Carnet de bord de la résistance ukrainienne
172 pages
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Carnet de bord de la résistance ukrainienne , livre ebook

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Description

Peu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Barack Obama tweetait : « Les Ukrainiens ont besoin de notre aide. Si vous cherchez comment faire la différence, voici des gens qui font un travail important. » Il faisait référence à l’équipe du journal en ligne The Kyiv Independent, qui avait décidé de continuer à exercer son métier sous les bombes : informer chaque jour, coûte que coûte.  À l’image de la plupart des Ukrainiens, ces jeunes journalistes se sont organisés pour raconter au plus près et au jour le jour une offensive visant à soumettre leur pays. Leur façon à eux de résister, quand la propagande cherche à imposer ses récits truqués. Pour eux, le grand reportage commence au coin de la rue.C’est ce travail au long cours que présente ce livre, donnant vie à des dizaines de civils anonymes : leurs témoignages parfois poignants, parfois insolites, vaudront pour l’Histoire. Voici l’unique carnet de bord d’une résistance acharnée, qui n’a cessé de surprendre la puissante armée russe, et le reste du monde.    Maria Poblete et Frédéric Ploquin, journalistes et écrivains français, ont coordonné ce volume en lien avec la rédaction du Kyiv Independent.  La majeure partie des droits de ce livre est reversée au Kyiv Independent, rare organe de presse indépendant des oligarques de tous bords.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 juin 2022
Nombre de lectures 1
EAN13 9782380943283
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Préface

par Maria Poblete et Frédéric Ploquin, journalistes et écrivains
Ce carnet de bord de la résistance ukrainienne est le fruit de la mobilisation d’une petite rédaction, celle du Kyiv Independent , dont la trentaine de membres ont tenu peu ou prou (et tiennent encore) leur rôle sous le déluge de balles, de bombes et de missiles russes : informer. Une mission d’autant plus vitale que l’envahisseur, la Russie de Vladimir Poutine, est passé maître dans l’art de la désinformation de masse, celle qui, au choix, endort, tétanise ou aveugle l’opinion publique, de façon plus ou moins grossière mais malheureusement avec un succès certain.
Informer, c’est résister. Rapporter les faits jour après jour, heure après heure, c’est donner de l’air à ceux qui doivent se terrer pour échapper aux tirs, c’est aussi décupler l’élan de ceux qui ont la force et le courage de se dresser contre la destruction, puis la soumission de leur pays, avec les moyens qui sont les leurs. En l’occurrence la plume, dont l’histoire a démontré qu’elle avait la capacité de faire vaciller des dictatures. La plume, pour raconter ces Ukrainiens ordinaires menant des actions extraordinaires, pour faire connaître au monde, en langue anglaise, cette émulation collective qui a forcé l’admiration. La plume pour documenter, étayer un réel auquel l’assaillant ne manquerait pas de tordre le cou.
Ils s’appellent, Illia Ponomarenko, originaire du Donbass, reporter chargé de la défense, qui n’ignore rien de ce qui se trame dans les rangs de l’armée, Daria Shulzhenko, ancienne chroniqueuse de mode reconvertie en reporter de guerre, Anastasiia Lapatina, 21 ans à peine et déjà reporter de guerre, Anna Myroniuk, cheffe des investigations, qui est parvenue à évacuer à temps sa famille de Boutcha et relate au quotidien la tragédie, Natalia Datskevych, reporter business, comme Alexander Query, le Français de l’équipe, qui a vainement cherché à intéresser les médias sur la guerre au Donbass ces dernières années, Oleg Sukhov, reporter politique, qui a fui la Russie en 2014, Igor Kossov, américain par son père et russe par sa mère, qu’il a « perdue » le jour où elle lui a dit qu’elle ne croyait pas à la guerre, Asami Terajima, d’origine japonaise, qui a grandi en Ukraine, Lili Bivings, qui prend le relais la nuit depuis les États-Unis, où elle étudie, Olena Goncharova, correspondante au Canada, où vit une importante communauté ukrainienne, ou Thaisa Semenova, qui a rejoint le Kyiv Independent à la veille de la guerre, avant de se mêler au flot de réfugiés, sans oublier la rédactrice en chef, Olga Rudenko, et son adjointe, Toma Istomina. Vingtenaires pour la plupart, tous reliés à l’Ukraine comme les artères au cœur, qu’ils y soient nés ou pas, ceux qui le pouvaient ont endossé, le 24 février 2022 au matin, l’habit du reporter de guerre. Non pour couvrir un conflit qui éclatait loin de chez eux, dans un pays dont ils n’auraient maîtrisé ni la langue ni l’histoire, mais pour exercer leur métier au coin de leur propre rue. Avec la certitude qu’une défaite n’était même pas envisageable. Et que leur vie ne serait plus jamais la même.
L’un couvrait le monde des affaires, l’autre chroniquait les spectacles, un troisième traitait de géopolitique, quand soudain les chars de l’armée russe ont franchi la frontière. L’un d’entre eux a choisi d’enfiler l’uniforme et de s’enrôler sous le drapeau pour défendre le pays les armes à la main ; les autres se sont organisés, chacun à sa façon, pour poursuivre l’exercice du métier de journaliste avec une conviction : si l’Ukraine perdait la guerre, les Ukrainiens perdaient l’Ukraine. Et une crainte : qu’un proche, un membre de leur propre famille, installé dans une zone plus particulièrement impactée, ne subisse dans sa chair les dégâts de la guerre.
Mieux que quiconque, ces journalistes sont à même de témoigner au plus près des faits. Ils travaillent à domicile, disposent de toutes les clés, ce qui n’est pas toujours le cas des envoyés spéciaux de la presse internationale. Chronique de l’avant-guerre et de la guerre au quotidien, leurs récits nourriront les historiens de demain. C’est pourquoi, nous, journalistes et écrivains français, avons pris la décision de rassembler leurs articles dans cet ouvrage.

*
* *
Quatre mois avant l’ouverture des hostilités, la petite équipe avait fait un autre choix, déjà essentiel. Mise collectivement à la porte du Kyiv Post , premier média anglophone créé vingt-six ans auparavant, tombé en 2018 entre les mains d’un magnat né en Syrie et riche d’investissements dans l’immobilier dans la ville portuaire d’Odessa, au sud de l’Ukraine, elle avait serré les coudes.
« Le silence est d’or », avait osé glisser le tycoon aux petits pieds aux membres de la rédaction, une phrase curieuse pour le patron d’un journal, celle d’un homme surtout soucieux de s’attacher les bonnes grâces du gouvernement. Le label auquel ils étaient attachés pouvait-il conserver son lustre, sa réputation, en étant à la botte d’un patron qui exigeait, comme qualité première, que l’on sache se taire ? Les pratiques et l’éthique de l’homme d’affaires ne cadraient pas avec les valeurs de ces journalistes attachés aux principes d’une presse libre et indépendante, infusés de longue lutte par un rédacteur en chef venu du Missouri, Brian Bonner, en fonction depuis juin 2008.
La situation s’est brusquement tendue en novembre 2020, après la publication par le journal d’un article critique au sujet de la procureure générale Iryna Venediktova, nommée par le président Zelensky. La haute magistrate a convoqué Brian Bonner dans son bureau pour lui signifier son intention de lancer des poursuites en diffamation, menace qu’elle n’a finalement pas mise à exécution. Le Kyiv Post s’est même montré conciliant, en ouvrant ses colonnes à onze tribunes signées par la procureure générale, avant de publier un nouvel article critique contre elle en septembre 2021. Chargée de coordonner la lutte contre la corruption en Ukraine, Iryna Venediktova a riposté en ouvrant un dossier criminel visant le propriétaire du Kyiv Post , Adnan Kivan, dossier encore une fois aussitôt refermé.
« Peu après, Kivan a déclaré qu’il allait développer le journal en lançant une édition en ukrainien dirigée par un présentateur de télévision issu de sa propre chaîne de télévision locale, basée à Odessa et non indépendante, lit-on dans un article mis en ligne le 12 janvier 2022 par le Kyiv Independent . Craignant une perte d’indépendance éditoriale, le personnel du Kyiv Post a exigé que la personne en charge de l’édition ukrainienne passe un entretien d’embauche rigoureux. Quelques semaines plus tard, Kivan a annoncé qu’il fermait le journal et licenciait tout le monde pour recruter une nouvelle direction. M me Venediktova certifie qu’elle n’a jamais fait pression sur qui que ce soit, ni même rencontré M. Kivan, qui nie également les allégations de pression. »
La rupture a été brutale. Congédiés du jour au lendemain par le petit oligarque levantin, la plupart des membres de la rédaction se sont mis d’accord pour poursuivre l’aventure à leur compte. D’un radeau de fortune, ils ont bientôt fait un navire de croisière, baptisé tout naturellement du nom de Kyiv Independent . C’était le 8 novembre 2021, date fondatrice accompagnée d’une profession de foi limpide :
 
