu’ils seront fils de l’esprit, peints sur la toile et l’écorce des bouleaux.
Le froid et la rosée réveillent T alors qu’il fait à peine jour. Il est allongé sur un banc. Au-dessus de lui un pin lui détache une de ces aiguilles qui ressemble à une pince à épiler pour les anges. D’abord il ne se souvient de rien. Ni ce qu’il a fait hier ni la raison pour laquelle il grelotte en serrant ses épaules dans ses bras. Ensuite, lui apparait la tête de Don Quichotte douloureux du directeur de l’hôpital qui s’approche à le toucher en promettant d’envoyer à ses trousses les carabiniers. C’est avec lui, lors de sa première entrevue, qu’il avait dû batailler pour avoir l’autorisation d’accéder à sa morgue. Et encore, sans la mention du Prince Borozdine, père d’un camarade de l’Académie et mécène de l’hôpital, il ne l’aurait jamais obtenue. Et pourquoi voulez-vous dessiner des cadavres ? Parce que vos modèles sont plus immobiles et moins chers que les vivants… Voilà une bonne raison. Quant à l’autre, Leonard de Vinci le faisait aussi.
A présent, si le brouillard se lève, ça se passe dans sa tête car au bleu du ciel la journée promet d’être belle. Maintenant, il se souvient. Comme dans un film à l’envers, ce sont d’abord tous les cadavres qu’il a dessinés qui se dressent devant lui comme le jury d’un tribunal. Présences fragiles, elles voudraient bien s’interposer mais sans la force, il leur faut s’effacer. C’est lui qui se tient à la barre. La dernière à paraître est une témoin impudique et qui reste couchée. Son nom, Vespera Vespucci, est inscrit sur l’étiquette liée à son orteil. Cet absence de salut serait-il un reproche ?
Alors que ses souvenirs progressent à un pas martelé par des coups de gong, il comprend enfin qu’il a signé son dernier jour. Pour sûr, il ne va pas rester, il va même s’enfuir sans aller saluer ses madones de bois à l’incarnat délicat, seules compagnes de ses derniers mois. Il va filer par la petite porte sans passer chez sa propriétaire, sans ramasser ses loques et ses dessins. Pour le personnel ! Comme à la table de jeu ! Pour vos musées futurs, vos archives, vos galeries de célébrités ! Peut-être qu’un jour ils vaudront une fortune. Il doit avouer avoir ressenti de la jouissance à entrer dans ces chairs sans permission, à les avoir foui comme le ferait un porc dans une boue tendre à l’ombre d’un chêne. Il ferme le poing. Même si on l’attrape, le juge, le condamne, l’humilie, personne ne lui retirera ces souvenirs imprimés dans son crâne comme une marque au fer rouge. Vespera lui appartient comme jamais aucune femme ne lui appartiendra. Sans doute est-elle sa première femme.
Lorsque le soleil parait, il est dans les collines, la tête emplie de sifflets en provenance de la ville ou d’oiseaux intrépides qui saluent son passage. Il repart avec le courage de dire à son père que sa peinture n’est pas la marotte d’un futur militaire.
Mercredi 21 Novembre 1900,Saint-Petersbourg
De retour à Saint-Persbourg, le général Tytchkine demande des comptes. On attendait T dans la famille de sa mère à Putignano. On ne l’a pas vu. Un an sans nouvelle. Où était-il passé ? Il a failli envoyer sa garde ratisser l’Italie. Lorsque T lui annonce qu’il renonce à la carrière militaire et qu’il veut être peintre, les yeux noirs de son père s’écarquillent. Habitué à être obéi sans discuter, il ne conçoit pas que l’on puisse s’opposer à lui. Le général Tytchkine avait tout préparé, une place auprès des services spéciaux de l’Empereur. Que lui dire à présent ? Est ce qu’on se moque de lui ?
— Un métier de fiotte, tonne le père. Une honte pour une lignée de militaires.
Un premier coup de cravache cingle le visage de T, d’autres suivent au corps, sur le torse, les jambes. Lui s’oblige à penser au tableau du fils prodigue de Rembrandt. En place des couleurs de brun, de rouge et de jaune mordoré, c’est le salon aux lustres pompeux de la Villa Trouskoï. Au lieu du fils à genoux appuyant son front sur la poitrine de son père, il est debout devant le général, jambes écartées, qui tient sa cravache, sa femme courbée près de lui le priant d’épargner leur unique fils. Le vieux Tytchkine passe ses nerfs jusqu’à ce que son épaule l’en empêche. D’ordinaire, il délègue les châtiments corporels mais là, une secrète jouissance lui vient de ce que son fils Nikolaï n’ait pas flanché, ni sur ses appuis, ni dans le battement de ses paupières. Une belle confirmation que son éducation, malgré les jérémiades d’Antonina n’a pas été complètement inutile. Comme sur un champ de bataille, le temps de passer dans la pièce d’à côté, le père a pris plusieurs décisions. Ayant remis à son fils pour son voyage en Italie une somme d’argent globale à partager avec sa famille maternelle. 1. Il s’est montré indigne de sa confiance. 2. Il a menti sur sa destination. 3. En refusant l’éclat des armes, il manifeste qu’il ne peut mener seul sa barque. En conséquence, il va marier son fils avant qu’il ne soit majeur. Le colonel Igor Aleksandrov a une fille d’à peine vingt ans, aux cheveux fins d’une blondeur presque blanche, à la scoliose légère, et à la peau si claire qu’elle en est transparente. Avec ses dettes de jeu, le père ne dira pas non et avec le beau garçon qu’on lui offre, la fille ne dira pas non. Il enverra le couple à Moscou loin de l’Empereur et de ses relations, leur octroiera un subside mensuel à la condition que le mot de peintre ne soit pas mentionné. Quant aux curieux qui lui s’inquiéteraient de ce que fait son fils, le général a préparé une réponse qui assèchera leur curiosité : une mi

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