Ainsi se brise la ligne
186 pages
Français

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Ainsi se brise la ligne , livre ebook

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Description

CHAPITRE 1 (Jour 0) C’est un cauchemar à la saveur de réel. J’entends mon nom, une voix qui m’interpelle : « Emma ! Emma ! » Mes yeux sont lourds, comme s’ils étaient scellés par des pièces de monnaie. Je sens une substance chaude et visqueuse couler le long de ma jambe et pourtant je tremble. Pourquoi ai-je si froid ? La seconde d’avant, un vent tiède caressait mes cheveux, la lune pleine éclairait de toute sa rondeur les courbes d’asphalte devant moi. Derrière mes paupières mi-closes, j’entends les sirènes. Le monde s’est teinté de reflets bleutés. Je sens qu’on me soulève, qu’on me recouvre de quelque chose. Puis on me tire vers une destination que j’ignore. En moi brûle une rage dont je ne perçois plus l’origine. Ensuite, le noir. Tout redevient paisible. Des heures plus tard. Ou peut-être ne s’est-il écoulé qu’une minute ? J’ouvre les yeux, sans savoir où je suis, émergeant avec difficulté de l’univers flou de mes rêves. Allongée sur le dos, j’attends que les limbes dans mon cerveau se dissipent. Je ne ressens pas d’inquiétude, pas encore. La confusion matinale m’est familière. Je l’incrimine au rythme de ma vie : de ma chambre à celle de Nino, en passant par les hôtels où nous rejoint Flora, quand nous montons la voir à Paris, un temps d’acclimatation m’est souvent nécessaire. Nino se moque de moi. Il me compare à une focale d’appareil photo qui tente une mise au point. Mon cœur bat plus vite quand je réalise pourquoi je ne reconnais rien.

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Informations

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Date de parution 04 mars 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782819506447
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

CHAPITRE 1
(Jour 0)