Les valeurs suivantes constitueront l’épine dorsale du Kyiv Independent :
La nouvelle publication sera au service de ses lecteurs et de la communauté, et de personne d’autre .
The Kyiv Independent ne dépendra pas d’un riche propriétaire ou d’un oligarque .
La publication dépendra de la collecte de fonds auprès des lecteurs et des donateurs et, plus tard, des activités commerciales .
La news room décidera et exécutera la politique éditoriale de la publication dans l’intérêt du collectif. Les tentatives d’influence extérieure ne seront pas tolérées .
The Kyiv Independent sera toujours détenu, au moins en partie, par ses journalistes .
The Kyiv Independent s’efforcera d’atteindre la viabilité financière afin de préserver son indépendance à l’avenir .
 
Dans la place depuis une dizaine d’années, Olga Rudenko, 32 ans, passée par une école de commerce américaine, prend les commandes du nouvel organe de presse, main dans la main avec Toma Istomina, elle aussi ancienne du Post , où elle tenait la rubrique « style de vie » ; Daryna Shevchenko et Jakub Parusinski héritent de la gestion en même temps que des titres respectifs de P-DG et de directeur financier. En guise de salle de rédaction, l’équipe choisit l’Alpaca Cafe, un établissement accueillant situé non loin de la Taras Shevchenko National University of Kyiv, en attendant qu’une société de coworking mette des locaux à disposition. L’occasion de breveter un nouveau modèle économique fondé sur les dons des lecteurs, les gains permettant de rémunérer les journalistes (en moyenne 1 200 euros par mois pour un plein temps) et non plus un quelconque actionnaire. Avec un succès certain, puisque le média est élu « journal de l’année » le 15 décembre 2021, un petit mois seulement après sa fondation, à l’initiative d’un important organe de presse ukrainien, Ukrayinska Pravda . Une récompense remise en arguant des efforts déployés par l’équipe pour « protéger son indépendance éditoriale ».
« Ce fut un choc et une grande déception lorsque nos confrères ont été licenciés sans explication d’un journal qu’ils publiaient depuis tant d’années, déclare Sevgil Musayeva, rédactrice en chef d’ Ukrayinska Pravda , en remettant le prix. Nous avons été étonnés par la rapidité avec laquelle l’équipe a pris la décision de lancer un nouveau projet. L’histoire du Kyiv Independent est un cas exemplaire, celui de journalistes restés fidèles à leur profession, qui ont choisi de servir la société plutôt que le propriétaire et ses peurs. »
« Nous sommes submergés de joie par le soutien que nous avons reçu de nos pairs, réplique Olga Rudenko, rédactrice en chef du Kyiv Independent .

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