Troisième jeunesse - Coup de coeur des lectrices Prix Femme Actuelle 2021
122 pages
Français

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Troisième jeunesse - Coup de coeur des lectrices Prix Femme Actuelle 2021 , livre ebook

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Description

Laurent Lagarde Troisième jeunesse GAGNANT GRAND PRIX 2021 Roman Éditions Les Nouveaux Auteurs 16, rue d’Orchampt 75018 Paris www.lesnouveauxauteurs.com ÉDITIONS PRISMA 13, rue Henri-Barbusse 92624 Gennevilliers Cedex www.editions-prisma.com Copyright © PRISMA MÉDIA / 2021 Tous droits réservés ISBN : 978-2-8195-06546 À mes parents, pour mon enfance, les après-midi de jeux, de lecture et de balades… À mon grand frère, ma grande sœur, pour notre grande et joyeuse famille ! À Sandrine, ma première lectrice et mon Eileen. À Baptiste, Heidi et Joanna, pour que vous ne laissiez personne vous obliger à manger des brocolis. À mon érable de Conflans. Samedi 15 juin Bien malin celui qui devinera ma destination… Je ne devrais pas être ici. Je viens d’un lieu où les romans s’achèvent. Pourtant, mon histoire continue. Il faut peu de chose pour passer du mal-être au plaisir de vivre… La vedette s’appelle Douce France . Elle est joliment carénée, dans sa robe blanche et bleue. Je suis sur le pont arrière et je regarde le sucre des falaises se dissoudre progressivement derrière les vagues, loin de l’écume du sillage. Nous croisons un chalutier qui rentre au port. Les hommes travaillent sur le pont, préparant les poissons pour la criée, sous un nuage de mouettes hystériques. Je passe à l’avant en titubant le long du bastingage. Il y a peu de monde sur le bateau, juste quelques passagers disséminés. Certains sont des habitués, ils ne regardent plus la mer.

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Informations

Publié par
Date de parution 24 juin 2021
Nombre de lectures 1
EAN13 9782819506546
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Laurent Lagarde
Troisième jeunesse
GAGNANT GRAND PRIX 2021
Roman
Éditions Les Nouveaux Auteurs
16, rue d’Orchampt 75018 Paris
www.lesnouveauxauteurs.com
ÉDITIONS PRISMA
13, rue Henri-Barbusse 92624 Gennevilliers Cedex
www.editions-prisma.com

Copyright © PRISMA MÉDIA / 2021
Tous droits réservés
ISBN : 978-2-8195-06546
À mes parents, pour mon enfance, les après-midi de jeux, de lecture et de balades…
À mon grand frère, ma grande sœur, pour notre grande et joyeuse famille !
À Sandrine, ma première lectrice et mon Eileen.
À Baptiste, Heidi et Joanna, pour que vous ne laissiez personne vous obliger à manger des brocolis.
À mon érable de Conflans.
Samedi 15 juin

Bien malin celui qui devinera ma destination… Je ne devrais pas être ici. Je viens d’un lieu où les romans s’achèvent. Pourtant, mon histoire continue.
Il faut peu de chose pour passer du mal-être au plaisir de vivre…
La vedette s’appelle Douce France . Elle est joliment carénée, dans sa robe blanche et bleue. Je suis sur le pont arrière et je regarde le sucre des falaises se dissoudre progressivement derrière les vagues, loin de l’écume du sillage. Nous croisons un chalutier qui rentre au port. Les hommes travaillent sur le pont, préparant les poissons pour la criée, sous un nuage de mouettes hystériques. Je passe à l’avant en titubant le long du bastingage. Il y a peu de monde sur le bateau, juste quelques passagers disséminés. Certains sont des habitués, ils ne regardent plus la mer. Ils restent à l’intérieur, les yeux rivés sur l’écran de leur téléphone, indifférents à ce qui m’émerveille. Je m’assois sur une banquette et ferme les yeux. C’est si bon d’être en mouvement. Tout vibre, bouge et bruisse autour de moi ; le moteur, le vent qui caresse mes joues imberbes, les vagues, les goélands, l’étrave qui rebondit sur l’eau. Je sens que nous ralentissons, j’ouvre les yeux et découvre l’île. Des pins maritimes sont disposés en sentinelles et protègent des villas blanches nichées entre leurs troncs. À mesure que nous approchons, les couleurs surgissent, étonnamment explosives. Je ne connais pas les noms de ces fleurs, mais elles ont une exubérance et des tonalités tropicales : rose, rouge, pourpre, fuchsia.
À droite du port, un chemin longe la côte et devient sentier à mesure qu’il s’élève. Je quitte le bateau et je rejoins la plage à pas tranquilles. La marée est basse et je marche sur le sable mouillé, entre des flaques isolées et des rochers constellés de bigorneaux. Ça sent l’iode, les algues, la mer, une odeur puissante, vivante, qui m’étourdit, moi qui suis habitué aux parfums douceâtres et fanés de ma résidence. J’arrive sur une crique aux contours déchirés. J’avance vers l’eau qui vient à ma rencontre puis s’évanouit dans le sable. Je longe le rivage pour revenir vers le port. J’y trouverai sûrement un petit restaurant, une table en terrasse pour m’accueillir et un fauteuil pour somnoler après le café.
Ce matin, mon regard plane sur l’horizon que j’ai choisi, jusqu’à la ligne bleue où ciel et mer se rejoignent sans se mêler. Je marche et le clapotis de l’eau m’accompagne, comme un chien qui lape le rivage. J’aurais pu rester là quelques jours, mais ce soir je retourne sur le continent.
Je m’appelle Alexandre Delcourt, j’ai soixante-dix-neuf ans et j’ai un rendez-vous.
Le château

