Un cœur marocain
176 pages
Français

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Un cœur marocain , livre ebook

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Description

Parfois, les problèmes de santé vous tombent dessus au moment où l'on s'y attend le moins. Un peu comme les histoires d'amour... Adam Kazantzakis n'avait pas prévu qu'il connaitrait les deux en même temps dans la ville de Rabat. Que faire lorsque la maladie vous prend par surprise, dans un monde peut-être plus malade que vous ? Abordant un sujet grave avec un ton humoristique, ce roman offre un autre regard sur la vulnérabilité et la fragilité des existences.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2018
Nombre de lectures 18
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un cœur marocain
Roman© Editions Marsam - 2018
Collection dirigée par Rachid Chraïbi
15, avenue des Nations Unies, Agdal, Rabat
Tél. : (+212) 537 67 40 28 / Fax : (+212) 537 67 40 22
E-mail : marsamquadrichromie@yahoo.fr
Conception graphique
Quadrichromie
Impression
Bouregreg - Salé - 2018
Dépôt légal : 2018MO
I.S.B.N. : 978-9954-21- Jean Zaganiaris
Un cœur marocain
Roman«Dans quelque maison que j’entre, j’y entrerai pour
l’utilité des malades, me préservant de tout méfait
volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des
femmes et des garçons, libres ou esclaves».
Le serment d’Hippocrate
Couverture
Oeuvre de Abdelhalim Raji Un cœur marocain 5
1
Pour I. Z et I.Z, et pour Z.Z., bien sûr.
— Monsieur, votre rythme cardiaque est de 39 pulsations par
minute…
Sur le coup, je n’avais pas vraiment compris ce qu’il sous-entendait.
Je me trouvais sur le divan de mon généraliste, pour une simple visite
de contrôle. Celle où l’on s’entend dire d’habitude que tout va bien,
que l’on peut se rhabiller et rentrer tranquillement chez soi d’un pas
léger, en allumant une cigarette une fois dehors, sur le trottoir usé.
— Et donc ?, lui répondis-je sur un ton neutre.
Il redressa la tête et me fxa droit dans les yeux, en haussant les
sourcils. Cet homme âgé d’une soixantaine d’années, les tempes
grisonnantes, habituellement si froid, si stoïque lorsqu’il annonçait ses
diagnostiques, semblait être pris au dépourvu. Une lueur d’effarement
surgit dans son regard. Lui aussi devait avoir envie d’en fnir avec
cette journée, rentrer à la maison, se reposer un peu, passer du temps
avec sa famille. Il portait une alliance dorée à son annulaire et une
photo encadrée avec des enfants était sur son bureau, près des dossiers
et d’une horloge indiquant dix-neuf heures trois minutes. Nous
étions dans un petit cabinet aux murs couleurs jaune pâle, avec des
dossiers empilés un peu partout. D’habitude, il se limitait à écouter
les battements de mon cœur, palper mon ventre et mon cou, me dire 6 Jean Zaganiaris
de perdre du poids et prescrire des analyses de sang que je faisais
une fois sur deux, le résultat étant toujours bon. Ce jour-là, il portait
un costume gris sous sa blouse blanche. Sa voix n’avait plus le ton
monocorde que je lui connaissais jusque-là.
— Et donc il devrait battre entre 60 et 80 pulsations par minute…
Le vôtre est à 39... C’est bas... C’est même très bas... Avez-vous déjà
fait des malaises ?
En m’enlevant le tensiomètre, son visage retrouva une certaine
candeur. C’était moi à présent qui n’en menais pas large. Le médecin
resta silencieux quelques instants interminables, son regard toujours
planté dans le mien. J’aurais donné cher pour savoir à quoi il pensait à ce
moment précis. Etait-ce moi qui étais au centre de ses préoccupations,
considéré en tant qu’être humain, ou bien s’intéressait-il uniquement à
ma maladie, la pathologie qu’il venait de déceler dans mon corps et qui
n’était qu’un simple mot dans sa tête ? Peut-être me trompais-je mais
j’avais l’impression que la plupart de ces gens étaient programmés
comme des logiciels. Leur fonction était de soigner. Juste soigner.
Je ne répondis pas tout de suite à sa question. Il me fallut quelques
secondes pour comprendre ce qu’il voulait savoir :
— Non… Je me sens même plutôt bien en ce moment…
Il me reprit encore une fois les pulsations, manuellement. J’avalai
péniblement ma salive. Il le sentit. Son regard plongea de nouveau
dans le mien. La neutralité qu’il s’efforçait de conserver avait quelque
chose d’effrayant. J’avais l’impression d’être dans un mauvais flm.
— 37 pulsations minute…
Certains moments dans la vie semblent être comme suspendus,
semblables à la buée que l’on voit sur les vitres lors des matins
brumeux. Subitement, j’eus envie d’un verre. Quelque chose de fort,
un whisky par exemple, ou une vodka pure, parfumée de miel.
— Et qu’est-ce que vous me prescrivez, docteur ?
— Je vous conseille d’aller voir un cardiologue assez vite et de faire
des examens plus approfondis, notamment un électrocardiogramme…
Il faut voir pourquoi est-ce que votre cœur bat au ralenti. Un cœur marocain 7
Il m’expliqua les choses en utilisant un jargon incompréhensible.
Puis il se tut, en me fxant d’un air étrange. J’en proftai pour remettre
mon pull. Il s’assit à son bureau et commença à écrire. L’expression
que prit le visage de ce médecin pendant qu’il rédigeait son texte me
remplit brusquement d’une profonde tristesse. Ce ne fut pas tant de la
peur ou de l’angoisse que j’éprouvai à ce moment-là. Juste une tristesse,
à peine perceptible d’ailleurs ; un de ces sentiments mélancoliques qui
s’emparait d’un homme seul ne sachant pas trop de quoi l’avenir serait
fait mais comprenant que la suite ne serait pas rose.
— Voilà la carte d’un collègue situé à l’Agdal… Ne trainez pas
trop... Vous lui remettrez cette enveloppe de ma part…
Il me raccompagna jusqu’au bureau de sa secrétaire. Je réglai la
consultation un peu comme on paye une amende. La flle décolla à
peine les yeux de son ordinateur. Les billets disparurent dans un tiroir.
Il ne prenait ni chèque, ni carte bancaire. Je sortis de l’immeuble en
allumant une cigarette. Il faisait nuit. Je me sentis très seul, tout d’un
coup. Le cabinet n’était pas loin du musée d’art moderne. Je décidais
de passer devant les belles lumières translucides qui coulaient le long
de sa façade néo-mauresque. Ce bâtiment de style andalou avait été
construit sur les ruines d’une horrible demeure coloniale. Il était
près d’une longue avenue menant vers les remparts couleur ocre qui
entouraient le centre-ville. En ce moment, on pouvait y découvrir une
très belle exposition des sculptures de Giacometti. J’adorais ce buste
de femme que l’on ne voyait pas de la même façon selon que l’on
soit de face ou de profl. Quand on la regardait de face son nez était
mince et son corps large. Par contre, quand on était de profl, c’était
son nez qui paraissait énorme et sa taille très fne. L’idée était géniale.
Giacometti était un génie. 39 pulsations par minute, ce n’était pas
non plus comme s’il n’y en avait qu’une ou deux. Mettons-nous de
profl, pas de face, et regardons ce problème de cœur autrement que
le toubib qui me l’a annoncé. Lui n’était pas avec moi, en ce moment,
sur le trajet qui me menait à la place Piétri, il n’était pas avec moi 8 Jean Zaganiaris
dans ma balade le long de ces petites boutiques de feurs, fébrilement
éclairées par des ampoules nues sortant d’on ne sait où. Les scenarios
catastrophes qui tourbillonnaient dans ma tête, du type devoir me
faire opérer en urgence à cœur ouvert, s’avèreraient peut-être faux.
Les lampadaires éclairaient également très peu la petite ruelle dans
laquelle je m’engouffrais, marchant au hasard, me demandant ce que
j’allais faire de ma soirée, et surtout ce qui m’attendait à présent, avec
ce souci de santé fraichement diagnostiqué. Serais-je toujours vivant à
la fn du livre ? Qu’est-ce que l’écrivain, mon semblable, mon frère, ce
menteur né, allait faire de moi ? Des papiers chiffonnés trainaient sur
le trottoir. Cette nouvelle situation me semblait irréelle, j’étais comme
dans un rêve à l’avenir incertain, un voyage dans le brouillard. Je me
retrouvais en haut du boulevard Mohammed V, près de la gare Rabat
ville. Les gens étaient assis autour de la fontaine illuminée, marchaient
le long des grands palmiers, attendaient le tramway. Brusquement, je
me sentis très différent d’eux, comme si je venais de basculer dans
un autre monde, comme si quelque chose avait été amputé de mon
âme. Le sourire logé habituellement sur mes lèvres s’était envolé. Le
temps devenait immobile, grisonnant. Le décor ressemblait à un vieux
flm en noir et blanc, à la pellicule abîmée. J’avais marché longtemps
dans la nuit, la lettre du docteur collée à mon cœur, dans la poche
revolver du blouson. Un vent très fort souffait sur mes cheveux noirs.
En janvier, il faisait froid au Maroc. Ce soir, il se mit également à faire
froid dans mon sang, un de ces froids assez atypiques, assez inédits,
que vous découvrez en voyageant dans un territoire inconnu.
Je fnis par entrer dans un bar près de la gare Rabat ville.
La pièce baignait dans un coloris rouge et mauve, une sorte de
brouillard fuorescent dans lequel se perdaient les yeux des clients.
Je m’installai à l’une des tables du fond et demandai une bière au
serveur. En face de moi, il y avait une grande affche de Jacques
Brel, en sueur, les yeux fermés. Il semblait vivre de l’intérieur les
paroles qu’il chantait. Je posai mon paquet de cigarettes sur la table, Un cœur marocain 9
recouverte d’une nappe rouge aux refets sombres, et me dis qu’à
présent il fallait me détendre.
Un poste en piteux état passait des chansons chaâbi. Un petit verre
ne me ferait pas de mal. La salle était pleine de monde. Une famme
minuscule provenant d’un briquet presque vide alluma la cigarette
entre mes lèvres. J’aimais ces ambiances populaires, j’y passais la
plupart de mes soirées, les yeux face à ces éternels matchs de foot que
l’on voyait sans le son à la télé. En descendant la première gorgée de
bière, je sentis un léger mieux dans mes soleils noirs. Je me répétais
mentalement des banalités. « Ça va aller ». « C’est rien » « Il exagère ».
Et puis une boule d’angoisse se ft de plus en plus grosse dans mon
ventre. La sensation était curieuse. Les chanteurs en photo sur les murs
étaient morts pour la plupart. Mais cela ne m’impressionnait pas tant
que ça. L’envie d’ouvrir la lettre cachetée de mon généraliste fut trop
forte. Je commençais à la lire, en proie à une terreur indicible. C’était
incompréhensible. Il parlait d’un truc qui s’appelait« bradycardie »,
en utilisant tout un tas de termes techniques. Je remis la lettre là où je
l’avais prise. N’importe quel toubib recevant ce torchon dans les mains
verrait que l’enveloppe avait été ouverte. Ça ne ferait

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