Un choix sans retour
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Description

Sandrine, une étudiante, a l'intention de poursuivre sa troisième année de droit, à la Sorbonne. Pour survivre, parce qu'elle sert de bonne et de baby-sitter chez ses riches employeurs, sans avoir le choix ni les moyens de partir en vacances, elle se donne l'habitude de passer l'été au jardin du Luxembourg, en attendant la rentrée. Mais sa rencontre avec un homme qui la déçoit déclenche en elle le besoin de gagner sa vie autrement. Elle ne fréquente plus les cours, devient marginale. Décidée à changer de cap, elle vit désormais par le biais d'un argent plus facile à gagner, ce qui la conduira à franchir les limites de la décence et à s'expatrier.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 mars 2019
Nombre de lectures 1
EAN13 9782414334124
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Bernard Tellez
Un choix sans retour
Sandrine’s way
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Sandrine avait pris l’habitude de venir s’asseoir au jardin du Luxembourg, en été, car elle ne prenait pas de vacances. On aurait pu croire qu’elle s’ennuyait d’être seule, mais Sandrine s’ennuyait rarement. Elle était assez riche dans son monde intérieur, pour se croire à l’abri d’éprouver un isolement préjudiciable à son besoin d’indépendance et de liberté. En considérant à loisir, les acacias, les frênes, les chênes, dont les silhouettes se détachaient sur un ciel barbouillé de bleu et de gris, elle prenait du plaisir à apprécier la douce lumière qui éclairait les statues de l’allée principale. Le soir, au soleil couchant, elle aimait les rayons qui illuminaient le toit du sénat et accentuaient le jeu des perspectives, en glorifiant la richesse de la nature et l’ingéniosité des hommes. Au pied de la fontaine Médicis, assise sur son banc, Sandrine pouvait apercevoir la statue de Neptune qui versait sempiternellement un filet d’eau, et ce ruissellement lui plaisait. Parfois, elle voyait des amoureux, dont elle exécrait l’exhibitionnisme, qui s’arrêtaient dans une allée. Le couple s’embrassait, à la vue de tous, aussi bien au regard des arbres, impassibles et muets, qui semblaient les observer. Assis sur des bancs semblables au sien, comme des silhouettes dessinées sur un carton, il y avait des liseurs immobiles, penchés sur un livre. De même, elle apercevait
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parfois, dissimulé dans un buisson, un homme seul, muni d’une casquette de gendarme, qui surveillait. Sandrine avait pris ses quartiers, ici, tandis que Paris semblait vide… Elle y reconnaissait certains habitués, et ceux-ci, des gens âgés, le plus souvent, l’observaient et lui disaient bonjour du regard. Des gens passaient, pour apprécier le silence, ou des armées de touristes qui faisaient fuir les oiseaux qui gazouillaient. Les chemins convergeaient vers le grand bassin, à la surface duquel des reflets parallèles, presque blancs, suggéraient le scintillement des eaux ou les éclaboussures sombres de quelques canards, aussi bien que s’il s’agissait de mouettes. Des enfants faisant naviguer de petits bateaux au bord de l’eau du grand bassin. Plus loin, la coupole de l’Observatoire flottait dans une brume naissante, avec la venue du soir. Sandrine sentait son regard aspiré par la perspective, dans un infini artificiel. Elle venait souvent, l’après-midi, avec un livre… Elle ne s’ennuyait pas vraiment, satisfaite de bénéficier d’un havre de paix, au cœur de Paris. Elle respirait mieux, et s’y laissait dorer par les rayons solaires, avec bienveillance, en respirant l’odeur d’oxygène que diffusaient les arbres… La chaleur des jours s’adoucissait peu à peu, et si leur durée raccourcissait, elle sentait la fin de l’été approcher. Celui-ci fut assez long à passer, et Sandrine n’aimait pas l’été, à cause du vide qu’elle ne pouvait s’empêcher de ressentir. Puis l’automne vint, sans qu’elle s’en aperçût. On aurait pu prendre Sandrine pour une vraie solitaire, avec son livre à la main qu’elle transportait dans un petit sac, ou posé près d’elle, voire une vieille fille, avant l’âge. Mais Sandrine était belle. Il suffisait d’un rien pour attirer son attention, le regard, en éveil, quand le moindre prétexte lui paraissait suffisant. Sans être accessible aux activités du tout-venant, elle préférait les gens stylés, ou
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ceux qui avaient assez de charisme pour le suggérer. On tient à certaines affinités, quand elles justifient un maintien souhaitable, à son goût. Sandrine, étudiante, en Sorbonne, entrait dans sa troisième année de droit. Dès le début de l’automne, avec la rentrée, déjà, l’année universitaire allait commencer. La capitale était devenue ce qu’elle était depuis toujours. Elle avait repris son rythme infernal, et les gens étaient redevenus ce qu’ils étaient, débordant d’activités.
* * *
Un jour de temps de pluie, à l’air légèrement fraîchi, le ciel amassait des nuages gris, incertains, au-dessus du jardin du Luxembourg, presque désert. Sandrine aperçut l’homme qui venait vers elle, à pas lents, en contournant le grand bassin, et parut presque surprise, à sa vue. Ce dernier avait un air légèrement distrait, et pouvait sembler drôle, ridicule ou fantaisiste, en quidam qui ne se prend pas vraiment au sérieux, ou qui veut donner l’idée de s’étonner de lui-même. Sandrine le voyait approcher, stupéfaite, avec un brin d’appréhension. Elle aurait préféré qu’il passât près d’elle et bifurquât, en poursuivant son chemin. Malgré ses vingt-deux ans, Sandrine avait pris l’habitude de n’attendre jamais rien de personne. « Je vous ai apporté des bonbons », songea-t-elle, en le voyant, c’est l’idée qui lui vint à l’esprit, en appréciant la chanson de Jacques Brel, dès qu’elle aperçut le gêneur. L’homme vint s’asseoir sur le banc, près d’elle, sans lui adresser la parole. Et si Sandrine feignit de ne pas attacher d’importance à sa venue, au bout d’un instant, elle sentit néanmoins que sa présence la dérangeait, dans sa volonté d’être seule, en lui volant une certaine forme de
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quiétude ou de liberté. Elle se tourna brièvement vers l’inconnu, mue par un réflexe de nature. Celui-ci se tourna aussi vers Sandrine. – Dites, si vous êtes venu vous asseoir, ici, sur ce banc, dans l’espoir de lier conversation, déclara-t-elle, vous faites erreur, monsieur. A supposer que vous éprouvez le besoin de me parler, ou s’il vous paraît urgent de me draguer, vous m’embarrassez ! Je n’ai pas l’esprit à ça, elle ajouta, en lui montrant un autre banc, du doigt, en ajustant son regard : Il y a d’autres endroits où s’asseoir, à proximité. – Les bancs sont à tout le monde, dit l’homme, même celui-ci. – Certes ! – Je n’ai pas voulu vous gêner, déclara l’homme. Mais c’est à cause de son exposition. Un revirement se produisit dans l’esprit de Sandrine. Elle parut hésiter, avant d’ajouter : – Sans blagues ! Encore que… – Encore que quoi ? demanda l’homme. Allez jusqu’à bout ! Sandrine préféra se taire et serra les lèvres. Elle s’arrêta juste à temps, car elle était sur le point de dire autre chose, mais n’ajouta rien. Un silence suivit où la jeune femme sentit en elle, une certaine désapprobation. Par diversion, elle s’attarda à suivre d’un regard distrait, des gens qui passaient dans une allée… Puis son regard devint caustique, peu amène, du fait qu’elle sentait l’homme à ses côtés. En réfrénant son envie subite de partir, d’aller s’asseoir, ailleurs, sur un autre banc du jardin, pour fuir la présence de l’inconnu, elle réalisa subitement que c’était bien futile, et resta. Un couple s’avançait dans l’allée, un homme et une femme qui promenaient leurs enfants, des petits êtres de
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trois et cinq ans. Le couple semblait ravi d’exposer sa progéniture, la petite fille et le petit garçon, tous deux, bien apprêtés, et bien mis. Sandrine les suivit un instant du regard, jusqu’à ce qu’ils disparaissent de l’allée. Puis, toujours assise et étonnée, en désapprouvant qu’un quidam quelconque vînt la déranger, elle saisit son livre et essaya en vain de se plonger dans sa lecture. Elle pensait à autre chose, cela heurtait sa sensibilité, au point qu’elle se demanda de nouveau, si elle n’allait pas quitter ce banc et partir définitivement, car elle ne sentait pas d’humeur à apprécier qu’un importun lui comptât fleurette. Son esprit plutôt triste et maussade, ce jour-là, à cause du ciel couvert qui rendait le jour atone, la rendait de mauvaise humeur, mais elle sut, une fois encore, qu’elle ne le ferait pas. Non, elle devait rester, elle était bien là. De quel droit cet inconnu venait-il déranger sa quiétude ? « Un gêneur », se dit-elle… « A moins que… En tout cas, pas lui ! » Sandrine réfléchit. Pourquoi pas lui ? Est-ce que cela avait vraiment de l’importance ? Elle était seule à savoir qu’elle avait besoin d’argent. Pour quelques billets de vingt euros, elle ne cessait de réaliser mentalement qu’elle pouvait momentanément changer de peau et devenir une hétaïre, une courtisane, du moins, pour la circonstance, en jouant le jeu de prêter son corps pour de l’argent, en utilisant son physique à bon escient, sans éprouver quoi que ce fût, parce qu’elle n’avait pas d’autre choix, le pensait-elle, en servant d’appât au premier venu, en suscitant en lui des envies. Pas n’importe lequel, certes, ni le premier venu ! Mais Sandrine fut reprise par le même leitmotiv : elle avait besoin d’argent. Si cela lui paraissait un terrible enjeu, elle ne savait pas si elle serait capable d’assumer son rôle jusqu’au bout, afin de continuer à mener une existence normale. En travaillant
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chez des gens riches, Sandrine touchait des gages, toutes les fins de mois, pour ses bons et loyaux services. Mais comment se faisait-il que ce mois-ci, en début de la rentrée universitaire, elle se trouvait à cours de ressources ? Car il fallait vivre, manger. Elle avait dû renouveler sa garde-robe, en prévision de l’automne, et tout coûtait si cher, désormais… Sandrine préféra garder son secret. Elle savait qu’elle était jeune et belle, qu’elle attirait le regard des hommes, que plus d’un pouvait la courtiser. Mais devant l’éventualité de se prostituer, voire de se proposer au désir d’un homme quelconque, de tenter l’aventure, cela la dépassait. Elle manquait d’expérience. Elle ne pouvait pas non plus se permettre de voler, ce n’était pas son genre. Le pas est très léger à franchir, pour transformer une rencontre de hasard, afin de l’orienter dans un sens précis, en utilisant un partenaire quelconque. De saisir de l’occasion pour s’en sortir, spontanément, afin d’en tirer un profit, un intérêt précaire. En servant de bonne et de baby-sitter, chez des gens riches, Sandrine logeait au septième étage, sous les combles. Dès qu’elle quittait l’appartement de ses employeurs, au quatrième étage, elle montait par l’escalier de service et rejoignait sa chambre de bonne. Il n’y avait pas d’autre moyen de vivre. Il en était ainsi, depuis plus d’un an. Elle considéra soudain que sa vie était une galère. A la Fac, elle connaissait d’autres étudiants des deux sexes, qui auraient pu l’aider, mais Sandrine, d’un naturel renfermé, peu encline à se familiariser trop vite avec ses condisciples, savait garder ses distances. Les autres étudiants étaient pour elle une camaraderie de surface. En fait, elle avait pris l’habitude de ne se lier, avec aucun ou aucune, par besoin d’indépendance. En vérité, Sandrine avait trop de problèmes à résoudre. Elle ne se
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sentait pas au même diapason que ses condisciples, pour des raisons qui appartenaient au milieu dans lequel elle avait grandi, du fait aussi qu’elle venait de province et que son travail pour survivre, ainsi la tâche qu’elle devait remplir quotidiennement, l’isolait. Elle entendit la voix de l’homme dire : – J’ai cru surprendre que vous disiez, « encore que… » Très juste ! ajouta-t-il. J’aime votre répartie ! Bon réflexe de défense, si l’on peut s’interpréter ainsi. – Pourquoi ? demanda-t-elle. De quoi vous occupez-vous ? Que vous ai-je dit ? Que voulez-vous dire ? – Que si j’essaie de vous draguer, cela vous dérange, vous l’avez dit… Enfin, en y mettant la forme. L’homme s’efforça de sourire, mais Sandrine le voyait à peine, ou mal. Elle détourna le regard, le posa comme précédemment, devant elle. Le ciel, de plus en plus nuageux et gris, (le temps allait changer), donnait aux silhouettes qui passaient, une couleur et un air revêche ou maussade. L’inconnu, toujours assis à ses côtés, la jeune femme sentit, par elle ne savait quoi d’intuitif, qu’il n’allait pas en rester là, qu’il pouvait lui parler, l’assourdir de paroles, avec des propos insipides ou niais, d’une façon volubile. Et qu’il allait développer autour d’elle une sorte de parodie ridicule, sans aller à l’essentiel, qu’il en avait le genre, comme d’être un raseur indécis qui avançait d’un pas, pour en reculer de deux, et qu’il finirait obligatoirement par l’agacer. Il y avait toujours d’autres bancs, à proximité… « Il a l’air de quoi, ce con ? » songea-t-elle, sans daigner le voir, en levant les yeux sur le ciel toujours gris et couvert. Le ciel se mit soudain à bruiner, ce qui n’était pas tout à fait prévu… La bruine opaque, plus silencieuse que la pluie, avait l’air de vouloir s’insérer partout. L’inconnu restait
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toujours à côté d’elle. Puis il commença de pérorer à son gré, sans qu’elle eût rien dît, malgré son regard détourné : – Vous savez, mademoiselle, n’attachez pas trop d’importance au comportement d’autrui, pas plus qu’à mes propos. Je suis assez dithyrambique. Il m’arrive de perdre le fil de ce qui me vient à l’esprit. Non pas que je veuille m’égarer, ou égarer la personne qui m’écoute, mais de considérations, en considérations, de parenthèses, en parenthèses, il n’y a rien à faire, je finis par perdre le fil initial. Chacun a ses défauts de phraseur. « Encore ! se dit-elle. Va-t-il se taire ? Ne peut-il pas se taire, ce type-là ! ». Sandrine se tourna vers lui, agacée : – Il faut savoir ce que l’on veut ! dit-elle. Allez trouver une autre confidente, ailleurs ! Ou bien, allez à l’église. Il doit bien y en avoir une ouverte quelque part, en ce moment, avec son prêtre. Ou prenez rendez-vous, chez un psy, une psy ! Ce n’est pas ce qui manque. Téléphonez à SOS amitiés ! – A propos des églises, vous savez, elles ne sont pas toujours ouvertes. Je songe parfois à me déchausser, pour postuler de me rendre dans une mosquée ? Mais je ne suis pas sûr que l’on me laisse entrer ? – Pourquoi pas, demanda-t-elle, même pour un athée ? Il suffit d’avoir l’air inspiré. Cela vaut le coup d’essayer. Ainsi vous en aurez pour vos frais ! Chut ! dit-elle, je crois que l’on nous écoute ! L’homme se mit à rire : – Vous avez un bon sens de l’humour. J’aurais trop peur qu’on m’y viole, pensez ! Elle réfréna son besoin de rire, tout en cherchant à le tenir, à distance, et parut le trouver :
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