Un lézard dans le jardin
138 pages
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Un lézard dans le jardin , livre ebook

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Description

Clara, la narratrice, est une fétichiste de la soie, qui est poussée à des comportements incontrôlables, au point qu’elle en devient dangereuse. Echappant de justesse à la prison, elle se retrouve internée dans une institution psychiatrique. C’est là que nous la rencontrons, au début du roman, qui nous plonge d’emblée dans son monde intérieur, et nous ouvre sa sensibilité tour à tour attachante et inquiétante, son intelligence aiguë des signes et des autres.


« — Enlevez-lui les menottes, murmura-t-il au policier qui m’avait amenée, ici c’est inutile.


Il congédia mon cerbère de la même voix trop douce, puis il me tourna le dos pour aller s’asseoir derrière son vaste bureau. Je faillis éclater de rire en voyant qu’il portait des bottines aux talons très hauts, mais je me retins, ce n’était pas le moment. Ce médecin avait le pouvoir, là et maintenant, de me renvoyer en prison ou de me garder dans sa clinique. Et j’hésitais, je ne savais pas ce que je voulais : être reconnue délinquante ou bien internée comme malade mentale. »


André Agard est psychanalyste. Auteurs de nombreux essais, il est aussi comédien et metteur en scène, il a dirigé deux troupes de théâtre de 1977 à 1982.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782362800085
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

UN LÉZARD
DANS LE JARDIN





ANDRÉ AGARD
UN LÉZARD
DANS LE JARDIN
ROMAN


éditions
THIERRY MARCHAISSE












© 2011 Éditions Thierry Marchaisse
Conception visuelle : Denis Couchaux
Mise en page intérieure : Anne Fragonard-Le Guen

Éditions Thierry Marchaisse
221 rue Diderot, 94300 Vincennes
http://www.editions-marchaisse.fr
ISBN (ePub) : 978-2-36280-008-5

Diffusion : Harmonia Mundi
www.centrenationaldulivre.fr



À la mémoire de Sylvia Gilles.




1

Cachée derrière un panneau de bois représentant un mur blanc percé d’une fenêtre, je retenais mon souffle. Je le voyais de dos en pleine lumière ; il était immobile, debout au milieu de la scène, face à la salle.
Après ce qui venait de nous arriver, j’avais le sentiment que je ne pouvais plus m’éloigner de lui. Mes nerfs se détendaient enfin. J’aurais voulu pleurer.
Je respirais les odeurs de bois, de colle, de tissus poussiéreux. Ça sentait bon le théâtre et me rappelait le grenier de mon enfance, caverne d’Ali Baba pleine d’étoffes où se rouler, s’enfouir, se perdre, velours et soie, fourrure et feutrine, mousseline, laine, coton, le seul endroit au monde où j’étais complètement en sécurité ; je m’y réfugiais des heures.
J’entendais ma mère m’appeler ; je ne bougeais pas.
Elle était couturière et mercière. À sa mort, je m’étais mise à la couture moi aussi, passant des heures à tracer, bâtir, finir toutes sortes de vêtements, d’abord machinalement, puis je découvris que j’aimais cela.
Ici, j’avais continué. Et s’il m’arrivait de ne pas coudre, je lisais. Depuis ma rencontre avec cet homme, les livres avaient acquis une grande importance ; du retard à rattraper.
Les fauteuils des spectateurs étaient vides, la salle déserte, les comédiens, les techniciens, les habilleuses, toute la troupe était partie au restaurant, pour la fête prévue après la première.
Le silence était magnifique : il permettait d’entendre encore les applaudissements ; ils avaient claqué, longtemps, avec cette sincérité spontanée exprimant la gratitude. « Un triomphe », a-t-on dit plus tard.
Il restait figé. Moi aussi. Peur de faire craquer le plancher, d’éternuer. Je savais son oreille très fine. La pluie se mit à crépiter sur le toit ; ce bruit me procura un bien-être délicieux caressant tout mon corps. J’ai toujours aimé que personne ne sache où je suis, et là encore j’aurais voulu que cela dure, avec l’envie de m’allonger sur la scène, de sentir le bois sous mes omoplates. Mais je me retins, il aurait pu me repérer. Les bruits s’amplifiaient : le fond du décor était comme une caisse de résonance.
Quand je l’avais entendu lancer aux autres : « Je vous rejoins tout de suite, allez devant », je m’étais demandé ce qu’il mijotait. Je les avais vus se mettre en route par groupes de quatre ou cinq vers le village, riant, bavardant trop fort, joyeux, soulagés.
Depuis le début de la matinée, lui s’était effacé ; silencieux, hermétique, introuvable, jamais là où on le croyait. Les comédiens étaient nerveux, le trac montait en chacun à mesure que l’heure de la représentation approchait. On évite de se croiser sur la scène, dans les coulisses, on évite la salle et même de regarder les sièges encore vides, on se rassure en marmonnant son texte à toute vitesse, mais rien n’y fait, la peur finit par contaminer tout le monde. Simple costumière, je me sentais prise par l’anxiété comme les acteurs. J’allais de l’un à l’autre pour les derniers essayages, les retouches, surtout pour les chats qui m’avaient posé problème.
En le cherchant au début de l’après-midi, je l’avais vu quand même une fois, et nous nous étions observés longuement. Il était sorti de la salle de théâtre entre deux averses pour prendre l’air, en fait pour s’adonner à son activité favorite : la promenade. Il lui fallait marcher, il ne pouvait s’en empêcher. Il surveillait le ciel nuageux. La température baissait depuis plusieurs jours ; tout le monde disait : bientôt, la neige. Il l’espérait. L’hiver était sa saison préférée. La température allait descendre sous zéro, et la pluie se transformer en flocons.
Il était capable de marcher toute une journée sans fatiguer. Il partait parfois dès l’aurore. Mais quand on lui demandait : « Où vas-tu comme ça ? », il répondait en souriant : « Je l’ignore ».
Il me faudrait des pages pour décrire son sourire. C’était un homme qui souriait tout le temps. Comment dire ? Un doux sourire ironique, dont on ne savait s’il était dirigé contre l’autre et glissait vers l’insolence, ou contre soi-même pour se tourner en dérision. Un sourire au bord. D’ailleurs il était toujours au bord, Walter, en marge, à la limite : c’est ce que je dirais de lui si on me demandait ce que j’en pensais. Mais personne ne me demandera jamais ça.
Quand il était seul, il souriait aussi, je l’avais surpris parfois quand il ignorait que je l’observais. J’étais certaine que là, maintenant, face à cette salle vide, il souriait encore. Pas besoin de voir son visage : angélique, l’air ailleurs, avec ses grands yeux bleus très clairs, et ses abondants cheveux blancs qu’il coupait trop courts. Il était timide, et toujours en retrait. Poli aussi, d’une politesse qui empêchait toute agression à son égard. Elle était d’ailleurs permanente, presque irritante – et désarmante. Et puis, il était beau ; il ne le savait pas. La pratique intensive de la marche lui permettait de conserver une minceur aristocratique à son âge, soixante-quinze ans, à peu près. C’est le bel âge pour certains hommes.
Il m’avait dit une fois : « Moi, je suis un ravissant zéro tout rond, et je suis bien ». Je ne suis pas certaine d’avoir compris.
Le jour même de la première, le metteur en scène Walter Le Valseur (on le surnommait ainsi), le chef de notre troupe, s’absenta donc plusieurs fois, et réapparut sans explication. Le connaissant un peu, j’aurais dû prévoir son comportement. Il devait penser que les comédiens et les autres n’avaient plus besoin de lui. Tout était réglé, son travail achevé, il pouvait nous laisser. Cet homme guettait sans cesse les occasions de prendre la tangente.
J’étais sûre qu’il avait eu envie de s’enfuir, de partir pour une de ses errances qui l’emmenaient loin, dans la grande forêt toute proche, où l’on pouvait marcher une journée entière sans en sortir, ni rencontrer personne, sauf peut-être un chevreuil. De ses randonnées, il rentrait ébloui, l’air encore plus absent. Il lui fallait un certain temps pour revenir parmi nous.
« Walter, atterris ! » On lui disait ça gentiment. Mais ce jour-là, il n’avait sans doute pas osé s’enfuir vraiment. Il était revenu à temps pour accueillir les spectateurs et assister en coulisses à la représentation. J’ignorais ce qui l’avait retenu ; la curiosité ? Ou peut-être se réservait-il pour la neige annoncée, et une interminable balade dans le silence blanc.
Planté là, au centre, il émit un gros soupir ; comme je ne voyais pas son visage, je ne savais pas ce qu’il exprimait. Il portait son complet en velours à grosses côtes noir un peu usé aux coudes et aux genoux, ses chaussures de promenade aux semelles épaisses, et une chemise en laine de bûcheron, à carreaux bleus et verts.
Il se mit soudain en marche vers le côté gauche de la scène, cour ou jardin, je ne savais jamais. Ses chaussures frappaient lourdement le plancher en bois. Je fus obligée de me tordre le cou pour le suivre des yeux. Il s’arrêta près d’un gros levier, avec une poignée ronde : c’était le commutateur général d’électricité.
Il dit :
– Tu vois, j’ai réussi, je suis arrivé au bout.
Une seconde, je crus qu’il m’avait découverte, mais je me rassurai aussitôt : il parlait à sa voix. Il m’avait confié qu’une voix intérieure l’accompagnait ; elle était toujours féminine.
Il ajouta, presque murmurant :
– Il me reste juste un geste à accomplir.
Je n’eus pas le temps de me demander ce que c’était : il abaissa le levier – et la salle fut plongée dans le noir.
Je poussai un cri.




2
Il arriva chez nous un dimanche de novembre.
Lors du dîner, nous avons pris conscience qu’un nouveau était parmi nous ; il est venu s’installer à la table où j’avais quelque habitude. Il s’est assis avec un timide : « Bonsoir », sans regarder quiconque. Notre tablée se composait de personnes plutôt douces, sans affection spectaculaire ; à d’autres tables on pouvait apercevoir çà et là des gens qui se balançaient sans cesse, des mutiques emmurés en eux-mêmes, d’autres qui poussaient un cri soudain ou un grognement, sans raison apparente.
J’ai écrit « chez nous » : une clinique psychiatrique perchée sur les hauteurs, en limite d’une immense forêt, adossée contre de grands hêtres, des chênes, des bouleaux, et beaucoup de sapins.
Pendant très longtemps, je fus la seule pensionnaire à qui il parla, je veux dire plus que les courtes phrases ordinaires de bienséance. Je ne sais plus comment nous sommes entrés en relation. Je crois que c’est moi, la première, qui suis allée vers lui. Je le revois devant la fenêtre de la salle à manger, regardant vers la forêt. Je lui ai dit :
– Il n’existe aucune interdiction à sortir se promener ici, le savez-vous ? Le règlement stipule que l’on soit rentré pour le dîner, c’est tout. De toute façon, nous sommes si loin de tout.
Il a tourné ses grands yeux vers moi, en souriant, et j’ai su que je désirais devenir son amie. C’était la première fois qu’un homme me faisait cet effet-là : de lui n’émanait aucun danger. Il était comme un

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