Vol de goélands
83 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Vol de goélands , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
83 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Bouchta est né dans l'indigence la plus totale, aumilieu d'une fratrie tassée dans un réduit comme unbanc de sardines. Ne pouvant plus supporter une pro miscuité étouffante et une misère qui ne dit pas sonnom, il prend le large à la sortie de l'adolescence etclaque la porte familiale sans demander son compte,laissant derrière lui une poignée de frères et une mèreéplorée…Il habite la Blanche, ville tentaculaire sur laquelleveille un marabout bâti sur un îlot, battu par les ventset autour duquel une légion de goélands plane encortège serré.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2015
Nombre de lectures 1
EAN13 9789954213841
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Vo l d e g o é l a n d s Roman
Du même auteur
• "L'Encensoir",éditions La Croisée des Chemins, en Février 2011, a été nominé pour le Prix Littéraire La Mamounia de la même année. Et a été traduit à l'espagnol par les éditions Germania à Valencia en janvier 2014. • “Tête de Serpent son deuxième roman aux Editions Marsam 2013.
EditionsMarsam 2015 15, avenue des Nations Unies - Rabat Tél : 0537 67 40 28 - Fax : 0537 67 40 22 E-mail : marsamquadrichromie@yahoo.fr
Conception graphique Quadrichromie
Impression Editions Imp. Bouregreg - Salé
Dépôt légal : 2015 MO 0121 I.S.B.N. : 978-9954-21-384-1
Omar Berrada Vo l d e g o é l a n d s Roman
Comme l'aube écartait le rideau de la nuit, Quelqu'un de la taverne a crié : le temps fuit ; Remplis ta coupe avec la liqueur de la vie, Et sois ivre, avant l'heure où la source est tarie. Omar Khayam
Couverture -------Acrylique sur toile Collection Marsam
1
5
Je veux bien me reposer, mais ma tête n'est pas un oreiller. Ma tête explose en de milliers de fragments de diamants bruts que la pensée tente de rattraper pour les souder et mettre de l'ordre dans ce capharnaüm aux connexions déréglées. Mon cerveau est un souk dans lequel je me perds tous les jours, et dont les issues ne sont closes que pour moi. Et dès que j'ouvre une fenêtre, d'autres se ferment comme pour me signifier que rien ne sert de chercher les sorties puisqu'elles n'existent pas. Très tôt, je cru avoir franchi le seuil de mes errances, et en l'absence de repères, je faisais semblant de me soumettre aux caprices de mes parents pour tenir la barre du rafiot au centre des vagues déferlantes et des tempêtes. Pour survivre, j'ai guerroyé dans les rues les armées organisées d'enfants aux épées de branche de cognassier. J'ai combattu les hordes de chiens bâtards, les bandes de mokhaznis* aux gourdins d'ébène et le froid traître des nuits d'hiver. Je m'en suis toujours sorti indemne des récifs qui surgissaient sous ma barque, annonciateurs de plages hostiles. Et mon regard se posait sur mes compagnons de fortune, qui s'accrochaient au bastingage et refusaient de se jeter dans les flots pour atteindre les rivages de l'Eldorado
6
Vol de goélands
qui dansaient à l'horizon. D'autres plus téméraires ne voulaient pas rester à écoper l'eau du fond de leur patera et préféraient tenter leur chance, bravant les menaces au péril de leur vie. Nous croyons fermement que nous étions nés des ventres de celles qui pleuraient sur la vanité des civilisations perdues, qui bâtissaient leur espoir sur les empires décadents.
Bouchta le fils d'Ahmed, quand il r éfléchit, parle fort. Il éveille et r éveille les soup çons des clients de la crémerie Al Ghazala qui le d évisagent comme s'ils ne l'avaient jamais vu. Pourtant, Ahmed a viss é ses fesses et son sort sur les chaises de ce caf é, et p ère et fils se ressemblent tellement que ses anciens camarades le prennent pour un revenant. Il a beau modifier sa fa çon de marcher et de parler, les ombres de son myst érieux passé le poursuivent jusqu'au seuil de la cr émerie. Cela fait maintenant trois mois que chaque fin de semaine, il entre dans les eaux fr émissantes de ce caf é dont le nom avait bourdonn é à ses oreilles et qui était le centre de dispute entre ses parents. Il met le pied dans la légende de sa vie d'enfant, traverse les torrents des tables et les orages des voix. Il se dresse tel un phare au bout des récifs et jette ses lueurs dans l'épaisseur des ténèbres pour les effacer et les ramener à la lumière du jour. Il avait quitté la maison à l'adolescence, devenue trop petite pour ses longues jambes, les yeux gorg és de rêves. Et il n'avait pas connu l'innocence des d ébuts de sa jeunesse : autour de lui, les adolescents étaient des adultes, leur puret é envol ée dans les m éandres des incertitudes. La magie de la chaleur ut érine leur a fait défaut, jetés dans la rue comme app âts aux vautours de tout acabit … Mais il a lutt é contre les mar ées et les vents contraires, a tenu la barre et s'est levé comme une vigie en qu ête de rivages sereins et de colombes aux rameaux d'oliviers.
Vol de goélands
7
Les attablés sont en fait pour lui des étrangers et lui un étranger pour eux, mais il a le sentiment qu'il les connaît depuis toujours. Les visages qu'il a croisés dans son enfance sont encore l à : vieux quinquag énaires ratatinés, aux dos vo ûtés, les regards pendus à la télévision ou au fond du goulot de leurs verres, fatigués à attendre l'éternité pour gagner au tierc é : leur devenir est accroché au fil ténu de l'improbable. Al Jazeera vomit ses atrocit és à travers un écran constellé de chiure de mouches. La boîte à merveille est accrochée à un mur, au fond de l' établissement. Le son est à son maximum, la guerre, les bombes, les attentats, le tsunami, le sang, sont le lot quotidien de ces informations apocalyptiques. Il y r ègne toujours une atmosph ère d ’intérieur de hammam : brouhaha, vapeurs de tabac et odeurs âcres d'aisselles. Apr ès le journal du soir, les clients sortent sonnés par le flot des derni ères nouvelles, abrutis et vidés par tant de haine, la tête basse vissée aux épaules, prêts à fondre en larmes pour les uns, et pour les autres, prêts à manger de la chaire crue. Al Ghazala, ce caf é mythique au c œur de la vieille ville, repaire de voyous de tous bords est un d éversoir des désoeuvrés du quartier. Ils se réunissent autour d'un verre de boisson noire, froide et sucr ée à volont é, du matin au soir et autour de laquelle les insectes du derb* se donnent rendez-vous. Ils parlent de ragots colport és par le vent des certitudes, de faits divers sordides, de mariages de princes arabes, de politique, de conspiration, des ennemis de l'Islam, d'Isra ël et de l'Amérique, le pays de Satan aux gratte-ciels et aux dollars à ramasser à la pelle. Le fils d'Ahmed a beau chercher dans le reflet de son verre une ressemblance avec ses parents, il n'en trouve pas. Il était sûr que sa m ère traficotait avec Haj Omar, ce ventre du mal, le tenancier de cette ridicule agence
8
Vol de goélands
immobilière. Il avait lu cette hostilit é dans les yeux d'Ahmed, son père - que Dieu ait piti é de son âme- qui s'était toujours m éfié de ce bedonnant au front marqu é par la tâche de la piété. Piété, mon cul ! — Qu'est-ce qu'il a ton cul blédard ? tu veux le vendre ? il ne t'apportera même pas un kilo de tomates. Merde et re merde ! Il a encore hurl é au lieu de chuchoter, m ême le son de la t élévision n'arrive pas à couvrir les éclats de ses pens ées. Que fait-il ici parmi cette populace, ces pouilleux, qui m ême relog és à la périphérie reviennent au centre-ville comme attir és par un aimant invisible ? Que reste-t-il de ses souvenirs qu'il vient d éverser chaque jour dans ce lieu sordide, sans avoir de r ésonance, sans trouver une putain d'oreille ? Alors qu'il critique ces attabl és, éparpillés tels des chiffons d'imprimeur parmi les tables crasseuses, il fait comme eux mais n'arrive pas à se défaire de cet endroit comme si ses pieds lui dictaient les sentiers qu'il doit prendre. Il se surprend à rôder autour des lieux de son enfance qu'il a délibérément fuit. Pour quelle raison ? Il ne le sait pas. Il ne sait pas ce qu'il cherche pour l'instant, mais joue aux devinettes avec sa tête. Lui et sa tête jouent à savoir qui sait mieux que l'autre ce que chacun manigance. Bouchta se lève enfin, épuisé, jette quelques dirhams sur la table et sort prendre l'air.
Enfin libre ! Je suffoque et vomis l'air vicié de la taverne d'Iblis*. Mon Dieu, comment font-ils pour se blottir toute la journée contre les parois de ces murs visités par les spectres et les souvenirs embués par tant de larmes et de regrets ? Je me sens insulté dans mon corps, je m'ébroue comme un chien qui sort de l'eau pour me débarrasser de l'odeur de la détresse qui me colle à la peau. Comment se fait-il que mon père avait
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents