Au cœur du Maître
188 pages
Français

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Au cœur du Maître , livre ebook

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Description

Edouard Pradeaux est en pleine crise : il néglige sa jeune compagne et son travail d’avocat. Déprimé, il croit se refaire une santé en s’achetant une maison de campagne. Ce sera l’occasion de rencontrer deux cabossés de la vie, associés en récupération de vieux matériaux, Michel et Pierre, mais aussi et surtout la fille de ce dernier.


Roman qui oscille entre le désenchantement des personnages et une opportunité pour chacun de s’en sortir, cet Au coeur du Maître se lit d’une traite, s’avale tout rond tant la farce et le drame humain y sont hachés menu à l'instar d'un tartare de bar, ce dont il sera aussi question ...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 septembre 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414203833
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-20381-9

© Edilivre, 2019
 
Je vais te quitter Serena, à l’évidence, c’est la bonne plage de temps mort et de sable fin pour en finir, briser le sablier où j’écume d’ennui. Nos vacances de rêve ? Un cauchemar ! Ton corps de rêve, ce rêve seychellois, je le prends comme il vient, et ne le caresse plus.
La rafale de clichés atteint Edouard en pleine tête. Il se réveille en sueur, les draps mouillés, il est à tordre ! Assis au bord du lit, il suffoque, s’encourage : il aura toute l’élégance nécessaire…
Mais je dois te quitter, me faire la belle ma belle. Je me l’explique mal, mais dois t’avouer qu’à ton insu, ta rivale m’est tombée dessus. Je sais qu’elle tient vraiment à moi. Je n’ai aucun doute là-dessus, depuis des mois ! Tu ne peux pas lutter Serena. Cette amante exclusive s’appelle ma crise existentielle. Une folle de moi, de mon intérieur tout en désordre qui jusqu’ici, sous les tropiques, ouvre ses bras et le ciel à mes orages.
Depuis des mois, Edouard s’était pourtant efforcé de repousser la rupture dont l’urgence le saisissait. Un courant d’air glacial lui léchait alors le dos, même sous la douche brûlante, même dans son Audi avec sièges chauffants, même enthousiaste au lit avec Serena sa maîtresse dardée sur lui comme une flamme de chalumeau. La crise lui tombait sur le dos.
Cette nuit encore, agitée, ce même froid s’installa malgré Serena en chien de fusil, son canon tout mou dans sa main, déchargé, son ventre à elle, dur, collé contre son dos à lui, tout froid. Elle seule est endormie, béate dans la nuit aux tiédeurs assorties de la mer et de fleurs tandis que le regard d’Edouard est un point unique de sécheresse, un regard sans larme qui fixe le moiré lunaire du lagon qui passe entre les lattes du ponton.
Elle était dans l’air cette crise, une brume agrippée à la quarantaine d’Edouard, condensée dans son épuisement d’une année de galère, celle d’un avocat d’affaires qui a perdu la grosse affaire, a plaidé au milliard comme il dit, pour un client structurant du cabinet. Et maintenant, il faudrait encore se battre pour le garder ce client, rester dans ce cabinet dont il a été l’un des fondateurs, ne pas sombrer et devoir quitter ses associés, remonter une société. Toujours cacher sa fatigue, sa caresse froide ? Putain de crise ! Comment la voir venir à sa rencontre, cette nouvelle compagne brumeuse qui lève à chaque réveil, obstruant tout tant qu’Edouard ne s’administre pas dans chaque œil une solution humectant le cristallin, amorçant des larmes si rares qu’il doute ne s’être jamais surpris à pleurer. Dans cette incertitude matinale Edouard se voyait en étang vaseux, nimbé d’une brume accrochée là tant que le brillant qu’il avait donné à sa vie ne la dispersait pas. Tout ce froid dans ses os, même après avoir eu du sexe, lézardé au soleil, bu Spritz sur Spritz, ou fumé de l’herbe. Des champs entiers partis en fumée. Commander du Roederer, toujours plus, du Cristal opacifiant, des bulles anticorps, champagnisation de sa pesanteur, foireuse !
A s’en scarifier le plexus, à s’en ruiner l’intérieur. Plan anti-crise et supers vacances depuis huit jours. Résultat :
Je vais te larguer Serena !
Edouard, la nuque soudainement raidie, déplacée dans ce corps mollasson : la crise, évidente là où Serena lui avait dit qu’ils allaient se retrouver enfin seuls, en amoureux. Rien qu’eux deux, les deux bleus du ciel et de la mer, le sable blanc, toutes ces fadaises !
En amoureux, tu parles ! Rien. Vraiment rien. Les Seychelles. Pourquoi pas, avait dit Edouard… Pourquoi pas. Il avait pressenti en enregistrant sur Emirates leurs billets pour un séjour sur Silhouette Island, de ne pouvoir contenir la crise même dans un hôtel au luxe débilitant.
