Autels du Nord
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Description

Commissaire-priseur à Lille, Victoire T. est l’héritière d’une longue lignée de collectionneurs de l’ombre.
A peine commence-t-elle à initier sa nièce, adolescente rebelle et déterminée, assignée comme elle à une mission impossible, qu’un miracle se produit : la mise aux enchères dans des salles concurrentes d’une manne de joyaux, tous de l’époque charnière du Moyen-Age à la Renaissance. Et parmi ces lots, des chefs d’œuvres répertoriés et portés disparus de la main du grand Rogier, objet de sa quête.
Autre bonheur, elle vient d’intégrer le cercle très fermé du Lysia Empire, et trouve bon de s’y ressourcer. Cette brasserie du centre de la capitale des Flandres est renommée pour sa carte des bières et pour son tenancier, gouailleur et impitoyable. De bonnes volontés s’y réunissent le dimanche soir pour abolir des frontières sous la houlette d’un bienfaiteur, lui aussi acharné à traquer en secret des objets emblématiques de ses passions. Inévitablement leurs chemins vont se croiser…
Brutalement la jubilation fait place à l’effarement puis à la terreur, quand deux commissaires-priseurs sont retrouvés morts dans le sillage du Semeur de merveilles. Victoire T. sera-t-elle la troisième ? Il ne lui reste qu’une solution : disparaître.

Informations

Publié par
Date de parution 24 octobre 2017
Nombre de lectures 2
EAN13 9782312054193
Langue Français

Extrait

Autels du Nord
Francette Zurro
Autels du Nord
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2017
ISBN : 978-2-312-05419-3
Chapitre I
Jeudi 2 avril
« Voici un chef d’œuvre absolu.
Rogier de la Pasture a peint ce retable en Flandres , vers 1435. Seule la partie centrale est parvenue jusqu’à nous.
Peinture ? Sculpture ? Tableau vivant ? Qu’a-t-il voulu nous donner ? Cette ambiguïté agit sur nous comme un philtre. Au premier regard, l’œuvre submerge par son étrangeté et son immense beauté. »
Loria Sanchez fit silence après cette brève introduction à la Descente de Croix. Bientôt docteur en histoire de l’art, en résidence à Madrid grâce à une bourse européenne, elle accompagnait en visite individuelle certains visiteurs désireux d’approcher une œuvre majeure. Elle avait quitté Toulouse six mois auparavant, et rejoint le musée du Prado pour y poursuivre ses recherches au cabinet de documentation technique.
Madrid , ville natale de son grand-père. Ici , Loria retrouvait ses racines. Dans l’éblouissant tourbillon de la modernité, des fêtes nocturnes et du flamenco elle pouvait aller jusqu’au bout de ses passions.
Parfaitement bilingue, elle n’avait eu aucune difficulté à obtenir de l’administration du musée quelques subsides pour des visites à caractère intimiste. Non, elle n’accompagnerait jamais des groupes jaillis d’un autobus pour « faire le Prado » au pas de charge. Elle adorait ces rendez-vous, où elle mettait son expertise au service d’une ou deux personnes qui venaient souvent de loin pour approcher un seul des chefs-d’œuvre exposés. Elle parlait peu et était convaincue que, dans la brève disparition de son commentaire et la non moins brève résurgence de celui-ci, l’œuvre peint s’avançait à pas comptés vers celui qui le regarde. Ce que chaque visite lui avait confirmé, jusqu’à ce jour.
Ses deux clientes, hâlées et détendues, n’étaient pas là par hasard. Victoire Timmermann avait choisi de clore ses vacances en Andalousie par une vieille habitude : une halte à Madrid, direction le Prado, salle des primitifs flamands. Sa nièce n’y avait opposé aucune résistance, au contraire.
Se tournant vers l’adolescente, Loria Sanchez se crut obligée de préciser qu’un retable est un ornement d’église se composant de plusieurs panneaux sculptés et peints, ou, comme ici, seulement peints, qui pouvait être ouvert ou fermé selon les exigences du calendrier liturgique.
« C’était la BD du quinzième, fallait bien des images pour expliquer la Passion à des gens qui ne savaient pas lire. C’était fabriqué dans du chêne de la Baltique, et en série. Idem pour les Piétas que les friqués pouvaient s’offrir, pas trop pour la déco, plus pour investir dans du paradis. Tu choisis tes éléments, ils sont assemblés à l’atelier et livrés à dom. Des modulos, quoi… »
Lou Salomé avait parlé entre deux étirements de son chewing-gum, tout en regardant d’un air las ses ongles décorés en style gothique, noirs sur fond ivoire, incrustés de minuscules brillants. Elle sentit une légère pression dorsale, par laquelle sa tante l’incitait à se taire. Lou n’y vit qu’une invitation à réfréner ses prouesses masticatoires. Soufflée par l’intrusion de la fille, Loria remit les choses au point.
– Oui, quand un peintre recevait commande d’une œuvre dont le sujet était très demandé, il modifiait la composition en fonction du désir du client. C’était le cas pour les Piétas que vous évoquez.
Il lui fallait reprendre pied, ajuster le tir. Elle poursuivit sous un angle qu’elle espérait plus approprié.
– En 1435, Rogier ouvre un atelier à Bruxelles, où il devient célèbre sous le nom de Van der Weyden.
Haussement de sourcil, petite lueur amusée dans les yeux de Lou. Loria reprit confiance.
– Rogier Van der Weyden est la forme flamandisée de Rogier de la Pasture, né à Tournai en 1399. Les archives de cette ville furent en grande partie détruites lors de la seconde guerre mondiale, on connaît peu le début de sa vie. A Bruxelles, le succès arrive très vite, puis la renommée du peintre gagne l’Europe entière. L’atelier se développe, les commandes affluent. Tout comme Jan Van Eyck, Van der Weyden travaille pour le grand duc de Bourgogne Philippe le Bon…
– D’ac, mais c’est quand même Van Eyck qui bosse officiellement pour le duc.
Alors comment ça se passait entre Rogier et Van Eyck ?
Loria sourit et dit qu’elle n’avait pas les moyens de répondre à cette question. Elle faisait fausse route, elle parlait encore trop, hors sujet. Il fallait, vite, revenir à l’œuvre, rendre tangible l’émotion profonde et véhémente qui avait présidé à sa création.
– Rogier n’a signé aucune de ses œuvres. Il est le peintre le plus copié de son temps…
– Yes, le fils de Charles Quint s’est payé deux exemplaires de la Descente. Celui-ci, le vrai, lui a appartenu, non ?
Lou fit un pas vers le chef d’œuvre. Désemparée, Loria se laissa glisser dans le gouffre du savoir inutile.
– Effectivement, le 25 août 1549, Marie de Hongrie montre le retable à son neveu. Celui-ci reçoit un choc : Philippe, fils de l’empereur, catholique fervent jusqu’à l’aveuglement, qui, en 1555, après l’abdication de Charles Quint…
Lou n’écoutait plus. Les pouces calés dans la large ceinture cloutée de son jean à taille très basse, elle se déplaçait lentement d’un bout à l’autre du retable, comme si elle cherchait à y entrer, à avoir sa place dans cette bouleversante mise en scène de la douleur. Elle revint vers sa tante, comme sortie d’un songe.
– Tu sais, Vic, ce que je kiffe le plus, c’est comment Rogier a peint les mains : celles du Christ, celles de Marie. Et regarde en haut, les mains tordues de Marie-Madeleine : ça parle encore plus fort que les visages.
Loria Sanchez se mit en retrait, le silence s’imposait à elle. Le temps de visite écoulé, elle s’en alla sans bruit, éberluée par l’attraction qu’exerçait sur la jeune fille ce retable peint il y a cinq siècles et demi.
Les deux visiteuses restèrent un long moment, échangeant à voix basse, fascinées par l’incroyable présence des personnages. Elles s’attardèrent sur les entrelacs figurant en trompe-l’œil, dans les angles supérieurs du retable.
– Vu de là, tu crois que c’est sculpté dans du bois, mais en fait c’est de la peinture.
– Rogier avait choisi le trompe-l’œil pour faire le lien avec le cadre qui réunissait tous les panneaux du triptyque : le panneau central devant toi, et les panneaux latéraux qui ont disparu.
Lou pouffa. « Tu veux dire ceux de la Herderkamer ? »
Victoire était devenue blême.
« Ni aujourd’hui, ni demain, ni ici, ni ailleurs, tu ne dois prononcer ce mot. »
Lou Salomé baissa la tête, puis la redressa, et scruta une dernière fois, en haut du tableau, les entrelacs en trompe-l’œil : deux d’entre eux renfermaient les arbalètes emblématiques. Elle contempla à nouveau sa main droite.
Satisfaite, elle se dit que Silverine Silk était géniale, et que, de retour à Lyon, elle irait lui dire, dans son Nails’Beauty Shop, qu’elle avait sacrément bien travaillé.
Incrustés dans l’ongle de l’annulaire et de l’index, de minuscules brillants dessinant une arbalète scintillaient dans le gel ivoire. Sur le majeur, les arbalètes devenaient presque invisibles, parmi les arabesques et les fleurs de lys.
Exactement comme sur les trois panneaux de la Descente de Croix.
Chapitre II
C’était lui. Il avait flashé par deux fois le tableau, pendant qu’elle s’efforçait en vain de captiver ses auditrices blasées. Se retournant, elle l’avait surpris et dévisagé avant qu’il ne s’esquive. Maintenant, il l’attendait dans le grand corridor. Elle ne savait trop comment dissimuler son trouble, qui le disputait à l’agacement et au doute. L’homme survenait, à l’improviste, quand elle commentait l’œuvre et que le gardien se retirait, et il s’approchait. D’elle ? De la Descente de Croix ? L’idée l’avait traversée qu’il pouvait avoir de bonnes raisons de rechercher sa complicité, n’avait-elle pas accès à des lieux ou des archives sous haute protection ? Ou bien c’était le polyptyque que d’obscurs enjeux menaçaient et quR

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