C’est un cauchemar à la saveur de réel. J’entends mon nom, une voix qui m’interpelle : « Emma ! Emma ! » Mes yeux sont lourds, comme s’ils étaient scellés par des pièces de monnaie. Je sens une substance chaude et visqueuse couler le long de ma jambe et pourtant je tremble. Pourquoi ai-je si froid ?
La seconde d’avant, un vent tiède caressait mes cheveux, la lune pleine éclairait de toute sa rondeur les courbes d’asphalte devant moi. Derrière mes paupières mi-closes, j’entends les sirènes. Le monde s’est teinté de reflets bleutés. Je sens qu’on me soulève, qu’on me recouvre de quelque chose. Puis on me tire vers une destination que j’ignore. En moi brûle une rage dont je ne perçois plus l’origine. Ensuite, le noir. Tout redevient paisible.
Des heures plus tard. Ou peut-être ne s’est-il écoulé qu’une minute ? J’ouvre les yeux, sans savoir où je suis, émergeant avec difficulté de l’univers flou de mes rêves. Allongée sur le dos, j’attends que les limbes dans mon cerveau se dissipent. Je ne ressens pas d’inquiétude, pas encore. La confusion matinale m’est familière. Je l’incrimine au rythme de ma vie : de ma chambre à celle de Nino, en passant par les hôtels où nous rejoint Flora, quand nous montons la voir à Paris, un temps d’acclimatation m’est souvent nécessaire. Nino se moque de moi. Il me compare à une focale d’appareil photo qui tente une mise au point.
Mon cœur bat plus vite quand je réalise pourquoi je ne reconnais rien. Mon environnement n’a ni les contours familiers de ma chambre, ni le confort discret d’un trois-étoiles. Le lit est trop haut, presque à hauteur de la fenêtre. Un bouquet de fleurs posé sur une table tente d’occulter la tristesse de son armature métallique. J’avise une télé et quand je décale mon regard, une patère. La tête me tourne, comme si je m’étais enfilé trois verres de Malibu coco. Je ne suis pas idiote et maintenant parfaitement réveillée : la chambre dans laquelle je me trouve, c’est celle d’un hôpital.
À peine le temps de me demander s’il y a un rapport avec mon rêve que la porte s’ouvre. Une femme pas très grande et plutôt large, revêtue d’une blouse blanche, recule d’un pas en me voyant redressée. Mon inquiétude augmente. Je n’ose imaginer ma tête, si elle provoque ce genre de réaction. Je touche mon visage, à la recherche d’un indice, d’une trace, qui acterait ma transformation en monstre au cours de la nuit. A priori , rien d’anormal. La femme reprend ses esprits, me lance un sourire dans lequel je discerne une volonté de me rassurer. Cela ne réussit qu’à m’inquiéter davantage : que s’est-il passé pour qu’elle use de telles précautions ?
– Surtout, ne bougez pas, m’enjoint-elle. Je vais chercher le médecin…
Elle doit être abrutie ou bouleversée si elle s’imagine que j’ai l’intention de l’écouter. Je me lève, juste pour vérifier que mes jambes sont en état de fonctionnement. Elles tiennent, mais m’arrachent une grimace, comme par solidarité avec la soignante à laquelle j’ai désobéi. Je me rassois, me penche vers le bandage qui entoure ma cuisse droite ; mon regard descend jusqu’à ma cheville et s’arrête, perplexe. Il y a là, gravé entre l’astragale et le tibia, le dessin censé couronner mon succès au baccalauréat. Problème : la première épreuve n’a lieu que dans trois semaines. Un creux se forme dans mon estomac. Comment est-ce possible ? Pas le temps de m’appesantir sur ce mystère, la porte s’ouvre sur un homme aux lunettes en écaille derrière lequel se tient la soignante.
Il s’approche et, avec la précaution qu’on s’imposerait face à un malade en phase terminale, me demande :
– Bonjour. Est-ce que vous savez comment vous vous appelez ?
– Emma Schlumberger, je dis.
Je trouve bizarre qu’il me vouvoie. Je n’ai pas encore l’habitude, même si je suis majeure depuis une semaine.
Si ma réponse le satisfait, il n’en montre rien. Il m’interroge sur mes parents, mon domicile. Me demande si je sais quel jour on est.
– Pas vraiment, je réponds franchement. J’espère juste que je n’ai pas loupé les épreuves du bac…
Une année à bûcher avec pour Graal non pas un diplôme qui ne me servira à rien, mais l’autorisation de vivre à Paris pour réaliser mon rêve. Je veux être comédienne. Au théâtre, au cinéma, à la télévision, peu importe. Il n’y a que sur scène que je me sens vivante. Ce qui me fait au moins un point commun avec Flora.
Ce n’est rien. Juste un silence un peu trop long. Je sens que j’ai merdé, comme lorsque je lance une blague et que les rires fusent une demi-seconde trop tard.
– Emma ? poursuit le docteur avec une gentillesse qui n’augure rien de bon. Ce n’est pas grave. Vous pouvez au moins me donner l’année ?
Je m’exécute. Il continue de sourire, de longues secondes, sans rien dire.
Je croise le regard de la soignante et la peur m’envahit.
 
Ils sont sortis. Je retourne à l’exploration de mon corps. Hormis le bandage et le tatouage, il semble conforme à celui que je connais, même si j’ai l’impression de m’être asséchée au cours de la nuit. Une masse me gêne au niveau de l’entrejambe. Je découvre que je porte une serviette hygiénique. Étrange. D’une part, je ne jure que par les tampons, de l’autre, la pilule a métamorphosé mon corps en machine, aussi réglée que le conducteur d’une cérémonie des césars. Trois semaines de pause, une semaine de galère et tout recommence. Hier soir, j’étais en plein dans la période sèche. Quel est ce nouveau mystère ?
Le temps de procéder à ce constat, j’ai à nouveau de la visite. Ce sont mes parents. Mon père fonce sur moi et m’enlace. Il cède très vite la place à ma mère, et un nouvel élément me trouble : son parfum. C’est le mien. Celui que Nino m’a offert la semaine passée, pour mon anniversaire. Maman n’a pas l’habitude de se servir dans mes affaires – la réciproque n’est pas vraie, je suis une adolescente classique sur beaucoup de points.
Toujours cette boule au creux de mon estomac. Dans mon cerveau mes neurones s’affolent, je les sens chauffer comme si une pelle les nourrissait de charbon. Leur avertissement est aussi clair que s’ils étaient doués de parole : Attention, Emma, il se trame un truc de pas normal.
Mon père et ma mère s’écartent, je vois l’expression inquiète de leur visage, et la boule dans mon ventre s’étire jusqu’à me donner envie de vomir.
Ce sont toujours mes parents. Jean-François, dit Jeff, et Diane Schlumberger, mariés depuis plus de vingt ans, lui chef de service au conseil général, elle professeure de lettres dans un lycée privé. J’avise les lèvres charnues de ma mère, la carrure solide de mon père. C’est là que je détecte le problème. Les lèvres de ma mère sont un peu moins charnues, la carrure de mon père est un peu plus solide. D’un coup, je les trouve vieux. Qu’est-ce qui est susceptible de faire vieillir les parents en une nuit, hormis un drame ?
– Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi je suis ici ?
L’angoisse modifie ma voix au point que j’ai du mal à la reconnaître. Ils échangent un regard, entre eux puis avec le médecin dont je n’ai pas noté l’entrée.
Mon père saisit ma main. Ses yeux plongent dans les miens.
– Tu as eu un accident de voiture, hier soir, sur les crêtes. Tu as eu beaucoup de chance, Em. Tu es indemne…
Et d’un coup sa voix se brise. C’est horrible. Je regarde ma mère. Ses lèvres sont si serrées qu’elles ne sont plus qu’un trait. L’ultime barrage contre les sanglots, et je la connais : en dépit de sa maîtrise légendaire, il en faudrait peu pour le voir céder.
J’ai l’impression que ma tête va exploser. Les crêtes ? Qu’est-ce que je fichais sur les crêtes ? Hier soir, je devais être dans ma chambre à réviser la philo. Je leur dis :
– Je ne comprends rien.
Le médecin :
– Vous ne vous souvenez pas, Emma ?
De la tête, je lui signifie que non. Il hoche la sienne, en signe de compréhension, et je sens l’envie de l’étrangler. Comme s’il pouvait avoir la moindre idée des pensées qui me traversent.
– Vous avez besoin de repos. Nous allons vous donner de quoi dormir, et ensuite, je pense que ça ira mieux…
Je lui attrape le bras avant qu’il ne puisse s’échapper.
– Non !
Et ma véhémence paraît le surprendre.
Les images de mon rêve me reviennent. Il faut que je bluffe, rien qu’un peu. Cela me connaît. Je ne prends pas des cours de théâtre depuis la sixième pour rien.
– Je sais que j’ai eu un accident. Je veux savoir avec qui j’étais…
Je n’ai pas encore le permis. Il est donc impossible que je me sois trouvée seule dans une voiture.
L’intuition, terrible, me vient.
– C’est Nino ?
Je lutte contre les larmes.
– Nino est blessé, c’est ça ?
Je n’ose pas formuler mes craintes de manière plus précise, de peur de lui porter malheur.
C’est mon père, de nouveau, qui s’approche.
– Non, Emma. Tu n’étais pas avec Nino. Mais avec Flora…
Je repousse au loin le sentiment d’irréalité qui s’écrase sur mon crâne : pourquoi Flora serait-elle à mes côtés dans une voiture alors qu’elle est censée se trouver à Paris ? M’aurait-elle fait la surprise hier soir, pour compenser son absence à ma soirée d’anniversaire ?
Non, c’est idiot : nous ne sommes pas assez proches pour programmer de telles expéditions.
Je m’attache à la seule question qui vaille :
– Où est-elle ? Flora ?
Mes mains sont crispées sur les draps, les jointures blanchies sous l’effet de la tension.
En plus d’être ma sœur, Flora est le garant de l’équilibre familial, une part de mon univers qui doit rester intacte, je ne peux envisager qu’il lui soit arrivé un malheur. Ma mère se rapproche de mon père, je comprends que ma question l’effraie. Le médecin reprend la parole et m’explique :
– On a dû l’opérer en urgence. Elle est en réanimation. Mais ne vous inquiétez pas, elle va s’en sortir…
Éclate alors un bruit horrible, comme le râle d’un animal. Je tourne la tête, c’est maman dont les nerfs ont lâché. Tout ne va pas si bien que le médecin le prétend. Je la regarde, hébétée, tellement que j’avale sans réfléchir le verre d’eau qu’on me présente.
 
Les calmants m’ont conduite dans un somme

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