Un barrage de sucre
168 pages
Français

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Un barrage de sucre , livre ebook

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Description

La construction du barrage sur le Ziz, dans la région de Tafilalet, au cours des années soixante, est l’occa sion de révéler des individus parfois durs, parfois tendres, face à une nature hostile. C’est dans ce contexte qu’évolue Karim, un jeune ingénieur, plein d’espoir, qui a cru en un avenir meil leur. La résistance de la roche et la rudesse du climat sont pour lui plus faciles à affronter que la cupidité et la fatuité de ses chefs. Dans le tumulte de sa vie amou reuse et professionnelle parviendra-t-il à trouver une issue à son mal-être, et à se faire une place au soleil ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2016
Nombre de lectures 4
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un barrage de sucre
Roman
2ème édition© Editions Marsam - 2016
15, avenue des Nations Unies - Rabat
Tél : 05 37 67 40 28 - Fax : 05 37 67 40 22
e-mail : marsamquadrichromie@yahoo.fr
Compogravure flashage
Quadrichromie
Impression
Imprimerie Bouregreg - 2016
Dépôt légal : 2016MO2570
I.S.B.N. : 978-9954-21-459-6Moha Souag
Un barrage de sucre
Roman
2ème éditionCouverture :
Raji Abdelhalim
Acrylique sur toile
Collection Rachid ChraïbiUn barrage de sucre 5
1
La pluie n’avait pas commencé comme elle le faisait
d’habitude, au-dessus du désert, par un orage tonitruant,
tonnant et crachant, à travers la vaste étendue d’un ciel
percé, toute son eau dans un bruit infernal, illuminant
de ses éclairs fulgurants la moindre parcelle de sable et
chaque petit caillou noir pour s’arrêter, immédiatement,
comme une colère tant retenue et brutalement assouvie.
Cette pluie durait depuis trois jours et trois nuits.
Elle avait commencé, lentement. Quelques rares
gouttes d’eau furent accueillies par les louanges à
Allah des adultes, les youyous des femmes et les cris
de joie des enfants. Tous sortirent dans les rues fêter la
résurrection de la terre, des bêtes et des hommes, humer
les fragrances d’un sol mouillé, exhalant le retour de
la vie. Pour la première fois, les enfants et les adultes
se laissèrent asperger, des pieds à la tête, par cette eau
bénie, ne se mirent point à l’abri de peur d’effaroucher
la pluie et qu’elle ne se fâchât et ne s’arrêtât. Il ne
manquait, à cette fête, que le lait et les dattes pour
recevoir dignement un hôte de marque qui eût boudé ces
contrées depuis longtemps et qui revenait répandre ses
bienfaits sur le pays. La pluie, heureuse de cet accueil,
persista et redoubla de force. Elle s’apaisait un moment
puis reprenait de plus belle. Elle ne se découragea ni
ne diminua d’intensité, toute la nuit et toute la journée.
Cette persistance effraya les gens car ils n’y étaient pas
habitués. Le ciel était tellement lourd de tous les nuages
qui s’y étaient accumulés que sa grisaille se répandit,
comme une nuit précoce, jusqu’à l’intérieur des maisons. Un barrage de sucre6
Un rideau de fnes gouttelettes d’eau, en fls continus,
s’élevait entre ciel et terre, prenait tout son temps
pour couvrir complétement des murs en pisé lesquels
fondaient lentement et rejoignaient leur origine, la terre.
On eût dit la main du destin qui les effritait. Cette terre,
assoiffée par tant d’années de sécheresse, ne pouvait
plus ingurgiter autant d’eau tombée, placidement, en si
peu de temps, d’un ciel si chiche de nature. Tout, au
village, suintait : les murs, les arbres, les chemins et les
hommes. L’eau perlait de partout comme sur une peau
lisse. Toutes les ravines devinrent des ravins en furie ;
les oueds asséchés devinrent des oueds en crue. L’eau,
après avoir décharné les murs par le haut, les attaquait par
le bas. Les quelques fosses septiques, les rares conduits
d’égouts furent remplis et les maisons, envahies par les
eaux, s’effondrèrent les unes sur les autres. Une eau
bourbeuse coulait partout, les rues étaient devenues des
rivières de boues où personne n’osait plus s’aventurer.
Oued Ziz, charriant tout ce qu’il trouvait sur son
chemin, les hommes aussi bien que les bêtes, les
maisons et les ustensiles de cuisine, les jardins et leurs
arbres fruitiers, les palmiers séculaires et les oliviers
gigantesques, passa au-dessus du pont métallique qui
reliait les deux rives de Ksar-es-souk, rencontra l’oued
Lahmer en aval et, tous deux, arasèrent les bas quartiers
en très peu de temps.
Les gens se rassemblèrent dans la petite mosquée du
village et prièrent avec ferveur, la peur au cœur, pendant
toute la nuit pour que la pluie cessât. L’imam lut quelques
versets du Coran pour calmer l’oued, jeta la canne sacrée de
Sidi Ben Talha dans les fots torrentueux comme ft Moïse
de son bâton, mais rien ne se produisit. Quelqu’un suggéra
d’aller chercher la tenture sacrée du saint du village car
l’esprit de l’eau la respecterait et s’apaiserait. On l’apporta
et on la jeta aux fots voraces, elle fut engloutie par les Un barrage de sucre 7
tonneaux fougueux et disparut dans la nuit. La foule eut
peur. Elle se mit à psalmodier des litanies de clémence
et de miséricorde après avoir psalmodié, quelques jours
auparavant, celles quémandant la pluie.
Une peur panique s’empara des villageois, ils fuirent
leurs maisons et se réfugièrent sur les collines avoisinantes
pour sauver leur âme faute de n’avoir pu sauver leurs biens.
Au matin du quatrième jour, le soleil se dévoila enfn,
le ciel se dégagea de tous les soucis qui l’encombraient
la veille, sans rougir de honte, comme si de rien n’était,
contemplait les effets de son saccage d’un œil bleu
impassible. Les gens retournèrent chez eux, ne trouvèrent
que de la boue au lieu de leur maison, un vide mouillé,
dégoulinant et collant, le désastre d’une vie et la disparition
de plusieurs années de labeur de plusieurs générations. Ils
jetèrent toutes leurs clés dans l’eau boueuse du Ziz car
l’oued en aurait beaucoup plus besoin qu’eux puisqu’il
leur avait tout pris : les portes et les biens cachés derrière
les portes, un passé bâti dans la souffrance et la violence,
un avenir ténèbres qu’il faudrait ériger encore de ces
tas de boue fasque, visqueuse et tenace. Les riches se
retrouvèrent pauvres et les pauvres plus pauvres encore.
Tout était à reconstruire comme au premier jour.
Ksar-es-souk fut déclaré village sinistré : la radio et les
ministres allaient enfn s’y intéresser. Ils vinrent de Rabat
dans les hélicoptères noirs de la gendarmerie royale car
toutes les routes et toutes les communications, avec le
monde, étaient coupées. Un cortège de Jeeps militaires
se forma et se dirigea, diffcilement, dans la boue et les
ornières de ce qui avait été l’unique rue goudronnée du
village, vers l’Oued Lahmer. La délégation jeta un coup
d’œil offciel sur les murs effondrés, les toits de roseaux
tissés et de poutres de palmiers enchevêtrées, écrivit
ses rapports, ft des prières pour les morts, souhaita bon
rétablissement pour les blessés, les estropiés et beaucoup Un barrage de sucre8
de chances pour les survivants. Le temps que les cameras
des Actualités Marocaines eussent pris quelques images
pour alimenter les cinémas des grandes villes, les ministres
s’envolèrent tels des frelons noirs vers Rabat. Quant aux
badauds, ils se dispersèrent au bourdant des hélices qui
leur frent baisser la tête malgré eux, laissant les rescapés
à leur détresse boueuse et la terre à sa désolation.
Juste après le départ des ministres, quelques tentes
furent dressées sur un terrain vague entre la popote
de la caserne militaire et les terrains de sport du lycée
Sijilmassa. Plusieurs familles s’y installèrent pour une
période longuement provisoire.
Quelques jours plus tard, le roi ft un discours où
il annonça la politique d’un million d’hectares et
l’augmentation du prix du sucre en vue de permettre la
construction des barrages. Le prix du sucre quintupla
à l’échelle nationale car le projet était historique. Il
annonça aussi le lancement des chantiers de la Promotion
Nationale et la création des Offces de l’Irrigation. Les
services de la Jeunesse et des Sports envoyèrent une
circulaire invitant les artistes à créer des chansons et des
pièces de théâtre parlant du barrage de l’Oued Ziz et du
sable du Sahara qui est plus doux que la soie.
Ksar-es-souk prit une autre allure : de village-caserne,
perdu dans les confns désertiques du Maroc, il devint
village chantier. Des engins bizarres débarquèrent, un
beau matin, par la route d’Oujda, en provenance du
port de Nador, car aucun pont sur les routes nationales
ne pouvait en supporter le poids, la taille, la vitesse.
C’étaient des bulldozers géants, des excavatrices, des
engins de chantiers à bennes basculantes, des camions
aussi hauts que les plus hautes maisons du village.
Beaucoup d’étrangers vinrent s’installer à
Ksar-essouk : un bureau d’ingénieurs-conseils américains, des
ingénieurs yougoslaves, français, espagnols et hollandais.Un barrage de sucre 9
2
Les ministres donnèrent leurs directives au gouverneur
pour qu’il vienne en aide aux sinistrés et pare au plus
urgent : goudronner la route, réparer les dégâts subis par
le vieux pont métallique et rétablir les communications
téléphoniques. Quelques semaines après le départ des
ministres, le gouverneur ordonna au caïd Madih de
repérer les terrains à distribuer aux sinistrés de Oued
Lahmar et aux déplacés de toute la vallée du Ziz. Les
uns seraient installés à Boutalamine ; les autres, le long
du tracé de la nouvelle route nationale n°21. Ceux dont
les logements n’avaient pas été trop endommagés et qui
voudraient quitter Oued Lahmar pour reconstruire leur
maison, auraient des terrains à Lahdeb. De nouveaux
quartiers allaient naître autour du village.
Madih, le bras droit du gouverneur, envoya un
mokhazni chercher Moulay Abdellah, le président
du conseil municipal de Ksar-es-souk, qui tenait une
minuscule boutique dans la rue commerçante du village.
Quand un mokhazni, fottant dans son vaste uniforme
kaki, eut appuyé nonchalamment son vélo contre
l’unique tamaris de la rue, se dirigea vers la boutique,
Moulay Abdellah comprit qu’il venait vers lui, ramassa
le tissu d’une robe qu’il avait à peine commencée à
coudre et la fourra sous sa machine. Il se leva, ferma sa
modeste boutique de tailleur, mit les grosses clés dans
la poche de sa blouse grise en maugréant contre le caïd
qui l’empêchait de travailler et de gagner tranquillement
un morceau de pain pour ses enfants. D’ailleurs, Moulay Un barrage de sucre10
Abdellah avait perdu plusieurs de ses clientes à cause
de son manque de parole. Il ne remettait jamais un
vêtement le jour promis depuis qu’il était devenu
président du conseil municipal et de tous les conseils
de la ville ; certaines femmes n’avaient pas pu mettre
leur robe neuve u

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