Huit mois plus tôt…
À vingt ans, une copine étudiante m’avait tiré les cartes. Nous avions séché un cours de droit fiscal et elle avait disposé ses tarots sur la table du café. Cela faisait quelque temps que nous nous frôlions et j’étais mûr pour parler avenir avec elle. Seule sa dernière prédiction me revient aujourd’hui : je finirai ma vie dans un château.
Elle avait raison.
J’habite dans un château, un vrai, avec tourelles, échauguettes et parc arboré. Il n’a pas de pont-levis, mais deux escaliers symétriques qui se rejoignent sur le perron. À chaque étage, de hautes fenêtres ouvrent sur des ceintures de pierre. Il a été bâti au XVIII e  siècle, la plaque dans le hall est formelle.
Sur son aile gauche, le parc descend en pente douce jusqu’à une trouée entre deux bosquets. Un kiosque est caché derrière et il suffit d’en gravir les marches pour découvrir en contrebas deux larges méandres de la Seine. C’est un paysage à la Victor Hugo et je me plais à imaginer des voiles au loin descendre vers Harfleur.
J’ai une retraite et des revenus confortables, amplement suffisants pour cette vie de château et je ne possède plus grand-chose. Mes objets familiers se réduisent désormais à une poignée de fidèles compagnons qui m’accompagnent dans mon exil gériatrique. Ils dorment non loin de moi, comme de vieux chiens désœuvrés que leur maître ne peut plus sortir ; mon alliance, mon portefeuille, un briquet Zippo offert par un vieil amour de jeunesse et mon ordinateur portable. Si je devais déménager, ma vie tiendrait dans une boîte à chaussures. Pourtant, il ne me manque rien. Je n’ai jamais bien su dépenser mon argent. Les carrosseries et les cylindrées ne me font aucun effet, je n’ai pas l’âme voyageuse, je ne chine pas, je ne décore pas et le luxe m’ennuie. Pour un anniversaire, j’avais invité Eileen dans un restaurant étoilé. Ce fut un long malaise nourri par l’obligation de s’extasier à chaque assiette et chaque bouchée. Je me souviens d’une mise en scène lourdingue, d’un ballet incessant autour de nous, d’un défilé de serveurs courbés apportant nos plats avec des précautions de démineur.
Ici, le personnel est moins nombreux et se tient droit, cela me convient très bien.
Ma chambre est au rez-de-chaussée, au bout d’un couloir de portes entrouvertes. J’ai une belle hauteur sous plafond et la baie vitrée donne sur le jardin et le parking des visiteurs, si désespérément vide les jours de semaine. Un tableau solitaire et déprimant trône au-dessus du lit. Son auteur, dans un ultime éclair de lucidité, a renoncé à le signer. Il a reproduit un sous-bois lugubre, avec trois petits animaux non identifiés au premier plan, des blattes géantes ou des vaches naines, difficile de se prononcer.
Mes colocataires ont entre soixante-quinze et cent trois ans. Ils sont plus ou moins touchés par la sénilité et un tri a dû être opéré. Le château est donc organisé en trois niveaux. Les premier et deuxième étages accueillent les valides ; c’est là que j’ai la chance de résider. Les « semi-valides » sont au troisième et les dépendants au dernier étage.
Il est surprenant de voir que la hauteur de résidence est inversement proportionnelle au degré de mobilité des pensionnaires. Le pragmatisme l’a cependant emporté ; les dépendants sont cachés sous les toits afin de ne pas infliger le spectacle de leur déchéance. Les valides sont en bas parce que plus présentables. La majorité des familles peut ainsi repartir en disant à l’ancêtre : « Tu es bien ici ! »
J’avoue, je n’ai pas osé monter au quatrième. Je vois les visiteurs entrer dans l’ascenseur, visage fermé, lèvres closes. En quelques secondes, ils doivent être transportés dans un univers terrifiant où les attend la vision de leur future vieillesse. Ils passent des minutes interminables avec les vestiges d’un parent recroquevillé au fond d’un fauteuil, le corps cassé, les yeux délavés et la mâchoire tombante. Ils disent quelques mots, inspectent brièvement la salle de bains, vérifient que les draps sont propres puis repartent après un rapide baiser sur une joue flasque. Ils sortent de l’ascenseur comme d’une longue apnée et pressent le pas, leur clef de voiture déjà à la main. Peut-être se sentent-ils coupables. Pourquoi le seraient-ils ?
Je sais que je noircis le tableau, que je ne fais que projeter mes angoisses. Quand même… Je ne pense pas que j’aurai la force d’y monter un jour.
Les repas se prennent au rez-de-chaussée, sous un vertigineux plafond cathédrale où des moineaux viennent se perdre les premiers jours de printemps. Nous mangeons sur des tables rondes entre lesquelles les « dames de service » servent et desservent avec un empressement déprimant. Elles ont hâte d’expédier cette corvée et le claquement de leurs talons accélère le cliquetis des fourchettes.
L’après-midi s’étire lentement entre sieste, télévision et jeux de cartes. Je ne joue pas et je ne me suis pas fait de copains dans mon nouveau pensionnat. Nous sommes peu d’hommes ici ; la vieillesse est un mot féminin. Les maisons de retraite sont des harems oubliés où errent quelques eunuques aussi inoffensifs que moi.
Bref, je m’emmerde.
J’ai essayé de nouer des connaissances, d’engager des conversations, mais je n’y prends aucun plaisir. Je préfère me barricader et ruminer. J’attendais la retraite comme une délivrance. Je pensais être un prince emprisonné, un génie créatif incarcéré dans le monde capitaliste, victime de la société moderne et des trains de banlieue. Au bout de deux semaines, je me suis retrouvé bras ballants dans mon salon face à une journée à rallonge qui déroulait son tapis miteux devant moi. J’ai essayé de réagir, de prendre l’air. J’ai fourré un livre et une bouteille dans un petit sac à dos et je suis allé prendre mon vélo au garage. J’ai fouillé les étagères et les caissons à la recherche d’une pompe, j’ai enlevé les toiles d’araignée sur le guidon et sous la selle, et je suis parti pédaler. C’était le début de l’automne, l’un de ces moments où la température est idéale. Après quelques minutes, j’ai commencé à sourire. J’étais sur une piste cyclable qui longeait un champ de vaches noires et paisibles, immobiles comme des jouets d’enfants. J’avançais à bonne allure et sans forcer. Le soleil était encore bas sur l’horizon, tapi derrière les arbres. Je me suis engagé sur une fine route séparant deux étangs semés de canards et de goélands. Au bout, une passerelle permet de franchir le canal et d’atteindre l’île où flotte la silhouette embrumée d’une cathédrale romane. J’ai bifurqué à gauche sur le chemin de halage et j’ai roulé quelques minutes avant de trouver un ponton. Je suis allé m’asseoir, les semelles à fleur d’eau, et

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