Entre les lignes
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Description

« Il doit bien rester quelques traces de cet homme dont la brève trajectoire a tout de même marqué les esprits, puisque je suis en train de m'interroger à son sujet, cent ans après sa mort. Je rentrai et, armé d'une bière bien fraîche et d'un paquet de biscuits, montai au grenier où il me semblait bien, à mon arrivée dans la maison familiale, avoir déversé en vrac dans quelques boîtes l'essentiel des archives Méline. » Yves Richer veut sortir de l'oubli la mémoire de son illustre aïeul Alcide Méline, engagé volontaire pendant la Première Guerre mondiale. Tel un détective, il rassemble, un siècle plus tard, des éléments lui permettant de reconstituer l'histoire de son grand-oncle et les circonstances troubles de sa disparition. La découverte de son livret militaire ainsi que la lettre d'un certain Théophile Boudeau constituent de précieuses sources d'information sur le quotidien du soldat. À travers le filtre de la fiction, l'auteur réhabilite le souvenir d'un héros converti en agent secret pour défendre sa patrie. Les reproductions d'archives de l'époque disséminées au fil du récit lui confèrent une dimension de réalité supplémentaire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 mars 2018
Nombre de lectures 3
EAN13 9782342160291
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Entre les lignes
Yves Richer
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Entre les lignes

Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.

En ce sinistre jour de juin 1984, je me trouvais là – mais la logique de la vie n’aurait pas dû m’imposer d’être à cet endroit – trop tôt pour mes accompagnants et moi-même…
Je n’ai pas pu détacher mon regard de cette cocarde tricolore au souvenir évocateur et ce jour-là je me fis la promesse de retracer ton histoire.
Pour toi que je n’ai pas connu et ne connaîtrai jamais, ce récit imaginaire s’appuie sur le seul document dont nous disposons : un livret militaire.
À Alcide, à Gisèle, à ma mère, à toute ma famille, à mes amis.
Message d’outre-tombe
Les rafales de mitrailleuses se rapprochaient de plus en plus.
Les tirs de shrapnels envoyaient en l’air de belles fleurs terreuses qui retombaient en une pluie crépitante sur le sol boueux agité de tremblements. Leurs fumées orange se dispersaient en une brume légère dans un ciel brûlant de fin d’après-midi d’été. Une bourrade dans les côtes me glaça le sang. L’éclat d’obus m’avait touché du côté du foie et je ne ressentais aucune douleur, ce qui décuplait mon angoisse. Avec appréhension, je repoussai le camarade tapi dans la tranchée près de moi et tâtonnai mon flanc à la recherche de la blessure. Rien. Je repoussai brutalement mon voisin qui s’affaissait à nouveau mollement sur moi. À la lourdeur de son corps, je compris que c’était lui qui avait écopé et, sous le choc, son barda m’avait embouti les côtes. Hagard, je le retournai sur le dos et sentis mon sang refluer dans mes chaussettes. Son visage d’ordinaire lisse et régulier était convulsé de douleur. Une grande auréole sombre grandissait sur sa capote.
Je fermai les yeux très fort pour tenter de classer cette vision cauchemardesque au rayon de celles auxquelles nous étions quotidiennement confrontés depuis le début de la guerre. Je n’eus toutefois pas la possibilité de me lamenter longtemps sur le sort du malheureux Méline alors que le crépitement de la terre, de la caillasse et de la mitraille redoublait d’intensité. J’essayai de rajuster mon casque à moitié arraché par une nouvelle rafale et m’entendis sermonner avec rudesse :
— Et c’est tout l’effet que ça te fait, cœur de pierre ? Mon pauvre oncle Alcide qui en a déjà vu de toutes les couleurs, le voilà maintenant défunté !
La voix de ma grand-mère… Qu’est-ce qu’elle fait là ? Et comment a-t-elle pu nous retrouver dans le fatras du champ de bataille et les milliers de soldats déployés ?
Et de reprendre, plus plaintivement :
— Tu ne vas tout de même pas le laisser là, pourrir dans la boue ! Il faut savoir ce qui lui est arrivé, je suis sûre qu’il s’est passé quelque chose…
— Ben ça me paraît assez clair, ce qui lui est arrivé ! Un obus qui explose, un éclat dans le dos et paf ! On est peu de chose…
Je cherchai à esquiver sa prise et tâchai de trouver un ton ferme pour lui dire ma façon de penser :
— Écoute, mamy, c’est vraiment pas le moment, tu ne vois pas qu’on risque tous notre peau à chaque seconde, non ? Alors pour les honneurs et les sépultures, on verra ça plus tard, si tu veux bien ! Et d’ailleurs je ne savais pas que tu t’étais engagée dans l’infirmerie, mais s’il te plaît, fais-moi le plaisir de te mettre à l’abri jusqu’à la prochaine accalmie !
Exaspéré, je lui tournai le dos tandis qu’elle insistait :
— Mais j’ai pas peur, moi… j’ai pas peur…
— Papaaaa… Pas peur, moi…
Ce que démentaient les yeux agrandis par la frousse de mon petit garçon, réveillé par l’orage démentiel qui s’abattait sur le village. Terrorisé, il s’accrochait à ce qu’il trouvait pour se hisser dans le lit, en l’occurrence mes cheveux, me tirant en sursaut d’un sommeil boueux et tourmenté.
Je me levai en prononçant les formules apaisantes de rigueur en pareil cas et recouchai mon fils. Un peu secoué, j’observai par la fenêtre l’emportement des éléments qui n’était pas sans écho avec le cauchemar que je venais de faire. D’énormes flashs lacéraient le ciel noir, les grêlons déchiquetaient la végétation dont les débris étaient emportés par les ruisseaux d’eau sale qui se formaient dans les rues, dans un vacarme assourdi par le double vitrage.
Le spectacle, somptueux dans sa démesure, était un cadeau pour moi, témoin douillettement installé à l’abri d’une maison confortable, mais l’atmosphère persistante de ce rêve me rappelait que cent ans plus tôt, des millions d’hommes avaient vécu de bien pires déchaînements, non seulement dans la boue mais dans le froid, la vermine et la terreur. Les quelques effets personnels du grand-oncle Alcide renvoyés après la guerre et pieusement conservés en l’état par la famille en étaient témoins : chiffonnés, tachés, raidis par le sang et la crasse.
J’avais précisément eu une pensée pour lui la veille en traversant le cimetière qui entoure l’église, comme toujours en passant devant sa tombe ornée de la cocarde des Morts pour la France. Mais la vie est si prenante et les souvenirs si fugaces… Je ne lui avais jamais accordé beaucoup plus d’attention qu’à une image dans un livre d’histoire.
*
Le jardin dévasté par l’orage ressemblait à un champ de bataille. Les chaises étaient renversées, les coussins envolés, les pots couchés et leur contenu entassé pêle-mêle. Des branches d’arbres arrachées par le vent jonchaient la pelouse et les fleurs multicolores qui faisaient l’orgueil des massifs, blêmes et gorgées d’eau, baissaient piteusement la tête.
Une hécatombe. Les dégâts étaient énormes et la remise en ordre allait largement obérer mes vacances. Quant à retrouver l’harmonie de cet endroit, il faudrait plusieurs années de patience pour y parvenir.
L’ancien jardin de ma grand-mère était séculaire et avait toujours fait l’objet de soins attentifs. L’ordonnancement, au départ approximatif, des diverses variétés végétales déposées là dans l’attente d’un emplacement approprié mais jamais défini, avait finalement abouti à un foisonnement de végétation sans cesse renouvelée, aux volumes et aux couleurs disparates et pourtant jamais dissonants, ouvert sur une perspective minimaliste constituée d’une prairie qui rejoignait le ciel à perte de vue et dont le spectacle me procurait toujours une sensation de sérénité inaltérable.
Pendant que ma petite famille organisait une longue randonnée dans la campagne, je m’attelai à la tâche dans l’intention de déblayer rapidement le terrain. D’abord débarrasser les branches, débiter les troncs, puis évacuer progressivement cette végétation qui par son foisonnement donnait l’impression d’un authentique cataclysme. Tronçonner, ramasser, empiler, le temps passait vite à cette rude besogne et l’après-midi fila sans que je songe à lever la tête. À dix-neuf heures, le mal était loin d’être réparé mais j’y voyais plus clair. Je ramassais mes outils dispersés dans l’herbe quand une forme inattendue au milieu des saxifrages attira mon regard. Je tendis la main et fouillai légèrement le sol pour en extraire l’objet. C’était la douille en laiton cabossé d’une ancienne cartouche, arrivée là diable sait comment, jetée ou tombée d’une poche, et depuis combien de temps ?
Le simple fait de l’avoir entre les doigts me renvoya immédiatement à mon cauchemar de la nuit passée et la voix de ma grand-mère me résonna aux oreilles : « Il faut savoir ce qui lui est arrivé, je suis sûre qu’il s’est passé quelque chose… ».
C’est vrai, j’ai toujours senti un flou autour de l’histoire d’Alcide, le héros familial mort pour la France, au milieu de quelques millions d’autres héros morts pour la France, certes, mais enfin celui-là c’était le nôtre et son souvenir perdurait depuis un siècle chez nous sans que quiconque se fût soucié d’éclaircir les circonstances de son décès.
Il semblerait donc que cette mission m’incombât puisque ma chère bonne-maman, Dieu ait son âme, s’était « en personne » si j’ose dire introduite dans mon rêve pour m’en charger. Mais par où commencer ? Je savais si peu de choses de lui, des petits riens, une ou deux anecdotes banales qui avaient traversé les décennies, quelques vieux outils oubliés dans un fond de remise, un souvenir rappelé à l’occasion par une vieille tante… Et maintenant, il n’existait plus personne qui l’ait connu. Quelle étrange chose que la vie. On s’agite sur la Terre durant un nombre variable d’années, on aime, on se fâche, on fait des choses à nos yeux très importantes, et cinquante ans plus tard, vous n’êtes plus qu’un souvenir très vague, un visage flou ou même inexistant, et plus une seule personne au monde capable de parler de vous. Quand on y pense, c’est à vous dégoûter de l’existence !
Bon, assez philosophé, me dis-je, restons dans le concret. Il doit bien rester quelques traces de cet homme dont la brève trajectoire a tout de même marqué les esprits, puisque je suis en train de m’interroger à son sujet, cent ans après sa mort. Je rentrai et, armé d’une bière bien fraîche et d’un paquet de biscuits, montai au grenier où il me semblait bien, à mon arrivée dans la maison familiale, avoir déversé en vrac dans quelques boîtes l’essentiel des archives Méline. J’y fus accueilli par l’habituelle atmosphère estivale, surchauffée, poussiéreuse et éclairée par un rai de lumière filtrant entre deux tuiles mal emboîtées. Je m’insinuai dans l’étroit passage ménagé entre les armoires branlantes et les ma

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