60 kilos
204 pages
Français

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Description

La police ne saisit que huit pour cent de la drogue en circulation dans notre pays. Pour ce qui est du reste, elle n’en voit même pas la couleur. Un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur Prologue Ce vieux renard de don Anselmo Antúnez Cabrera, alias Frigo, les avait collés en tandem pour son seul profit. En bon caïd du trafic de drogue de la côte méditerranéenne, il avait une connaissance parfaite de la psychologie d’autrui et savait presser le citron de ses laquais en créant des situations destinées à prouver leur courage, leur fidélité : leurs futures aptitudes pour des affaires de plus grande envergure. Charli et Gamin avaient jusqu’alors travaillé séparément comme simples coursiers ou été affectés à la surveillance de la mer sous couvert de pêche dominicale, munis d’un téléphone portable leur permettant de signaler l’approche éventuelle d’un bateau ou d’une patrouille terrestre de la Garde civile. Ils végétaient tout en bas de l’échelle, à la place la plus sordide et la moins bien rétribuée de l’engrenage illégal. Frigo chargeait parfois Charli, en raison de sa corpulence et de sa force brutale, sculptées dans des gymnases suintant l’huile de massage et aux murs recouverts d’une fine couche de graisse, d’aller secouer, pas trop fort, un mauvais payeur qui n’avait rien dans le ventre et, dans ce cas, Charli se doutait qu’il le testait pour des missions plus ambitieuses. Gamin n’avait même pas droit à ça.

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Date de parution 28 novembre 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782810404339
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La police ne saisit que huit pour cent de la drogue
en circulation dans notre pays.
Pour ce qui est du reste, elle n’en voit même pas la couleur.
Un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur
Prologue

Ce vieux renard de don Anselmo Antúnez Cabrera, alias Frigo, les avait collés en tandem pour son seul profit. En bon caïd du trafic de drogue de la côte méditerranéenne, il avait une connaissance parfaite de la psychologie d’autrui et savait presser le citron de ses laquais en créant des situations destinées à prouver leur courage, leur fidélité : leurs futures aptitudes pour des affaires de plus grande envergure.
Charli et Gamin avaient jusqu’alors travaillé séparément comme simples coursiers ou été affectés à la surveillance de la mer sous couvert de pêche dominicale, munis d’un téléphone portable leur permettant de signaler l’approche éventuelle d’un bateau ou d’une patrouille terrestre de la Garde civile. Ils végétaient tout en bas de l’échelle, à la place la plus sordide et la moins bien rétribuée de l’engrenage illégal. Frigo chargeait parfois Charli, en raison de sa corpulence et de sa force brutale, sculptées dans des gymnases suintant l’huile de massage et aux murs recouverts d’une fine couche de graisse, d’aller secouer, pas trop fort, un mauvais payeur qui n’avait rien dans le ventre et, dans ce cas, Charli se doutait qu’il le testait pour des missions plus ambitieuses. Gamin n’avait même pas droit à ça. Lui, il le maltraitait comme un bouffon, mais tenait à le garder sous le coude car il lui prêtait une loyauté canine.
Oui, Frigo connaissait les replis de la nature humaine et il savait détecter jusqu’où un type pouvait aller quand on lui serrait la vis en lui offrant la récompense adéquate au bon moment. Aussi les réunit-il un jour dans sa chère arrière-boutique du Rouge et Noir, un bordel, pour leur asséner un discours pataphysique sur le pas en avant qu’ils devaient faire s’ils souhaitaient devenir de bons garçons, des jeunes gens avec des aspirations, des hommes qui en avaient et qui pouvaient laisser tomber ces conneries de boulots de coursiers et gagner du fric pour de bon. Mais cela n’arriverait que s’ils réussissaient le test. Le voulaient-ils ?
Bien sûr ! Ils le souhaitaient tous les deux, car ils connaissaient leur statut de chair à canon dérisoire et savaient que, comme dans toute multinationale, celui qui ne montait pas en grade était mort, car il se momifiait.
– Je me demande si vous avez l’estomac fragile ou si vos tripes sont à l’épreuve des mauvaises odeurs, leur dit Frigo, d’un air énigmatique.
Et comme ils ne savaient que répondre, le vieux chef à la parole facile poursuivit son bagout magique destiné à les ensorceler, leur dispensant des promesses vagues mais minutieusement détaillées.
– Inutile de vous expliquer comment je me procure le matériel. Cela ne vous regarde pas. Il me parvient par différents circuits, c’est tout ce que vous devez savoir. Comme je ne méprise aucune source, des amis de l’autre côté de l’Atlantique m’envoient parfois des mules à l’estomac bourré de petits paquets-surprises. Ensuite, ces gars les chient et je transforme ces sachets de bonheur en monnaie sonnante et trébuchante.
Gamin et Charli écoutaient le cours magistral sans deviner l’issue du laïus de Frigo, mais en élèves appliqués car ils se sentaient pourvus d’énormes couilles.
Frigo commanda un san francisco. Il n’était pas midi et, dans l’arrière-boutique du Rouge et Noir, rien ne bougeait, pas même les cafards, qui vivaient heureux dans la chaleur générée par les moteurs des réfrigérateurs cachés sous le comptoir.
– Il se trouve que l’une de ces mules, le pauvre couillon, bref, c’est comme ça, a passé l’arme à gauche parce qu’un sachet s’est ouvert et que la poudre magique l’a tué. Oui, elle l’a tué, j’espère que le pauvre n’a pas souffert, au moins.
Charli frissonna. Gamin ne cilla pas. Le san francisco arriva sur le plateau d’un serveur aux yeux cernés qui ne portait pas encore le nœud papillon de l’uniforme du soir. Frigo en but une gorgée. Un vrai déjeuner de champion. L’authentique vieille école ! Un pur rock de Bruno Lomas, qu’écoutait don Anselmo Frigo en se vantant de l’avoir connu et d’avoir partagé une certaine amitié éthylico-matinale avec lui à l’époque où ils habitaient le même quartier et se retrouvaient au bar du coin pour y descendre des alcools virils.
– Ce garçon n’a pas eu de bol, poursuivit-il. Mais au moins, c’est comme ça, j’ai eu de la chance parce que le type a clamsé après avoir passé la frontière, au moment d’effectuer sa livraison.
Charli et Gamin ne comprenaient pas. Anselmo claqua la langue après une nouvelle gorgée d’alcool. Un glaçon craqua en fondant.
– Bon, revenons à nos moutons ! Le cadavre se trouve dans un entrepôt, une sorte de hangar industriel, dans un de ces congélateurs que les familles nombreuses utilisent pour y stocker leurs pizzas, leurs glaces ou ce qu’ils ont à coller dedans, et j’ai besoin de deux mecs avec des couilles pour le sortir de là, l’ouvrir, mettre les mains dans cette pizza géante archi congelée et m’apporter ces sachets qui contiennent de la coke pur jus qui vous explose la tête même si on la coupe à cinquante pour cent pour la reconditionner. Et j’ai pensé à vous…
Charli et Gamin échangèrent un regard, chacun tentant de deviner ce que l’autre allait répondre, car si l’un acceptait et l’autre refusait, celui qui refuserait pouvait partir vivre sa vie ailleurs, loin de préférence, don Anselmo Frigo digérant très mal les refus.
– Je ne crois rien vous demander d’extraordinaire, poursuivit Frigo, brisant le silence. Il ne s’agit pas de tuer quelqu’un ou de quelque chose dans le genre. Dites-vous que, au lieu d’un mec, il s’agit d’un chien ou d’un calamar, c’est tout. Ou mieux, d’un porc, j’ai lu quelque part que le porc et l’homme, à l’intérieur – ce qu’ils ne vont pas découvrir ! –, eh bien, ils sont presque pareils. Alors vous l’ouvrez, vous prenez ce qui m’appartient, vous balancez le corps, vous le brûlez ou vous en faites ce que vous voulez. Je vous donnerai mille euros chacun, et si je vois que vous vous êtes bien débrouillés, que vous en avez, après, je vous demanderai des trucs moins dégueu en vous filant toujours un paquet de fric. C’est facile, il suffit d’avoir des couilles. Vous en avez ?
La violation d’un cadavre répugnait à Charli. Cette espèce d’autopsie bestiale et abracadabrante le dégoûtait car, d’une certaine façon, il considérait qu’elle profanait une chose sacrée. Dépecer un mort pour récupérer quelque chose n’était pas bien, certes. Quelqu’un qui passait l’arme à gauche avait au moins le droit de pourrir avec ce qu’il cachait pour que les vers et les larves lui rendent hommage en banquetant. Mais quand il entendit Gamin dire « D’accord », il sut qu’il allait s’y coller lui aussi. Et bien sûr, il s’y colla. Frigo leur donna les détails et ils partirent exécuter leur première et funèbre mission.
Le hangar industriel contenait de vieilles voitures aux pneus transformés en poudre de caoutchouc, des motos volées démontées en pièces détachées, sous trois centimètres de poussière, des panneaux d’outils solidifiés sur des murs gras, avec une nuée de mouches bourdonnant comme la fosse ouverte d’un mort… et le congélateur. Le fameux congélateur à pizzas familiales. Un énorme cercueil blanc pourvu d’un moteur dont la blancheur immaculée se détachait sur la rouille qui le dévorait, il semblait donc s’en dégager quelque chose d’extrêmement néfaste. Les genoux de Charli tremblaient, il tenta de le cacher en feignant l’indifférence et en fermant son bec. Mais il n’arrivait pas à contrôler ses nerfs. Il se trahit en lissant d’une main, dans un mouvement quasi spasmodique, ses cheveux blancs, presque albinos, en piteux état.
Gamin ouvrit la porte du congélateur et son regard tomba sur un cadavre congelé jusqu’aux ongles en position fœtale. Un corps inerte recouvert d’une délicate couche de glaçons cristallins et aux sourcils constellés de givre.
– Aide-moi, murmura Gamin, sur un ton curieusement bon enfant. Il prenait peut-être le type pour un porc, ce qui expliquait son détachement.
Ils sortirent le corps à deux et le laissèrent choir. Des millions de particules gelées éclatèrent dans un crépitement cristallin comme un seau à glace qui se renverse et laisse s’échapper les glaçons. Dehors, des chiens aboyèrent.
– Il faut le laisser décongeler, dit Gamin avec nonchalance tout en allumant une cigarette.
Ils s’assirent sur la carcasse d’une Ford Fiesta, prêts pour l’attente. Trois heures plus tard, on voyait une grande flaque d’eau, mais le cadavre restait aussi rigide que le corps d’un combattant mort au siège de Stalingrad.
– Ça ne marche pas, décida Gamin. Le pain met des heures à décongeler, alors imagine pour ce morceau. Je vais aller chercher quelque chose pour nous aider, j’ai pas envie de moisir ici pendant deux jours.
Il fouilla dans les recoins du hangar au petit trot, à la façon d’un porc. Il ne tarda pas à revenir avec un chalumeau, traînant une bonbonne d’acétylène à moitié pleine. Charli n’en croyait pas ses yeux. Ce salaud n’avait pas de cœur ! Gamin brancha le chalumeau et dirigea la flamme douceâtre, bleutée et jaune en plein sur le ventre du cadavre. La glace toussa de plaisir en se sentant transformée en eau. Le pyjama de glace du macchabée se fendilla et Gamin acquiesça, satisfait de constater l’utilité de son invention et de sa trouvaille. L’air fut vicié par la puanteur de chair roussie et de putréfaction qui cherchait à sortir. L’odeur pestilentielle donna des nausées à Charli et son visage prit une coloration verdâtre peu virile, mais Gamin restait impassible, concentré, serein. Il éprouva une joie enfantine quand il arriva enfin aux tripes du pauvre diable. Une puanteur insupportable s’échappa, mais ce boucher de feu et de glace, ce mineur des entrailles d’autrui, cet équarisseur de macchabées restait imperturbable.
– Si, monsieur, bien sûr que ça marche. Je le savais, qu’en ap

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