Triplicata, suivi des Vies en abyme
100 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Triplicata, suivi des Vies en abyme , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
100 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Qu'est-ce qui articule nos vies ? Qu'est-ce qui en modifie le cours ? Stéphane Bret tente de répondre à ces questions en mettant en scène dans le premier recueil Triplicata trois versions de la vie d'un jeune homme, dans un style volontairement désuet, comme pour marquer l'aspect roman d'apprentissage de ces textes. La dénomination du personnage, S., est un clin d'œil à Kafka, qui désigne K., le héros du Procès. Les personnages du second recueil Des vies en abyme sont en proie à des débats intérieurs, des interrogations qu'ils portent les uns sur les autres : René Lecerf s'interroge sur ce qu'est une bonne Justice, Farida sur ses origines, Céline Travis, sur sa vie sentimentale bancale et son homosexualité de moins en moins latente. Chacun reformule ou réécrit ses propres souvenirs, à son avantage, craignant d'être pris en défaut par la vie. Pourtant, cette tentative d'auto-dissimulation de leurs failles les plus intimes s'effacera au profit de leur quotidien : un repas amical juste avant les fêtes de Noël.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 janvier 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342059816
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Triplicata, suivi des Vies en abyme
Stéphane Bret
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Triplicata, suivi des Vies en abyme
Retrouvez l’auteur sur son site Internet : http://stephane-bret. monpetitediteur.com
 
Triplicata
Première vie
S. avait bénéficié d’un privilège peu commun : il avait traversé l’enfance, regardée à cette époque comme la source incontournable de tous les maléfices, multiples nœuds gordiens, passage obligé d’interminables souffrances, d’une manière paisible. Cette voie quasi royale l’avait mis, presque à son insu, dans une sorte de pôle position au départ d’une grande course que ses proches, ses camarades de classe, les membres de sa famille nommaient d’un air de conspirateurs entendus : la vie.
L’accomplissement des premières années de son existence s’était apparenté à une croisière effectuée dans un gigantesque catamaran, pourvu de toutes les prestations dernier cri les plus à même de satisfaire les estivants en recherche du haut de gamme. Bien sûr, son éducation avait dès le départ été orientée vers l’atteinte de l’excellence, le côtoiement des sommets, la proximité de l’élite, notion qui allait littéralement envahir sa vie jusqu’à la limite du supportable. Cette insistance à le propulser par avance vers les sommets l’avait quelque peu intrigué et déstabilisé dans les moments où les doutes s’exacerbaient dans son esprit et reprenaient le dessus.
Certes, ces phases d’interrogation ne duraient guère longtemps, elles n’étaient pas de mise pour un membre potentiel des futurs cercles dirigeants de son pays, desquels on attendait qu’ils apprissent par cœur le texte de leur rôle social sans jamais être sujets à la moindre défaillance.
Pour conforter cette étanchéité, S. avait été placé par sa famille immensément protectrice dans les meilleurs cours, écoles, lycées et autres universités privées, ce dans le but de lui garantir les chances de réussite les plus sérieuses. Cette ségrégation, cordon sanitaire mis en place contre d’hypothétiques influences extérieures, n’avait rien d’inédit ni d’original ; ce type d’organisation ayant déjà constitué dans un passé déjà lointain un modus operandi des plus efficaces. Pourtant, dans le pays habité par S., le décor s’était quelque peu fissuré. Les premiers gros dégâts apparurent après les deux guerres mondiales livrées par cette nation en l’espace de trente ans. Ce n’étaient certes pas des guerres revêtant une dimension ordinaire, menées dans des contrées lointaines, aux noms à peine prononçables pour un citoyen doté d’une culture générale moyenne.
Non, ces guerres avaient dévasté ce pays, et bien d’autres contrées également belligérantes. Elles y avaient provoqué une des plus graves crises morales de l’histoire de ce continent qui avait été historiquement traumatisé par la survenance d’événements sidérants, impensables. Pourtant, la tendance générale, au sortir de ces conflits, surtout le second, avait penché vers la reconstruction, non vers la restauration. Cette précaution dans l’orientation choisie avait permis, non de faire table rase du passé, prétention alors perçue comme une grossière incongruité, mais de rendre possible un réaménagement, une reconfiguration des structures sociales.
Cette donnée, S. l’avait perçue, dès les premières années de son adolescence, ces années où l’on recherche le modèle humain idéal jusqu’à l’atteinte de la plénitude et de la maturité. Il n’avait pas une conscience directe de cet état de choses, et ne pouvait percevoir avec une acuité réellement intense tous ces phénomènes. Ces filtres instaurés entre lui et le reste du monde étaient opaques et d’une efficacité redoutable. Toutefois, ils se révélèrent quelque temps plus tard loin d’être infranchissables. De nouveaux moyens de communication s’implantaient alors : la radio, la presse pour les teen-agers. Ils donnaient, un peu, la parole aux aspirations des générations montantes, ces millions de jeunes auxquels S. appartenait en dernière analyse.
L’écho des secousses auxquelles la société d’alors était en proie commençait à parvenir à S. par des canaux de plus en plus insistants : des conversations de camarades de lycée, puis de faculté, et dans les cas les plus inédits, les plus audacieux, ou qui lui apparaissaient tels en raison des œillères insérées durablement dans sa faculté de juger par son éducation rigoriste, des bribes de propos captés dans des lieux publics.
Ces espaces de captation de l’air du temps existaient dans le quartier où résidait S., malgré le conservatisme quasi militant affiché par les résidents de ce dernier. Comment l’exultation engendrée par l’exercice d’un fragment de liberté de mouvement tout récemment conquis sur cette chape de plomb pouvait-elle pertinemment s’y manifester ? Par l’insolence, la pratique de la transgression de plus en plus excitante à mesure que S. découvrait, non pas le monde réel dans son intégralité, mais des extraits de vie, des signes de toutes natures ; le tout lui paraissant revêtir l’attrait de ce qui est longtemps dissimulé, et se dévoile avec une lenteur empreinte d’une lascivité à peine supportable.
S. prit ainsi l’habitude d’épier des conversations dans les cafés en s’installant le dos face à ses cibles, pour éviter la survenance de tout soupçon d’indiscrétion évidente. Il constata, rapidement, que les termes des conversations entendues, parfois interprétées par ses soins, étaient très loin d’être en concordance avec la vision idyllique que son milieu d’origine tentait encore de préserver dans son esprit d’adolescent prépubère, déjà susceptible de se frotter aux premières rugosités de l’existence.
Cela ne l’effraya nullement et l’incita à persévérer dans cette découverte pointilliste du monde porteuse de révélations capitales. Très vite, à l’écoute des conversations dans ce type d’endroits, s’ajouta l’exercice de la fonction visuelle. Observation d’autrui, du maintien, des vêtements portés par les clients attablés, des timbres de voix, de leur intonation, des journaux lus par ces individus, des types de consommation. Ainsi les individus se marquaient et se démarquaient par ces artifices et accessoires… Cela sembla se vérifier comme une loi régulière pour S…
Si tel était le cas, l’observation de la vie au quotidien devenait pour S. un thème de plus en plus digne d’intérêt et porteur de nombreuses interrogations. Pourtant, ces lieux parurent à la longue inappropriés, à eux seuls, pour déchiffrer le monde, pour s’y acclimater. Tel était le mot juste. Toute l’éducation de S. avait mis l’accent sur la conformation audit monde. Se fondre dans la masse, observer l’anonymat des règles édictées par des inconnus, renoncer à la part de soi-même la plus précieuse, la plus créative, la plus émouvante. C’était l’impératif à atteindre… Être éduqué équivalait alors à mourir un peu. Cette étape s’apparentait à un dressage de l’individu plutôt qu’à une préparation authentique vers l’autonomie personnelle. S. pressentit que ce constat n’était nullement hyperbolique. Il se sentit menacé.
Il émit l’hypothèse, rassurante celle-là : la pression de conformité exercée par toutes ces structures sociales, la société, la famille, le milieu d’origine, n’avait pas tué chez lui toute volonté de contourner ces obstacles pour simplement exister par soi-même, vivre on your own , selon une expression apprise auprès de l’un de ses professeurs d’anglais au Lycée.
Cette expression avait séduit S., il l’avait trouvée éloquente, expressive, capable de refléter une situation de manière significative. Si les mots, le langage étaient encore libres, empreints d’une fraîcheur de ton, générateurs de surprises, tous les espoirs n’étaient-ils pas permis ? Ne jouaient-ils pas, eux aussi, un rôle précieux ?
Il y aurait donc pour S. une dualité référentielle dans la constitution de ses repères moraux : les mœurs et les conduites prescrites d’une part, les mots et les ressources de l’expressivité, d’autre part.
À d’autres individus moins bien préparés à ce genre de coexistence, l’exercice eût paru périlleux S., pour sa part, resta de marbre face à ce défi. Il le regarda comme un incitatif, un aiguillon précieux.
Le plaisir de découvrir un monde réel aux terrasses de cafés était amoindri par l’arrivée des premiers frimas, la fonction d’exposition à l’air libre étant alors rendue provisoirement impraticable, et le repli vers l’intérieur des salles inévitables. Par chance, le café que fréquentait de plus en plus assidûment S. était pourvu d’une large baie vitrée, ce qui rendait toujours réalisable la pratique d’une observation du monde extérieur, ce dernier se résumant alors aux passants défilant sur le trottoir bordant l’établissement.
La simple fréquentation d’un café était, dans certains milieux bien circonscrits, équivalente à l’adhésion à un mode de vie, à la révolte contre les valeurs de la société d’alors. Certains intellectuels du moment avaient mis l’accent sur le caractère inimitable de leurs relations, des sentiments éprouvés l’un envers l’autre. Ce droit d’auteur, appliqué aux mœurs et aux types de liens entretenus entre eux, avait déjà provoqué des désillusions. En dépit de leur avertissement, on avait tenté de les copier, de les singer pour être libres, en phase avec les tendances du moment.
« Que se passerait-il si ces individus faisaient école, si les relations de personne à personne, d’homme à femme devenaient susceptibles de s’inventer, de se construire sur un pied d’égalité, de se redessiner intégralement ? » se dit

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents