Les Gamins de la rue Saint Quentin , livre ebook
184
pages
Français
Ebooks
2014
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2014
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Publié par
Date de parution
01 mai 2014
EAN13
9782812913716
Langue
Français
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Date de parution
01 mai 2014
EAN13
9782812913716
Langue
Français
Prologue
JE ME DIRIGE VERS L’ÉPICERIE où nous faisons les courses en dehors des jours de marché. La nuit est tombée. Les lampadaires qui n’ont pas perdu leurs ampoules n’offrent qu’une lumière livide trop faible pour atteindre le sol. Il faut regarder où on met les pieds sur le trottoir déformé pour éviter de trébucher. Cela ne m’effraie pas. Mes frères et moi sommes habitués à fréquenter les rues du quartier à toute heure. Parfois, nous disparaissons de la maison pendant une demi-journée. Nos parents n’ont qu’une vague idée des endroits où nous vadrouillons, mais ils ne s’en alarment pas outre mesure, pour autant que nous soyons de retour ponctuellement à l’heure des repas. Si les rues de cette banlieue parisienne ne sont pas toujours bien goudronnées, en revanche elles sont sûres.
La boutique s’appelle Le Comptoir français. Son nom a perdu deux lettres, le C et le n, mais personne ne s’en offusque. Plus de dix ans après la fin de la terrible guerre, la seconde en vingt ans, beaucoup de bâtiments portent encore les stigmates de cette période. En fait, l’épicerie s’en tire plutôt bien. Elle porte quelques cicatrices, certes, alors que d’autres bâtisses ont été gravement mutilées. Aucune prothèse n’a encore été installée pour pallier leurs difformités.
Il ne fait pas chaud dans la boutique. Le propriétaire doit économiser le charbon, à moins que cela ne soit un acte délibéré pour prolonger l’existence des produits, notamment le lait qui se trouve dans une cuve encastrée dans le comptoir en marbre. Les odeurs ne sont pas désagréables et de nature très diverse : celle la terre qui colle encore à certains légumes, celle du sel des poissons séchés et celle douceâtre du lait.
C’est un homme costaud. Il ne semble pas avoir trop souffert des privations des années passées ; une bedaine modeste mais indéniablement présente qui tend la ceinture de son tablier et des joues dont la barbe de plusieurs jours n’arrive pas à dissimuler la couperose d’un ami de la bouteille en attestent. Après tout, si un épicier a l’air de crever de faim, ce n’est pas très bon pour son image de marque, un peu comme un cordonnier mal chaussé.
– Un litre de lait, dis-je en lui passant le pot d’aluminium que j’ai apporté avec moi.
– Et voilà, un litre de jus de vache, déclare-t-il en essuyant le lait qui déborde avec le bas de son tablier. N’me dis pas que ta mère a eu un autre bébé ?
– Si. Il est né il y a un moment, mais la maman ne peut plus lui donner son lait.
– C’est le cinquième gamin, hein ?
– Enfin, tes parents ont changé la recette ! Ils ont dû en avoir assez d’avoir des garçons. Quel âge t’as maintenant ?
Mon silence un tantinet embarrassé ne le trouble pas. Il complète ses questions lui-même.
– Dix ou onze ans, hein, hasarde-t-il. Tu es né à la fin de la guerre, non ? Et t’as trois frères. Toi, tu t’appelles Paul, je sais ça, j’te vois assez souvent. Le cadet, c’est Jean, non ? Et les autres ?
– Ben, après il y a Antoine et André.
Je ne sais que répondre. D’abord, je ne sais pas ce qu’il veut dire par fratrie ; c’est un mot que je n’ai jamais entendu prononcer par personne, ni à l’école ni même par mon père qui en connaît des millions parce qu’il est allé au collège, même si maintenant il conduit un camion de livraisons. En ce qui concerne notre mère, il est vrai que parfois on lui en fait voir de toutes les couleurs. Je ne vais quand même pas l’avouer à ce crémier trop curieux, non ?