Furies
373 pages
Français

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Description

Les Érinyes : dans la Grèce antique, ces entités désignaient les esprits de la justice et de la vengeance. Les Romains les nommaient Furies… ACTE I LES SŒURS Elle Il avait cru que ce serait facile. Il était bon nageur, tout le monde le savait. Vraiment, elle s’en faisait inutilement. Une fois tout ça terminé, tous deux riraient de cette inquiétude. C’était ce qu’il préférait chez elle. Son rire. Une cascade claire, une mélodie brillante et fragile comme le cristal percutant le sol. Souvent, il s’ingéniait à le provoquer, multipliant blagues et traits d’humour, jusqu’à ce qu’il éclate, ruisselle sur leurs après-midis paresseux. Il aimait son rire. Il aimait tout d’elle sans jamais l’avoir compris. Son visage vint lentement déchirer la nuit, jouant à la manière d’un feu follet sur la nappe noire. Elle aimait l’eau, cet ailleurs comme elle disait, un chemin entre deux mondes. Souvent, l’été, ils se baignaient jusqu’à l’épuisement. Planer au-dessus du fond rouillé, s’enfoncer dans les nappes blondes, flotter les yeux clos pour échapper au soleil ardent. Les muscles au bord des crampes, de défi en défi, ils repoussaient leurs limites. Quand ils n’en pouvaient plus, la plage les accueillait comme des naufragés, ivres d’eau et de fatigue. Ils s’abandonnaient, côte à côte, seuls sur le sable fin, à l’ombre des grands pins. Une brise tiède les berçait et, les yeux fermés, Robinson de quelques heures, ils inventaient un monde dont ils seraient les seuls rescapés.

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Informations

Publié par
Date de parution 10 septembre 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782819506324
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Érinyes : dans la Grèce antique, ces entités désignaient les esprits de la justice et de la vengeance. Les Romains les nommaient Furies…
ACTE I
LES SŒURS
Elle

Il avait cru que ce serait facile.
Il était bon nageur, tout le monde le savait. Vraiment, elle s’en faisait inutilement. Une fois tout ça terminé, tous deux riraient de cette inquiétude. C’était ce qu’il préférait chez elle. Son rire. Une cascade claire, une mélodie brillante et fragile comme le cristal percutant le sol. Souvent, il s’ingéniait à le provoquer, multipliant blagues et traits d’humour, jusqu’à ce qu’il éclate, ruisselle sur leurs après-midis paresseux. Il aimait son rire. Il aimait tout d’elle sans jamais l’avoir compris. Son visage vint lentement déchirer la nuit, jouant à la manière d’un feu follet sur la nappe noire.
Elle aimait l’eau, cet ailleurs comme elle disait, un chemin entre deux mondes. Souvent, l’été, ils se baignaient jusqu’à l’épuisement. Planer au-dessus du fond rouillé, s’enfoncer dans les nappes blondes, flotter les yeux clos pour échapper au soleil ardent. Les muscles au bord des crampes, de défi en défi, ils repoussaient leurs limites. Quand ils n’en pouvaient plus, la plage les accueillait comme des naufragés, ivres d’eau et de fatigue. Ils s’abandonnaient, côte à côte, seuls sur le sable fin, à l’ombre des grands pins. Une brise tiède les berçait et, les yeux fermés, Robinson de quelques heures, ils inventaient un monde dont ils seraient les seuls rescapés.
Il avait cru que ce serait facile.
La nuit était plus noire qu’elle n’aurait dû, l’eau bien plus froide qu’il n’aurait cru. Peut-être avait-elle des raisons de s’inquiéter. C’était bien mal le connaître. Il se dit qu’il devait tout donner, chercher, dans ses tripes, la force et le courage. La rive ne devait pas être très loin, il n’avait aucune idée du temps écoulé depuis qu’il avait commencé sa traversée. Finalement, c’était bien une épreuve. La tête lui tournait légèrement. L’alcool qu’il avait bu, le manque d’oxygénation de son sang, son rythme cardiaque qui s’accélérait, tout le fragilisait. Pas au point de le mettre en péril, bien sûr…
C’était décidé. Dès que l’épreuve aurait pris fin, il lui dirait tout ce qu’il avait sur le cœur. Elle ne lui en voudrait pas, il s’était trompé, c’est tout. Une âme sœur, c’est fait pour ça. C’était elle et aucune autre. Comment avait-il pu en douter ?
Ses mouvements se firent un peu plus lents, sa cadence diminua. Il allait lui falloir plus de temps, mais peu importe, il avait un nouveau but. Son visage dansait devant lui, souriant à la surface de l’eau. Il venait vers elle, il sourit en pensant à tous ces moments de bonheur qui s’offriraient à eux… Des cheveux blonds, des mèches rousses, son choix était fait.
1. Peur

De nos jours 2010, jeudi 21 octobre, 20 h 35
Tic-tac, tic-tac, tic-tac… Putain de pendule ! L’homme leva les yeux vers la comtoise. Le bronze du cadran luisait à la lueur des lampes. En dessous, les bruits sourds du mécanisme cognaient dans la cage de fer. Un cercueil de noyer duquel s’échappait le murmure du temps.
La vue brouillée par l’alcool, il discernait à peine la scène de moisson ornant le fronton et le tour du cadran. Il avait de la tendresse pour ce vestige d’une époque révolue. La douce chaleur du bois brun rappelait les Noëls d’antan, le parfum des agrumes, la saveur du pain d’épice, les amandes et les noix. Des souvenirs accompagnaient ces humeurs du passé, visages sans nom, sourires d’anciens flottant dans l’enfance. De tout ça, il se sentait bien loin désormais. Depuis cette nuit, si longtemps, tout n’avait été que désillusions et tempêtes. Un naufrage au ralenti auquel on assiste impuissant. Nul doute, il avait raté sa vie.
Traqué par le passé, il se traîna jusqu’à la cheminée pour y jeter deux bûches puis se servit un autre whisky. Son épagneul somnolait sur le tapis, seule créature dont il n’avait pas à forcer la compagnie. Les animaux ont cette compassion naturelle qui confine à la dévotion et absout la connerie humaine. Affalé sur le canapé au cuir craquelé, il replongea dans sa rêverie anxieuse. D’ordinaire, il se serait lentement dissous devant une de ces émissions qui tapissent les soirées des classes laborieuses, un subtil mélange de voyeurisme obscène et de bien-pensance écœurante. Ce soir, il voulait juste que l’ivresse l’emporte rapidement, le plonge dans un coma d’oubli et de rêves. La poitrine siliconée d’Olga moulée dans une brassière trop petite alors qu’elle vomissait des paroles acerbes dans le « confessionnal » ne l’excitait même plus. Quelque chose de plus fort lui taraudait l’esprit jusqu’à faire grossir, dans son ventre, une sensation qu’il ne pouvait plus maîtriser. La peur . Il avait peur, une trouille incontrôlable, viscérale. L’heure était venue, il le savait.
Si seulement elle était là, elle lui aurait parlé. Peut-être même aurait-elle su chasser cette angoisse qui rongeait son esprit. Seulement voilà, elle n’avait jamais accepté de rester au-delà de la tombée du jour. Chaque fois, il rêvait de la retenir, de lui offrir plus qu’un verre de vin et sa conversation minable. Et toujours, elle le laissait avec ses espoirs déçus. Un fin sourire sur son visage de poupée fragile, ces courbes délicates qui allumaient des fantasmes dans son esprit rongé par la crasse. Devant elle, il se sentait encore capable d’espérer en des lendemains moins sombres. Pauvre abruti !
Il se redressa et tendit une main vers la table basse. Ses doigts se refermèrent sur un bout de papier tandis qu’une remontée d’alcool lui brûlait la trachée. Il connaissait chaque mot de cette lettre jetée dans sa boîte deux semaines plus tôt. Pas de cachet, pas de date. Depuis sa lecture, il vivait dans la crainte et le doute. Ce soir encore, terré entre quatre murs, son fusil à portée de main, il ahanait comme une bête effrayée, les cheveux trempés de sueur, les yeux exorbités par les insomnies répétées.
Le jour même de sa réception, il avait appelé la seule personne vers laquelle il fallait se tourner. Celle par qui tout avait commencé, il y avait si longtemps de ça. Il se souvenait parfaitement de leur conversation. Chaque mot, les éclats de voix, le ton mielleux, les menaces qu’il avait proférées.
« Tout ce que je te demande, c’est de te tenir tranquille. »
Tout était gravé dans sa mémoire, comme sur la cassette de son vieux répondeur. Il ricana en pensant à ceux qui le raillaient avec ses reliques. N’empêche que ce bout de ruban magnétique le ramènerait des morts si la Faucheuse le frappait en premier. À défaut de sauver sa peau, il entraînerait avec lui ceux qui avaient partagé ses erreurs, à commencer par cet orgueilleux. Il était temps que la peur change de camp. Hagard, il fixa une ultime fois le boîtier en plastique. Puis, il le glissa avec la lettre dans l’enveloppe kraft et cacheta le tout. Son assurance vie.
L’homme se renversa dans le canapé et ferma les paupières à la recherche d’une once de lucidité. Pour l’heure, décimées par l’alcool, ses idées étaient aussi courtes que les brins d’une pelouse fraîchement tondue. Un sacrifié, voilà ce qu’il était. Après sa disparition, les autorités se mettraient en branle, on chercherait un coupable, peut-être même le trouverait-on. En attendant, il aurait fait les frais de son silence. Un espoir émergea soudain. Il y avait bien quelqu’un. Lui viendrait-elle en aide ? Rien n’était moins sûr, mais il devait essayer. Il s’empara du téléphone et composa maladroitement le numéro.
–  Allô ?
Le timbre doux le rassura d’emblée.
– C’est moi.
–  Je sais, je vois ton numéro sur l’afficheur, figure-toi.
Elle avait accepté de prendre l’appel, c’était peut-être bon signe. Il se détendit et fit de son mieux pour tempérer les tremblements de sa voix. Il fallait gagner sa confiance, ne pas l’alarmer.
– Je… j’aurais voulu te voir.
–  Me voir ? Et pourquoi ?
–  Il faut que je te parle de quelque chose.
Hésitation.
–  Bon… demain, au Café de la Gare .
Non, non, pas ça.
– Je pensais plutôt ici.
Silence.
–  Chez toi ? Mais quand ?
–  Euh… tout à l’heure ?
Rire incrédule.
–  N’importe quoi. Tu es encore saoul ?
–  Non, non… je t’assure que je n’ai rien bu, mentit-il en essayant d’être le plus convaincant possible.
–  Et tu crois que je vais venir maintenant ? Je sais très bien ce que tu as derrière la tête.
Elle allait se dérober, le laisser à son désespoir et à sa peur.
– Je t’en supplie…
–  Mais qu’est-ce qui t’arrive ?
La raillerie avait laissé place à l’inquiétude.
– Je n’ai que toi, tu comprends. Je crois qu’on va… essayer de me tuer.
–  Te tuer ? Mais pourquoi ?
–  Je peux pas t’expliquer ça au téléphone, il faut que je te montre quelque chose. Après, tu me croiras !
Le silence s’installa. Il sentait le combat intérieur. Sans doute pouvait-il la convaincre.
– Je te jure que je t’ennuierai pas longtemps. Accorde-moi juste un moment… En souvenir des années passées.
Elle ne répondait pas, mais il l’entendait respirer à l’autre bout du fil. L’idée d’un compromis lui vint.
– Tu peux même venir avec lui si tu n’as pas confiance.
–  Ça m’étonnerait qu’il soit d’accord.
Le défi pointait dans la voix.
– Peu importe. Je te demande juste cinq minutes seul à seule.
Nouveau silence appuyé. Il avait marqué un point.
–  Je te préviens, si c’est encore un de tes coups tordus, tu le regretteras… Dans une heure.
–  Je t’attends. Merci.
Il reposa le combiné en tremblant. La tête enfouie entre ses mains, il se prenait à espérer. Oui, sûrement, elle saurait quoi faire, il voulait s’en convaincre. La fin n’était pas si proche. Il ramassa la lettre sur la table et sortit en titubant pour rejoindre son véhicule. Il y avait une boîte à l’entrée de Saint-Julien.
2. Cepak

Huit jours plus tôt, Varsovie
La lumière blafarde de la matinée n’avait pas suffi à réchauffer le cœur de Varsovie. La capitale polonaise glissait doucement dans l’automne. Très vite viendrait l’hiver et avec lui ses promesses de grand froid, de neige

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