Silhouette Island, ça ne s’invente pas avait-il ronchonné. De toute façon, l’escale à Dubaï, le vol, le bateau depuis Mahé, les heures de travail accumulées, et Serena qu’il trouvait fatigante à force de se montrer câline, l’avaient assommé. Ils étaient enfin arrivés sur l’île, dans la villa sur l’éperon de roches grises et polies, au ras de l’eau turquoise. Il avait aperçu Serena y plonger, l’inviter à la rejoindre. Il avait dit “j’arrive”, produisant cet effort sans trop savoir pourquoi. Cela tenait à la beauté indéniable du lieu, de cette abstraction prélude au sommeil. Edouard était ressorti de l’eau, tremblant en dépit des trente degrés dehors et dedans. Il en fut récompensé sur le lit par Serena. Ses fringues, son moral et sa Patek, et leurs grandes complications jetées au sol. Le temps mis à terre, puis ombre de lui-même caressée, décortiquée, sucée comme on sauce un plat à l’encre de seiche, Edouard s’était écroulé. Une image en tête de serpent noir, sa gueule blanche comme le sable d’ici, la gluance de l’animal, il priait pour un paradis qu’il doutait d’atteindre au-delà de son propre effondrement, plaidant d’un râle l’indulgence auprès de Serena qui, stoppant ses pulsions frénétiques, se retirait, posait enfin sa joue sur le ventre d’Edouard. Son regard électrique ainsi mis à la masse, un long soupir comme le souffle une machine dont on coupe l’alimentation.
Il avait dormi vingt-quatre heures durant lesquelles Serena avait parfait son bronzage, changé trois fois de maillot de bain, un rose uni, un safran uni, puis un dos nu d’une pièce en blanc et noir avec des phaétons imprimés dessus. Hier, elle avait discuté à la nuit tombée avec un couple d’Australiens au lounge du Hilton , et aujourd’hui, elle avait mangé seule sur la terrasse de la villa le matin, le midi, chevauché un Jet ski, tué le temps avec du rhum arrangé. A son réveil, elle avait salué Edouard par un : “ koman ou sa va  ?”, en créole, comme il se parle ici.
Edouard avait répondu qu’il était mort. Condamné, toute grâce impossible à plaider, mais qu’après son exécution, ça irait mieux. Il ne fallait pas qu’elle s’inquiète avait-il ajouté sans trop y croire, tant le regard de Serena était perdu dans le feu solaire de l’horizon, ou détaillait les phaétons imprimés sur son maillot de bain qu’elle trouvait très sexy.
Après le long silence que lisse le clapot du récif et l’absorption maritime d’un soleil rouge comme un curry de roussette, à l’insistance de Serena, il prit une douche dans la salle de bains toute de pierres ardoisées et d’ors embués. Elle vint l’y rejoindre et il la prit là, debout, contre la paroi dégoutante, dans la vapeur émerveillée de ce gâchis d’eau potable.
Ils dinèrent ensemble et Serena lui présenta le couple d’Australiens. Lui était assureur à Brisbane, son épouse était chercheuse spécialisée dans les vaccins et antidotes, un bon créneau avait-elle plaisanté, dans son pays où abondait la vermine venimeuse, avec ou sans pattes ! L’homme avait renchéri en disant que si sa femme foirait un truc, et bien il assurait les victimes ou leurs ayants-droits, comme quoi la première vertu de ce couple c’était bien la cohérence.
Edouard avait bien ri, puis regardé Serena. Cherché une cohérence. Ne la trouvait pas. Et il but le premier verre d’une longue série, ivre mort. Serena lui a raconté le lendemain, les Australiens l’ont aidée à le ramener jusqu’à la villa. Il répétait sans cesse, tempétueux, la bouche amollie, dodelinant de la tête : « c’est les vacances de Hegel, les vacances de Hegel bordel, les vacances de Hegel… ».
Serena, ce soir-là se résignait encore à le laisser tranquille. Nue, elle avait contemplé son reflet dans le caducée, et se trouvait bien “foutue”. Titubante, délurée par le rhum arrangé Mama Juana passion ananas, ça la fit rire, sa vie agrippée à son corps comme le string sexy resté vain, punaisée par le talon aiguille de ses sandales Versace à brides en cuir lamé, un talon de dix centimètres embelli d’une Médusa d’argent, au bout de ses jambes fuselées. Vraiment une bombe se dit-elle, un sentiment de charge intérieure, de frustration prête au blast car à moins de trente ans, elle était en âge de ne pas se résigner à la fragmentation de ses rêves sur les rochers noirs, à son propre gâchis !
Le lendemain avait été une journée comme elle devait être. Edouard se leva, prit une douche et avait trouvé Serena au bout du ponton, sur un fond bleu monochrome aux profondeurs célestes ou maritimes indistinctes. Elle était assise face à une table pour un petit déjeuner de fruits, de viennoiseries disposés autour de pièces de porcelaines orientales et d’argenterie sur une nappe blanche que l’alizé soulevait en un léger bat sur ses jambes que découvrait un sari ouvert. Edouard prit du café que Serena lui servit elle-même, s’employant avec un air entendu, de gentille et dévouée compagne, presqu’en épouse. Troublée par cette signification, Edouard a mangé un pain au chocolat comme s’il se réfugiait dans son enfance, se tenant immobile, les yeux fermés, materné dans le souffle chaud et pulsé par le soupirail de la boulangerie de la rue d’Auteuil. Puis, par l’effet gourmand d’une mangue fraîche à la gluance complexe, il avait émoussé cette pointe étonnante de nostalgie décimant les cocotiers alentours, ces stratus de spleen obscurcissant ses soirs et dimanches de parisien qu’une vie de travail épuise et qui avait asservi son temps libre à l’ennui, du fait d’un double manquement : la raréfaction d’amis véritables et l’absence d’une famille à lui. Edouard s’était endormi sur le sofa comme une masse. Une heure après, encore engourdi de sommeil, il s’était éveillé par l’insistance câline de Serena et la brise de mer qui lui caressait les cheveux.
Ils avaient pris le chemin de la plage en traversant d’un pas tranquille les palmiers, Serena marchait les mains dans les poches de son large short beige, portait un sac de

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