Erell
47 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
47 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Mon nom est Erell. Ils me connaissent sous ce nom-là. Mes habitués. Ça fait ni garçon ni fille. Ça fait rien. Ça fait personne. J'aime bien ce nom. Erell, comme l'airelle. La myrtille. Dans le langage des fleurs, ça signifie la solitude. Ça me décrit bien. La solitude comme salut. Petite Erell abandonnée à elle-même. Personne ne m'a demandé mon vrai nom. Hugo, c'est commun. Hugo, c'est nul pour une pute. Ils ne veulent rien savoir. Habitués ou pas. Ils ne veulent rien savoir. Sauf le prix. Le prix à payer pour me cogner. Cinquante euros. C'est rien, cinquante euros. Des fois je me demande s'ils ne préfèrent pas les coups à la baise. La baise, c'est commun. Me cogner, c'est exotique.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782924550717
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0026€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Erell
Loana Hoarau
 
© ÉLP éditeur, 2022 www.elpediteur.com ecrirelirepenser@gmail.com
ISBN : 978-2-924550-71-7
Conception graphique : Allan E. Berger
Image de la couverture : © David Heinis, 2022
La douleur, c’est le vide .

Jean-Paul Sartre
Première partie GENÈSE
1.
Nuit.C'est la nuit. C'est toujours la nuit. Quand on y voit pas grandchose. Quand le monde s'endort. Quand la vie ralentit. Sous un cielde brume. Ciel sans étoile. Ciel noir. Ciel infini. Làoù un train passe. Le dernier train. Plus personne dans cetrain. Sauf moi. Et lui.
Lui.Un casque audio noir collé aux oreilles. Se balançantau rythme d'un son inaudible pour moi. Des vêtements banals.Une posture quelconque. Les yeux rivés sur son smartphone.Trente ans. Trente-cinq, peut-être. Pas plus. Il est là.Affalé sur sa banquette délabrée. Et moi assissur la mienne. Dix mètres nous séparent. Dix mètreset des sièges tagués. Des vitres sales. La pluie quibat les vitres. Bruit assourdissant. Et puis ce moment fatidique.Celui où il lève les yeux vers moi.
Jene sais pas pourquoi il me regarde. S’il était dans sespensées. S'il était déjà dans l'attente.S'il attendait le bon moment. Est-ce qu'il y a un bon moment pourça ? Une heure fatidique ? Un lieu approprié ?Un instant opportun ? Sans doute que oui. Puisqu'il me regarde.Sans sourire. Sans sourciller. Il me regarde. Vingt secondes.Peut-être plus. Sans doute plus. Ça me paraît uneéternité.
Jedétourne mon regard du sien. Je fixe les vitres. Je n'y voisque mon reflet. Tout est nuit à l'extérieur. Paysagessans lumière. Paysages noirs. Paysages infinis. Et je fixe monvisage. Je me donne de la contenance.
Pourquoila peur me saisit ? Il n'y a pas de raison. J'ai son âge.À peu près. Le même gabarit. À peu près.Je suis peut-être vêtu avec une plus grande classe. Lestyle bobo parisien. J'ai enfilé mes habits du dimanche ;je vais à une fête d'anniversaire. Celle de Baptiste.Mon frère. À cent cinquante kilomètres de chezmoi. J'aurai pu y aller en voiture, mais elle m'a lâché.Elle est au garage auto pour au moins une semaine. Pas de veines.Alors j'ai pris le train. Et je vais arriver en retard. Je vais sansdoute arriver en retard. Une intuition.
Jeserre le sac qui enveloppe mon paquet cadeau. Un laptop dernier cri.Un super cadeau d'anniversaire pour les quarante ans de Baptiste. Unbeau cadeau pour le journaliste qu'il est. Il a réussi dans lavie. Une bonne situation. Une femme qu'il aime à la folie.Deux fillettes qu'il adore de tout son cœur. Il a tout pourêtre heureux. Ça me fait sourire de penser à nosretrouvailles. Un an qu'on ne s'est pas vu. On doit tous se retrouverchez lui. Les amis. La famille ou presque. Dans son grand appartementbleu rue Foch. Bleu extérieur. Bleu intérieur. Il aimele bleu. On est invité chez lui. Dans son grand appartementbleu. Pour ses quarante ans. Quarante ans, ça se fête.Alors oui. Ça va être une belle fête. Çadoit être une belle fête. Lui entouré de ses amiset de sa famille ou presque. Et moi qui vais arriver en retard. Je lesais. Je le sens. Je ne saurais pas dire pourquoi.
C'estquoi qui te fait marrer ?
Jetourne la tête. Je lève les yeux. Il est là,debout devant moi. Appuyé sur le siège avant. Sonsmartphone rangé dans sa poche. Son casque audio autour de soncou. Demandant toute mon attention. Ses yeux sont brumeux.Inquiétants. Je ne saurais pas dire pourquoi. Peut-êtrequ'il a bu. Peut-être qu'il s'est drogué. Je ne saispas. Je le regarde. Questionneur.
Pardon ?
Jedis : c'est quoi qui te fait marrer ? C'est moi ? Tute fous de moi ?
Non,c'est pas ça, je vous assure.
Bahc'est quoi alors ?
Jepensais à mon frère.
Quoi?
Jepensais à mon frère. Je vais le rejoindre pour son...
T'aspas une clope ?
Pardon ?
Uneclope. T'as pas une clope ?
Heu...si, bien sûr.
Ilglisse sur le siège de gauche. À côté demoi. Je pense à l’insécurité. Je pense àla nuit. Je pense aux contrôleurs qui ne se pointent pas. Jem'embrouille tout seul. J'essaie de revenir à la réalité.Il n'y a pas de raison de s'affoler. C'est juste un gars qui veut unecigarette. Il va me laisser tranquille après. Je me senssoulagé d'avoir un paquet tout neuf. Je me demande ce qui meserait arrivé si j'avais arrêté de fumer. J'aipromis aux parents. J'ai promis à mon ex. Elle détestaitl'odeur. Et le prix. Un prix qui tue. C'est ce qu'elle disait. Et lesparents de seconder. Enfin, Hugo, tu veux pas mourir àquarante ans ? Je n'ai jamais eu envie de développer.Leur dire qu'on meurt de tout et à toute heure. Qu'il n'y apas que la cigarette qui tue. Mais là je suis content. Non.Pas content. Soulagé. J'ai un paquet neuf. Il y a tant de gensqui se font trucider parce qu'ils n'ont pas de cigarettes sur eux.Mourir pour une cigarette. Ce serait vraiment pas de chance.
J'ouvrema sacoche. Je sors mon paquet de cigarettes. Il me le prend desmains. Ôte une cigarette et fourre le reste dans sa poche.Allume la cigarette et s'affale sur le siège.
C'estinterdit, vous savez ?
Pourquoij'ai dit ça ? Pourquoi ? Cette phrase qu'on nousrabâche à longueur de journée. C'est interditde. C'est sorti tout seul. Sans doute pour détendrel'atmosphère. J'ai dit ça en souriant. Il me regarded'un coup. La cigarette en suspens entre son pouce et son index. Ilse redresse pour être plus proche. Il a des yeux vaseux.
T'esflic peut-être ?
Heu...non du tout.
Voilà.T'es pas flic. Alors me dis pas c'que je dois faire.
Cen'était pas mon intention.
Ilse carre de nouveau dans son siège. Il regarde mon sac. Iltend la main vers lui. Je prends mon sac et le pose sur mes genoux.J'ai l'angoisse qui monte. J'ai envie de partir d'ici. Personne dansce wagon. Encore bien une demi-heure avant d'arriver àdestination. Personne pour m’accueillir. Je téléphoneraisbien à Paul pour qu'il vienne me chercher. Paul. L'ami communà Baptiste et moi. L'ami de toujours. Oui, j’appelleraisbien Paul. Mais j'ai peur de sortir mon téléphone. J'aipeur qu'il me le vole. Comme il essaie de voler mon sac.
Faisvoir !
Faisvoir quoi ?
Bahle sac ! Y'a quoi dedans ?
Lecadeau de mon frère. Pour son anniversaire.
Faisvoir.
C'estemballé.
M'enfous si c'est emballé. Je vais deviner ce que c'est.
J'ouvrele sac. Il regarde à l’intérieur. Il sourit.
Unetablette ?
Non.
Unordi portable ? C'est plat tout pareil.
J'aienvie de dire non.
Oui,c'est ça.
Jepeux voir ?
Ilest emballé, je préfère pas.
T'aspeur que je te le vole ?
Non,c'est pas ça.
Si,c'est ça.
C'estquoi, alors ?
Ilest emballé, je t'ai dit. Je n'ai pas envie de déchirerle papier cad...
Ilm'arrache le sac des mains. J'essaie de le reprendre. Il me poussegentiment du coude. Il sourit encore.
T'inquiètepas ! Je vais pas tout déchirer comme un sauvage.
Faisattention, c'est fragile.
Ouais,t'inquiète.
Jele regarde faire. Je suis inquiet. Pas pour le papier cadeau. Je m'enfous, du papier cadeau. J'ai juste peur qu'il se lèvebrusquement. Qu'il parte avec le sac. Je ne veux pas deconfrontation. Il sort la boite du sac. Il enlève délicatementle papier cadeau. C'est déjà ça. Il siffled'admiration. Il regarde la boite déballée sous toutesles coutures. On dirait un enfant émerveillé par uncadeau de Noël.
Çacoûte combien un truc comme ça ?
Oh,pas si cher. C'était une promotion.
Mensonges.
Combien ?
Deuxcents euros.
Ilm'a coûté le triple.
Remets-laboite dans le sac, maintenant.
Ouaisouais. Tu dois vachement aimer ton frère pour lui offrir untruc pareil.
Bah,c'est mon frère.
Moi,le mien, il est en taule.
J'aipas envie de savoir pourquoi. J'ai pas envie de connaître lasuite. Je le regarde remettre le cadeau dans le sac. Je suis soulagé.J'ai envie d'arriver à destination. Il y a bien vingt-cinqminutes de trajet encore. J'ai envie qu'il parte. Mais il reste. Ils'incruste. Il se carre dans son siège pour la troisièmefois. Il n'a pas l'air d'avoir envie de partir.
Tume demandes pas pourquoi ?
Pourquoiquoi ?
Monfrère. Pourquoi il est en taule.
Heusi, pardon. Pourquoi il est en prison ?
Ila tué une vieille peau. Enfin, il a pas fait exprès.Elle est tombée par terre, cette conne. Lui, il voulait justeson sac.
Ilme regarde en souriant. Il regarde mon sac.
Ila pris dix ans. Mais il sort dans trois jours, là.
Ah,c'est bien.
Quoi,c'est bien ?
Bah,qu'il sorte.
Tute fous de moi, c'est ça ?
Pardon ?
Jete dis que mon frangin il a tué une vieille, et toi t'escontent qu'il sorte ?
Non...heu, oui, enfin, pour toi, je suis content pour toi. Et puis il nel'a pas fait exprès, non ? C'est ce que tu as dit.
Mesdernières paroles le calment. Il redescend d'un étage.
Ouais.Et ces enfoirés de flics ils l'ont pas raté quand ilsl'ont chopé. Mais ils vont payer, crois-moi. Ils vont payer,ces fils de pute.
Ilfume. Il est pensif. Il se retourne vers moi.
J'aimeraisbien lui offrir un cadeau à sa sortie. Genre un portable commele tien.
Ilregarde le sac. J'ai peur qu'il se lève et qu'il s'enfuieavec. Il sourit.
Tume le files ?
Quoi ?
Tonordi portable. Tu me le files ?
Bah...heu... non, c'est un cadeau, tu vois.
Ouais,mais toi t'es du genre blindé, tu vois. Tes fringues. Tapetite coupe de cheveux bien comme il faut. Et tu parles comme unbourge.
Sadernière remarque me fait sourire. Lui ne sourit plus. Il al'air de s'impatienter. Il est agité. Il écrase lacigarette au quart terminée sur le siège avant. Il setourne vers moi.
Pourquoitu rigoles ?
Jene suis pas un bourge, crois-moi.
Jene suis pas un bourge, crois-moi ! Arrête de te foutre dema gueule. Suis sûr que t'as un bon boulot et du fric de côté.Une belle baraque, aussi. T'as la tête à avoir une bellebaraque. Alors tu peux bien me filer ce portable.
C'estun cadeau, je t'ai dit. Et puis... je sais pas, moi... c'est bizarrede me demander ça.
Pourquoibizarre ?
Bah...On se connaît pas, et tu veux que je te donne le cadeau de monfrère.
T'asqu'à en racheter un demain. Ou alors mieux encore. Tu me filesdu fric. Je te laisse le portable, mais tu me files du fric.
Jeprends mon courage à deux mains. Je respire un gra

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents