Tranches de mort
162 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Tranches de mort , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
162 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Qu’on le choisisse ou non, mourir est toute une histoire... Un homme décide de se noyer dans sa salle de bains transformée en caisson étanche ; les derniers jours d’un aveugle solitaire devant son poste de télévision; dans le métro, un choisit très mal sa dernière victime ; un disquaire pense deviner l’avenir dans des paroles de chansons; un supporter de foot traqué par son ombre tente le tout pour le tout en rejoignant Las Vegas; à Hollywood, un acteur de films d’horreur finit par s’identifier à un véritable vampire; le destin d’Alain dans un monde régi par les chiffres... Jouant avec l’absurde, le hasard et le fatalisme, Franck Vinchon manie les mots avec un sens de la dérision déconcertant et sculpte un authentique bijou d’humour noir. Débordant d’imagination, truffées de références à la pop culture, brandissant cynisme et légèreté comme armes de destruction tragicomique, ces "Tranches de mort" sont des plus revigorantes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748377101
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tranches de mort
Franck Vinchon
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Tranches de mort
 
 
 
À mon grand-père Simon
 
 
 
« Ce livre m’a rappelé de bons souvenirs, l’Espagne mais aussi mon suicide. Et maintenant, pour qui sonne le glas ? »
Ernest Hemingway


« Malgré les références à Bram Stoker, je me suis régalé dans mon caveau du Père-Lachaise. Mes voisins ont aussi bien profité de ces sympathiques Tranches de mort . »
Oscar Wilde
 
 
« Un auteur français qui habite en Russie et qui n’en parle jamais. Le contraire de mon parcours mais une même philosophie sur l'écriture. Se faire plaisir à soi-même. »
Vladimir Nabokov
 
 
« J'aime bien ce style. L'auteur aurait dû tenter de nous faire un peu plus peur. Quoi qu’il en soit, un premier livre prometteur. »
Edgar Allan Poe
 
 
« Des Tranches de mort avec des gens qui ont des mouvements de folie. Ils risquent leur vie sans déranger les autres. Salvateur. »
Charles Bukowsky
 
 
 
Gusto de la mort
 
 
 
Il faisait terriblement chaud ce jour-là dans la Plaza de Toros de Madrid – station de métro Ventas (ligne 2 et ligne 5, sauf pour ceux qui ont eu la mauvaise idée de prendre leur Seat Ibiza et qui cherchent désespérément une place dans les rues adjacentes). J’avais l’habitude de cette chaleur mais, aujourd’hui, c’est vrai, on avait du mal à respirer dans cette fournaise. L’enceinte en forme d’entonnoir n’arrangeait rien. J’attendais dans un coin, tentant de trouver un peu d’ombre, de trouver un havre de tranquillité dans ce brouhaha passionné.
 
Ce petit air innocent, inoffensif, ce petit air de « viens me toucher ». Ces petits grains n’avaient rien de spécial en apparence. Mais je sentais que ce foutu sable allait me brûler, me transpercer les chaussures spécialement confectionnées pour cette grande occasion. Rien n’y faisait. Mais aucune excuse n’était valable. Ce jour était vraiment spécial. C’était l’apogée de ma trop longue carrière, l’indispensable Feria de San Isidro . Le mois de mai était un mois festif pour tous les accrocs de tauromachie dans la capitale espagnole. La salle de réception Torres en face de Ventas était prête à s’enflammer pour chaque famille propriétaire des taureaux présentés aujourd’hui. Pour certains, c’était l’occasion de briller de mille feux après des années de sombre labeur. Le TRYP HOTEL de la Plaza de Santa Ana avait fait peau neuve tout l’hiver pour se muer à nouveau en centre de la tauromachie mondiale. Cette journée était à marquer au fer rouge pour nombre d’entre nous. Je connaissais déjà la Plaza de Toros de Madrid mais c’était la première fois que je foulais ses arcades pour le plus grand événement mondial de la discipline. C’était le grand trip.
Tout n’était que fête. À part ce putain de sable. J’y avais posé mes pieds avant l’arrivée de la foule. Je m’étais cramé en quelques minutes et cela n’allait pas s’arranger au moment d’atteindre le centre des ébats. Je m’attendais à une gêne extrême. Ce handicap particulier ne me privait pas de savourer l’instant avec une fierté inégalée. Je me rendais bien compte que j’étais arrivé au top de ceux qui peuvent contrôler les rouleaux compresseurs de plus de 500 kg. J’étais l’une des têtes d’affiche, l’un de ceux qu’on attendait le plus au tournant. Je faisais partie de la crème de la crème. Les fantômes d’Ava Gardner et d’Ernest Hemingway côtoyaient les paparazzi des starlettes sans âme et de l’increvable duchesse d’Alba. Mais moi, j’avais accès au véritable carré VIP, le noyau central, au milieu de tout. Et ce foutu sable… il me rappelait mes premiers souvenirs d’entraînement, ce sable qui m’avait fait mourir de douleur et de larmes pendant mes novilladas dans les provinces reculées d’Espagne, ce foutu sable que j’avais apprivoisé et dont j’avais fait mon allié pour dérouler mes plus beaux gestes, pour glisser et créer mes mouvements élégants… Ce putain de sable, il était loin d’être de mon côté aujourd’hui, une trahison que je retiendrai. J’étais sûr qu’il allait me tatouer la plante des pieds, me taillader jusqu’au sang, me réduire en simple corps endolori, noirci et fumant. Joder , j’allais avoir des brûlures au troisième degré, mon jeu de jambes allait s’alourdir d’autant. Le sable, qui me trahissait après tant d’années d’intimité, avait été très vite mon terrain de jeu ; « je suis un enfant de la balle » comme disent les jongleurs de cirques ambulants… mais moi, mes boules étaient solidement accrochées au fond de mon froc de lumière – il n’y avait pas vraiment de place libre pour s’exprimer sur le sujet.
Une vision apocalyptique me traversa l’esprit et me fit perdre mes moyens pendant quelques minutes. L’Enfer sur Terre. Je me voyais me tournant discrètement vers la sortie pour pouvoir échapper enfin à ce creuset de flammes. Je me moquais de moi-même. J’étais loin d’être le beau et fier torero que j’avais appris à façonner pendant ces nombreuses années. Je voulais tourner le dos à mes aficionados , boitillant et transpirant comme un alcoolique de bodegas , les oreilles dans les deux mains et la queue bien basse. Un peu de courage, Dios mío . Je ressentais la douleur mais je restais transcendé par l’événement, droit dans mes zapatillas . Comme un fakir qui sautille sur ses charbons ardents. Comme lui, je ne savais pas pourquoi mon art s’était transformé en attraction pour touristes. Mais j’étais prêt à accepter beaucoup de choses. Et j’avais autre chose de plus important en tête. Putain, je jouais avec ma vie. C’était quand même une folie de se retrouver face à la mort chaque week-end. Certains parlent de noble art mais le danger des éclaboussures de sang était bien réel. Les taches ne partaient pas avec les éloges. Moi, je ne savais plus trop quoi penser. Je ne faisais que risquer tout simplement ma carrière et creuser ma tombe dans les sables mouvants des arènes du monde entier.
J’étais toujours aussi obnubilé par le sable qui allait me niquer la voûte plantaire. Et à mesure que les gens s’installaient, je me rendais compte que tout ce qui m’entourait n’était que chaleur, composition agressive de couleurs vives et chatoyantes, tout n’était que feu aveuglant. Les femmes panachées, perroquets perchés dans leurs palcos , délurées et inaccessibles, se repoudraient le nez. Au cours de leur périlleuse opération de séduction, leurs miroirs laissaient parfois échapper un filet de lumière qui m’aveuglait. Une simple provocation qui devenait un vrai calvaire à mesure que le soleil s’approchait de son zénith. Elles arboraient leurs plus belles robes sévillanes, irradiantes de couleurs bigarrées, de mouvements aériens et de mauvais goût méditerranéen. Elles attendaient avec une impatience non dissimulée le combat entre le Bien et le Mal . Quel rôle m’était accordé dans cette histoire ? Je ne savais même plus. La fumée des cigarettes jaunies des vieux connaisseurs venait envahir les allées circulaires. Elle m’enveloppait dans un manteau étouffant de puanteur. Un épais nuage apparaissait par endroits, ne laissant entrevoir que quelques détails déprimants aux alentours de l’arène. Certains fumaient comme des anciennes machines à vapeur et les bouts rougeoyants des mégots graisseux se distinguaient de moins en moins alors que le soleil se faisait plus agressif. Les andanadas del sol (les places les moins chères, placées dans le soleil cru de l’après-midi) ne se remplissaient pas vite, preuve que les touristes se préparaient à une mise à mort difficile. Les plus courageux, déjà présents, se mettaient de la crème solaire indice 50 et vissaient avec application leur casquette Real Madrid achetée le matin même au Corte Inglés . Les plus valeureux étaient déjà assis en enfilade, ressemblant à des brochettes de calamars prêts à frire, le long des tribunes vieillottes de la légendaire enceinte.
 
La beauté aveuglante du soleil castillan me paraissait épouvantable, pourtant il m’avait attiré vers la gloire. Ce soleil avait été omniprésent dans ma vie et c’est lui qui m’avait placé en haut de l’affiche. Cette lumière m’inondait, me transportait, me faisait bander (pas trop, ça se voit tout de suite dans l’accoutrement traditionnel). L’habit de lumières, el traje de luces , comme l’illumine si bien la tradition ; ce nom n’était pas le fruit du hasard pour ceux qui connaissaient les prairies andalouses.
À de nombreuses occasions et dans les moments les plus difficiles de ma carrière de torero , je me conformais au fait que le décor de ma vie était une prison dorée. Je n’ai jamais cru que l’intensité venait du matador mais bien de ce public qui vous acclame et vous chante. L’artiste n’est rien sans son public adoré. Toute cette ferveur, cette sueur qui n’avait rien à envier à un train de banlieue en plein été, toute cette odeur de tabac de marché noir et de parfums exécrables me montaient à la tête. Je n’étais qu’une marionnette cassée au milieu de la foule, attiré par la gloire. Quoiqu’il en coûte. Un Icare sentant le chorizo et l’ail, parlant trop et surtout trop fort, juste par principe et par culture. L’Espagne et ses traditions, celles qui me portaient aux nues, me laissaient là, pantin fragile, la gorge sèche et la respiration difficile. L’enceinte, qui semblait m’étreindre et qui finira certainement par m’étouffer un jour, était d’un rouge vif. Comme si le sang des taureaux versé ici avait permis de la repeindre tous les ans depuis des dizaines d’années. Ou peut-être était-ce le sang des gitans qui étaient rentrés sans payer et dont les mains avaient été retrouvées d

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents