Tissé, tendu... coupé
86 pages
Français

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Tissé, tendu... coupé , livre ebook

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Description

Ce recueil de nouvelles, « Tissé, tendu... coupé », explore les liens complexes qui nous unissent aux autres. Liens tissés au long d'une vie, parfois avec maladresse, souvent avec acharnement. Solidement ou lâchement... En faisant un peu trop confiance, quelquefois. Jusqu'au moment où ce labeur de tisserand devient trop ardu. Où les fils finissent par s'emmêler, se tordre, s'étirer, se dénouer... ou être sectionnés. Découvrez le lien vital qui unit monsieur Bernard à son travail. Cette femme désabusée qui souhaiterait se lier à un autre vacancier. Ce veuf aux jours assombris par la perte du lien si fort qui l'unissait à sa tendre Rose... Partez en voyage d'affaires avec une ambitieuse professionnelle. Voyez ce qui attend ce couple, arrivé au stade où le couperet tombe. Faites connaissance avec Pauline et sa classe de deuxième. Partagez l'inquiétude de parents qui tentent de renouer avec Ariane, leur fille, partie à l'autre bout du monde. Autant de vies qui ne tiennent qu'à un fil, que menacent le tranchant de mots incisifs, un geste maladroit... ou finement calculé.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 mai 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342051162
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tissé, tendu... coupé
Diane Paré
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Tissé, tendu... coupé
 
En couverture  :
détail de Au loin (techniques mixtes, 2014), © France Guérin, artiste-peintre.
 
 
 
 
Remerciements
 
 
 
Tout d’abord, mille mercis à Martin Mercier, du Centre de création scénique , qui m’accompagne depuis 2006 dans mon cheminement d’auteure. Grâce à lui, à la générosité de ses enseignements, à son coaching, à sa patience et à son humanité, mon premier recueil peut enfin voir la lumière.
Je tiens également à remercier France Guérin, artiste-peintre, de m’avoir gracieusement permis d’utiliser les personnages de son œuvre Au loin (techniques mixtes) pour illustrer la couverture de mon recueil.
 
Merci à la vie, précieuse !
 
 
 
Cravates assorties
 
 
 
« Pourtant… Monsieur Bernard a toujours été un homme sans histoire… », répète Mademoiselle Florence. Elle se tamponne les yeux de son mouchoir brodé, replace ses lunettes sur le bout de son nez.
 
Elle raconte, en boucle…
 
« Un type bien, Monsieur Bernard ! Fin cinquantaine. Veston, cravate. Un peu anachronique dans le monde des relations publiques… mais tellement apprécié de ses clients ! Les plus vieux, surtout. Toujours du temps pour eux : les rencontrer, répondre à leurs questions. Un homme méticuleux, attentionné. Distingué… Oh ! Jamais de familiarités ! De ces blagues vulgaires que certains osent… Non ! Monsieur Bernard… toujours une attitude des plus convenables ! Qui aurait cru que lui, un jour… Ça donne froid dans le dos ! ». Elle repense avec émotion à sa journée.
* * *
Il est là. À quelques mètres du poste de travail de Mademoiselle Florence, adjointe au secrétariat. Celle qui s’assure que Monsieur Bernard a tout ce qu’il lui faut pour son travail. Derrière la porte fermée de son bureau, immobile dans son fauteuil à roulettes, il remâche sa vie. Les longues heures de travail assidu : la semaine, au bureau – de 8 heures à 17 heures. Pile. Parce que maman l’attend pour le souper… Le soir il poursuit à la maison : un rapport à compléter, un dossier à lire. N’importe quoi pour se tenir occupé… Deux bureaux, donc : d’abord « l’officiel », au centre-ville, où il travaille pour Pinsonneault communications. Puis, à la maison, dans les combles, où il s’affaire de nouveau après avoir pris congé de maman.
 
Maman… et ses 84 ans. Une santé de fer, un caractère de… « Elle va m’enterrer… », se répète souvent Monsieur Bernard, quand il en a assez de s’occuper d’elle. Mais chez lui, aucune colère. Aucune frustration. Juste une grande résignation. La lourde conviction qu’il s’agit de son destin. Implacable. Maman. Il en prend soin du mieux qu’il peut. Le week-end, il l’amène faire ses courses, n’a pas le choix de l’accompagner à la messe. La conduit chez une de ses rares amies pour une brève visite, pendant que lui attend dans un café voisin. Parfois, il y a le médecin, forcément, quand on a l’âge de maman.
 
Ces jours-là, il invente une excuse pour s’absenter. Parce qu’avouer à son patron : « Maman a besoin de… », renforcerait encore plus cette image de « vieux garçon » qu’il dégage depuis toujours… Les soirs de semaine, pendant les longs soupers qu’il a lui-même préparés il écoute sa maman se plaindre sans retenue : « trop de sel »… « pas assez d’épices… » ou bien « tu ne penses pas assez à ma digestion… J’en ferai des cauchemars, c’est certain ! » Et son éternel : « Tu veux m’achever, c’est ça ? » Quand il n’en peut plus, il la quitte pour son refuge, à l’étage où, merci à la vieillesse, elle ne monte plus. Après avoir terminé le dernier dossier, il éteindra les lumières dans les combles, pour aller se coucher. En passant devant la porte de la chambre de maman, il l’entendra ronfler, à coup sûr.
 
Son bureau dans les combles, en tout point identique à celui où il gagne sa vie. Enfin, presque pareil, à part le plafond – de lattes, à la maison. De béton, où courent les tuyaux, dans leurs chics bureaux de style industriel, au centre-ville. Pour ce qui est des meubles ? Monsieur Bernard aime l’efficacité. Il a donc acheté les mêmes pour la maison. Le temps qu’il lui a fallu pour trouver la crédence où il range papier, crayons – bien aiguisés – et autres « outils » nécessaires à la correspondance. Une belle lettre manuscrite adressée à un client, pour honorer une étroite relation d’affaires. Pour ses plus fidèles clients ? Une carte à l’occasion d’un anniversaire, ou pour souligner une naissance… ou le décès d’un proche. Ses clients, il les traite aux petits oignons. Humainement. Et non en cédant au caractère anonyme, impersonnel de l’ordinateur, cette « bibitte » adulée de ses collègues… tout comme il abhorre les courriels rédigés sans étiquette… D’ailleurs, est-il besoin de le préciser, il n’a pas d’ordinateur personnel à la maison. Trop rebutant… et complexe, il ne s’en cache pas. Même au bureau.
13 h 20
Mademoiselle Florence entrouvre la porte tout doucement :
« Un sandwich… Monsieur Bernard ?
— …
— Vous n’avez rien mangé ce midi…
— … »
Elle referme la porte tout aussi délicatement. Elle comprend son silence. Ne s’offusque pas. Mademoiselle Florence souffre pour lui. Pour elle, aussi. Mais elle n’ose pas se l’avouer, pas encore. Aujourd’hui, Monsieur Bernard a appris une très mauvaise nouvelle. Une nouvelle horrible et incroyable ! Sa carrière d’une vie chez Pinsonneault prend fin. Aujourd’hui. On lui a tout remis : le salaire des deux dernières semaines, l’indemnité de départ… involontaire… tout, sauf la montre en or qu’on remet à ceux qui terminent leur carrière « honorablement »… Pourtant, qui, mieux que lui, comprenait ses clients ? Ces PME opérant depuis 20, 30 ans, il les a vues grandir. Et ces propriétaires, tout comme lui, ont vu le monde se transformer… de plus en plus rapidement. Avec eux, un lunch pour parler stratégie. Ces approches qui ont si bien fonctionné, pendant des décennies…
 
Puis, peu à peu, bien malgré lui, Monsieur Bernard avait vu ses collègues novices s’emparer de certains de ses comptes qui plafonnaient… dans ces entreprises où les propriétaires plus vieux étaient aussi remplacés par de plus jeunes, plus rapides. Des propriétaires qui préféraient passer l’heure du lunch au gym, plutôt que dans les restaurants quatre étoiles. Une nouvelle génération d’entrepreneurs « branchés »… Et maintenant… On lui retire les clés du bureau, on lui redonne sa vie, à meubler tout seul… Retrouver du travail à soixante ans ? Il ne saura pas… Que lui reste-t-il ?
 
Monsieur Bernard secoue la tête. Il cherche la faille. Le virage qu’il aurait manqué à un moment ou un autre de sa vie sans surprise… Et aujourd’hui… mis à la porte. Rejeté comme une vieille chaussette trouée. Jugé désuet.
 
C’est vrai qu’il clamait haut et fort qu’il n’apprivoiserait jamais cette bête des temps modernes… l’ordi… et tous ses abominables rejetons…
 
Pour Monsieur Bernard, depuis longtemps, les années se ressemblent toutes. Entre maman et le boulot… La marche pour se rendre au travail. Les souliers bien cirés. Tous les jours impeccablement vêtu. Même à 30 °C. Il a d’ailleurs quelques cravates de rechange, dans les tons les plus commodes, rangées dans son tiroir du bureau pour le cas improbable où… Inutilement. Il maîtrise l’art de manger correctement. La dernière fois qu’il a sali une cravate ? Ça doit faire vingt ans. Mais il avait eu tellement honte, qu’il les garde quand même, bien rangées, au cas où…
 
Sous le choc de son départ, Monsieur Bernard en oublie où il est. Il lève un moment les yeux au plafond, consterné… Perd son regard dans les tuyaux design du loft industriel… Oui, il est bien au travail. Au fond, c’est parfait…
 
À l’extérieur du bureau, Mademoiselle Florence la main posée sur son cœur, tente de calmer les palpitations qui l’assaillent… Allait-elle faire une attaque ? Perdre Monsieur Bernard ? Vraiment ? Lui si ordonné ! Si poli, avec ses manières surannées ! La vie au bureau ne sera plus la même… Elle faiblit un instant. Puis se ressaisit : elle doit être forte, pour lui !
 
La porte toujours fermée, Monsieur Bernard libère le contenu de son bureau. Sa carrière, résumée en une boîte. 30 ans, dont les 22 dernières dans ce drôle de cagibi. Un peu à l’écart, tout de même, mais à l’abri du bruit incessant des conversations de corridor. Il le doit à maman qui connaissait Monsieur Pinsonneault père… Impossible à oublier : maman lui a répété si souvent !
 
30 ans de carrière. Et maintenant, devant lui, autant d’années à vivre, peut-être, s’il se fie à maman et sa santé de… « Elle va m’enterrer, c’est sûr… » Pour apaiser son esprit, Monsieur Bernard prend un à un les articles de son bureau, les passe en revue, avant de les ranger une dernière fois.
 
Mademoiselle Florence frappe à nouveau : « Je peux vous appeler un taxi… » Il demeure absorbé, continue son rangement. Comme s’il prenait l’inventaire des pertes et des restes… Bâtonnets de colle – un neuf et un usagé. Une efface… pour les rares erreurs : parce qu’il est minutieux. Il réfléchit toujours avant d’écrire. Le correcteur liquide – d’une autre époque, il en est bien conscient. Plus personne ne l’utilisera, après lui. Deux dévidoirs à ruban gommé – un aurait été suffisant, mais il aime prévoir. Les trombones – il préfère utiliser ceux-ci plutôt que l’agrafeuse : le geste est moins brutal, moins théâtral, moins définitif. Tout est aligné sur les tablettes. Regroupé par grandeur, par grosseur ou par fonction. Monsieur

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