De Ducados à Maldoror
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De Ducados à Maldoror , livre ebook

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Description

On l’oublie trop souvent, Sarah Maldoror est à la proue de tous les cinéastes antillais, en ce sens qu’elle est la première à faire des longs-métrages de fiction au début des années 1970. L’incontournable film anticolonialiste et féministe Sambizanga la place du côté des cinémas africains, elle qui fut la femme de Mário Pinto de Andrade, l’un des fers de lance de l’indépendance de l’Angola. Gérard Théobald, cadet de Sarah Ducados, de son nom d’artiste « Maldoror » en hommage au poème coup-de-poing de Lautréamont, met avec pertinence au cœur de son récit hautement documenté, Alger, la Mecque des luttes de libération, d’où la cinéaste, accompagnée de ses filles Anouchka et Henda, milita par l’action cinématographique. Il rappelle également l’Antillanité de la militante dans sa fondamentale filiation intellectuelle avec l’essayiste Frantz Fanon et le chantre de la Négritude Aimé Césaire, poète que la femme-à-la-caméra filma à plusieurs reprises. Ou comment le cheminement artistique de la cinéaste épouse la grande histoire des luttes de libération et d’émancipation anticoloniale et féministe de la seconde moitié du XXème siècle.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 novembre 2022
Nombre de lectures 4
EAN13 9782494624009
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0630€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

De Ducados à Maldoror
 
 
de
Gérard Théobald


Préface
Entre Rabat à Alger, sous un beau soleil
Souvenirs de l’arrivée à Paris
Transformation Ducados en Maldoror
Le Congrès des écrivains de 1956
La guerre d’Alger
Les Nègres
La mort ou la soumission
Le second Congrès des écrivains et des artistes noirs
L’an V de la révolution algérienne
Les mouvements d’indépendance
La mort de Fanon
L’Algérie pour crypte
La Grande guerre
La Seconde guerre
La Libération
L’International, le genre humain
Le cinéma, instrument de la libération
Alger
Le dernier cri de l’innocence et du désespoir
De l’infériorité sociale de la femme
Monangambé, chant de l’indépendance
Le cinéma contre l’oppression, l’aliénation et la connerie
A propos de l’auteur
Copyright
Notes


 
Préface
 
 
 Ce que j’ai appris avec Donskoï, c’est qu’il faut être disponible.
Donskoï prenait pour exemple le « cuirassé Potemkine. Il n’était pas question qu’Eisenstein fasse Le Cuirassé Potemkine. Il y avait un cuirassé, et soudain, au large, un nuage s’estompe et il voit un cuirassé. Alors tout d’un coup, tchik tchak, il fait un film, mais au départ, ce n’est pas ce qu’il voulait faire.
Donskoï m’a dit, chaque fois que tu fais un film, pense qu’il peut y avoir un nuage, et que ce qui se passe derrière le nuage est peut-être mieux que ce à quoi tu as pensé. Sois toujours en éveil, et ne te dit pas que ce que tu as pensé, ce que tu as écrit, ne doit pas être retouché ; non, saisit ce qu’il y a derrière le nuage.
Quand on fait du cinéma, il faut être disponible, il faut toujours être en éveil, on ne sait jamais ce qui peut se passer. 
 
 
Sarah Maldoror
 
 
Entre Rabat à Alger, sous un beau soleil
 
 
Le train roule vers Alger.
 
C’est un nouveau départ, le voyage est long, nous avons au moins dix heures à être dans ce train qui est lent. Mes deux filles, Anouchka et Henda, âgées de 5 et 2 ans sont assises en face de moi. Anouchka joue avec sa poupée de chiffon et sa sœur. Les personnes assises à côté d’elles leur sourient, leur parlent en arabe. Elles ressemblent à toutes les petites filles du pays. Et, nous ressemblons à toutes les familles du pays. Dans la voiture, les enfants jouent depuis les genoux de leurs mères avec d’autres qui courent entre les rangées de sièges. Sur l’instant, je préfère que mes petites restent sous la surveillance de mon regard.
 
Cette journée est exceptionnelle pour elles comme pour moi. Nous allons rejoindre leur père Mário, qui représente les organisations nationalistes des colonies portugaises et le Mouvement populaire de libération de l’Angola dans la capitale de la jeune République algérienne.
 
Je connais bien cette ligne, Mário et moi l’avons souvent prise pour aller en Algérie après l’Indépendance. Oudja, que nous venons de quitter, a gardé l’austérité militaire issue de la colonisation. Régulièrement lors de la traversée de la ville, Mário avait une pensée affective pour Nelson Mandela et Amílcar Cabral. Il avait rencontré Mandela au Maroc en 1962, moins d’un an après La Conférence des organisations nationalistes des colonies portugaises à Casablanca en avril 1961. La révolution algérienne était d’une inspiration particulière pour Nelson Mandela, elle était pour lui, le « modèle le plus proche du leur, parce que les combattants Algériens affrontaient une importante communauté de colons Blancs qui régnait sur la majorité indigène. »
 
Seuls les effluves venant de la mer rendaient à Oujda son aspect oriental. Ces odeurs de mer nous sont agréables, la Méditerranée ainsi qu’une fraiche bise nous accompagnent au travers des paysages pittoresques marocains depuis ce matin. Nous voilà en Algérie. Il y a une continuité naturelle dans la beauté des paysages, dans les couleurs, dans la lumière.
 
La vitesse du train me berce, la mélodie métallique du frottement des roues sur le rail me décontracte, le balancement ainsi que le cliquetis léger de la voiture m’alanguissent, je pense le passé.
 
Je venais pour la première fois à Alger en octobre 1962 pour les cérémonies du 1 er novembre, cette journée de 1954 où le Front de libération nationale avait manifesté son existence sur le territoire algérien, à l’époque sous administration française. L’Algérie indépendante avait invité, à ce jour de fête nationale, soixante-dix nations en lutte contre l’impérialisme et colonialisme européen et les représentants de tous les Mouvements de libération. Alger était la capitale des Damnés de la Terre .
 
Les festivités étaient grandioses. Il y avait des dizaines de milliers d’anciens combattants, des femmes, des jeunes, des étudiants, des athlètes qui défilaient aux côtés des soldats de l’Armée nationale populaire nouveau nom de l’Armée de libération nationale. Représentant le Mouvement populaire de libération de l’Angola , Mário était accompagné du poète Viriato da Cruz, d’Agostino Neto et de Lúcio Lara. Le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert était représenté par Amílcar Cabral, le Front de libération du Mozambique l’était par le poète Marcelino dos Santos et Eduardo Mondlane. Le Congrès national africain était représenté par Olivier Tambo et Johnny Makattigny, alors que Nelson Mandela était emprisonné en Afrique du Sud, quant à l’ Organisation du peuple Sud-Ouest africain , elle était représentée par Sam Nujoma.
 
L’allégresse de l’indépendance recouvrée inondait les rues, fêter l’Alger, la “ Mecque des révolutionnaires ”, signifiait pour tous qu’ils sont victorieux. Les Palestiniens de l’ Organisation de libération de la Palestine , les Tchadiens du Front de libération nationale du Tchad, les Irlandais de l’ Irish Republican Army le pensaient aussi.
 
À Addis-Abeba se préparait la réunion fondatrice de l’ Organisation de l’unité africaine qui se créait et présidée par l’empereur Haïlé Sélassié 1 er , le 25 mai 1963.
 
Dans ses lettres, Mário m’écrivait sa fascination pour la jeune République démocratique et populaire. Elle est le plus grand pays d’Afrique venue au monde. L’Algérie est une société rurale dont 90% des gens sont analphabètes. Ceux-là ont accompli l’espoir incroyable de battre la quatrième puissance militaire du monde.
 
Il décrivait le sous-développement installé comme étant le résultat d’un colonialisme fondé sur le racisme et l’inégalité dont les objectifs sont la mainmise sur les ressources du pays et la destruction de sa culture exposant les apparences d’une modernité, protégeant une élite de langue française. Or, l’arabe algérien est la seule langue dans laquelle la majorité de la population exprime ses sentiments, ses douleurs et ses bonheurs. La régénération recherchée demandera une gouvernance éclairée et des décennies de travail acharné, selon lui.
 
Il n’y avait pratiquement aucune personne qualifiée, peu de cadres multilingues, peu de gens instruits sur une population de neuf à dix millions d’habitants. Il y avait mille cinq cents étudiants et quelque cinq cents diplômés de l’Université pour faire fonctionner le pays. Mille cinq cents boursiers étaient dispersés dans le monde, en particulier, dans les pays du bloc communiste. Il manque des techniciens. Un million de colons avait quitté le pays à l’Indépendance, laissant celui-ci démuni sans techniciens, sans enseignants, sans personnel médical.
 
Plusieurs milliers d’étrangers, des partisans de l’Algérie indépendante, étaient arrivés de France, de Tunisie, du Maroc au cours des premiers mois. Certains s’étaient cachés pour échapper à la mobilisation, d’autres étaient des déserteurs de l’armée française, des exilés d’Espagne, du Portugal qui étaient des adversaires des dictateurs Franco et Salazar. Nombre d’entre eux avait travaillé avec le Front de libération nationale pendant la guerre comme porteurs de valises transportant de l’argent et des armes. Beaucoup d’entre eux sont hautement qualifiés.
 
D’autres venaient du Brésil, d’Argentine, du Venezuela, d’Amérique centrale, du Liban, de la Yougoslavie, de Cuba, de Chine, de Bulgarie, d’Égypte, de Syrie et de l’Union soviétique. Ils étaient médecins, ingénieurs, techniciens, enseignants, professeurs ou avocats. Ils étaient appelés les “ pieds rouges ”, c’étaient des idéalistes venus pour construire un monde nouveau, des visionnaires auxquels leur conscience intimait d’être en Algérie.
 
Le propos me rappelait Frantz Fanon, mon grand frère, et me renvoyait à la lecture de l’An V de la révolution algérienne .
 
« Les rapports nouveaux, ce n’est pas le remplacement d’une barbarie par une autre barbarie, d’un écrasement de l’homme par un autre écrasement de l’homme. Ce que nous, Algériens voulons c’est découvrir l’homme derrière le colonisateur ; cet homme, à la fois ordonnateur et victime d’un système qui l’avait étouffé et réduit au silence. Quant à nous, nous avons depuis de longs mois réhabilité l’homme colonisé algérien. Nous avons arraché l’homme algérien à l’oppression séculaire et implacable. Nous nous sommes mis debout et nous avançons maintenant. Qui peut réinstaller dans la servitude ? Nous voulons une Algérie ouverte à tous, propice à tous les génies. Nous le voulons et nous le ferons. Nous ne pensons pas qu’il existe quelque part une force capable de nous en empêcher. »
 
L’évocation me rappelait les discussions du Quartier Latin, les échanges passionnés et interrogatifs sur la décolonisation des pays sous le joug impérial européen. Fanon était persuadé que l’indépendance de l’Algérie était déterminante pour l’avenir de l’ensemble du continent et la victoire algérienne devait montrer le combat africain car, pour la première fois, un colonialisme qui a fait la guerre en Afrique se révélait impuissant à vaincre.
 
Il doutait. L’échec de la Révolution l’avait effrayé. Peu de personnes le savent. Lorsque l’Algérie subit son premier coup d’État, la crainte silencieuse de Fanon s’exerça en une nuit depuis un

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