Tempo de blues
168 pages
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Tempo de blues , livre ebook

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Description

Un texte sur l'ennui de vivre et les moyens de le nier par la femme dans le cadre d'une ville du sud de la France... Ray Georges tente en vain de trouver la tendresse et l'amour auprès de deux femmes de rencontre qu'il essaie d'intégrer à son vécu... Mais devant l'échec d'un monde qui n'est pas toujours bleu, il partira seul sur un atoll, en Polynésie, dans le vague espoir d'y vivre...

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Publié par
Date de parution 17 avril 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414341771
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Bernard Tellez
Tempo de blues
Un blues pour deux sosies
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De la pénombre de l’église, des rumeurs d’orgues montaient, qui venaient se mêler aux sons des cloches sur le parvis… Le ciel était bleu, d’un bleu d’azur, les platanes commençaient à donner de l’ombre, les badauds, ravis, applaudissaient, la circulation s’écoulait lentement autour de la place, les cloches carillonnaient… Derrière les mariés, le cortège dérouta un groupe de pigeons qui traînait sur le parvis de l’église. Les oiseaux s’envolèrent pour se poser plus haut, sur les arcs-boutants, les gargouilles représentées par des diablotins. La minute parut précieuse. Plusieurs photographes mitraillaient le couple. Des jeunes filles s’élancèrent, en jetant des poignées de riz, saisies par le crépitement des objectifs, au moment où les jeunes mariés, face aux photographes, style paparazzi, s’apprêtaient à descendre les marches de l’église. Tout le monde souriait. Les gens de la noce paradaient. Les curieux, passants anonymes, regardaient, bouche bée. C’était, à coup sûr, un mariage de gens aisés, le dessus du panier. Ray George resta là, un instant. Les rayons du soleil printanier caressaient le pollen des arbres en fleur. Dans l’air détendu de ce début de weekend, un samedi, jour propice aux mariages, en tous genres, il songea qu’il n’allait pas rester là, longtemps, qu’il avait vu ce qu’il y avait à voir, et que cela suffisait.
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Il allait partir quand il découvrit dans l’assistance, une jeune femme, comme lui, qui regardait. Celle-ci se trouvait juste dans la haie opposée, où le soleil irradiait à travers les branches feuillues des platanes et brasillait de légers tremblements sur la peau ambrée de son visage. Il se mit à l’observer, par curiosité, surpris de constater qu’un changement s’opérait peu à peu dans l’expression de son visage. Il lui parut étrange de voir la jeune femme se troubler, à la vue de la noce, ce qui l’incita à continuer de l’observer… Il n’aimait pas les attroupements. La plupart du temps, selon lui, il n’y avait rien à voir. Mais il faisait si beau, ce jour-là, l’air détendu fleurait si bon le printemps, qu’il s’étonna lui-même de faire partie des curieux groupés devant ce mariage important. Dans le champ de son regard, l’inconnue accaparait de plus en plus son attention. Il la trouva jolie, séduit par une grâce très personnelle au point qu’il lui accorda, d’emblée, un charme inouï. A quoi tient la sympathie que l’on accorde à une personne que l’on voit pour la première fois ? C’est souvent inexplicable… La jeune femme n’était pas vraiment d’une beauté remarquable, assez ordinaire même, mais comment il se fit, qu’il sentit vibrer en lui, la fibre d’une attirance physique ? Surpris de la ressentir, il s’interrogea sur l’affinité que l’on ressent spontanément pour certains êtres… En souhaitant déceler la cause de cet engouement subit, il la voyait là, devant lui, dans la haie des badauds qui encensaient les mariés. Par son naturel, sa simplicité, tandis que les curieux s’agglutinaient, l’inconnue lui parut étrangement belle et singulière de se sentir émue. « Que se passe-t-il, dans son esprit ? » se demanda-t-il. A la suggestion qui lui vint et qui le rendait perplexe, il se demanda encore : « Est-ce parce qu’elle est différente des autres, éblouis par le luxe des gens
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guindés qui forment la suite des mariés, qu’elle semble ainsi, ou parce qu’une bouffée de cafard lui monte à la tête ? » Le regard de la jeune femme paraissait se troubler de plus en plus, comme si elle pouvait aussi bien se mettre à pleurer. « There is a blue bird in my might that wants to get out”, se dit-il, à sa vue, en se rappelant ce vers d’un poème de Charles Bukowski… C’est drôle comme l’imprévu apparaît soudain ainsi, au moment où on ne s’y attend le moins. Regarde-moi, Mimi Pinson, la poupée qui pleure, si cela n’est jamais mignon, messieurs-dames ! il songea encore. » Il ne souhaita pas en faire part. C’était son jardin secret. Une ombre pâle parut se dessiner sur l’expression du visage de la jeune femme, et Ray George cessa de la regarder, gêné. Il posa ensuite ses yeux, au hasard, sur le visage des gens qui composaient la noce. Ceux-ci avaient une autre apparence. Il se mit à les détailler, sans sourire, de manière à en faire une caricature comme s’il était un peintre versé dans le portrait. Il suffisait d’en brosser le tableau, sans oublier les détails, mais il réalisa au même instant qu’il lui manquait la toile et le fusain pour les représenter. A l’idée qui lui vint, il attarda son regard sur leurs faces réjouies et s’ingénia à en accentuer les traits. C’était moins beau, à voir. Puis son regard se déplaça de nouveau et revint à l’inconnue. Celle-ci, dans les vingt-cinq, vingt-six ans, l’ignorait encore… Il prit le temps d’apprécier les contours de son visage, aux pommettes hautes, ce qui laissait entrevoir son origine asiatique. Il songea ensuite qu’elle faisait partie de ces beautés brunes, aux yeux de mandorle à peine bridés, qui peuvent rendre un homme fou de désir à cause de l’harmonie qui caractérise leur physionomie, au sens où l’on définit des lignes pures, sans failles. Ray George
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ne put s’empêcher de revenir en arrière, de croire que s’il avait eu vingt-cinq ans de moins, il aurait aimé être son amoureux ou son chevalier servant. La jeune femme vêtue simplement d’un imperméable beige, suggérait au vêtement qui l’enveloppait, à la vue des contours de sa silhouette, un corps empreint d’un charme pur et sensuel. Il n’en revint pas de sa surprise, et l’observa encore, intrigué. Mais, cette fois, celle-ci s’en aperçut et détourna les yeux. Ray Georges cessa de la regarder. Le visage de la jolie fille se ferma. Un temps suivit où il sentit un trouble l’envahir d’avoir pu la fixer ainsi d’une façon indécente. Puis il se rendit compte que son regard s’éclairait de nouveau, sans lui accorder la moindre attention. Afin de se dégager d’une certaine forme de regret, il réalisa que si la jeune inconnue était la mariée, au bras du beau jeune homme, en jaquette, elle ferait sans doute beaucoup plus d’effet que la vraie, en donnant à la noce une autre dimension, avec une nuance de fraîcheur, de simplicité.
La mariée, l’air pincé, malgré l’ovale d’un visage assez pur, un nez fin à peine retroussé qui aurait pu la rendre jolie, trahissait par sa bouche dédaigneuse une morgue hautaine qui lui déplut. Il parut d’emblée, à Ray George, que rien ne pourrait jamais la satisfaire, serait-elle l’épouse d’un député ou la première dame de France. Sa personne suggérait un « à priori », un orgueil au défi sans limites, le cynisme de son orgueil plutôt. Les gens alentour, la foule, les badauds, ne paraissaient exister à ses yeux que comme des insectes, des cafards, qu’elle aurait pu aussi bien écraser du pied. Par son attitude, elle rayonnait de prétention, d’impertinence, en donnant à prévoir le parti-pris mesquin, quasi indéfectible, qu’elle avait d’appartenir à une classe différente de celle de
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tous ces gens autour. Elle avançait, la tête haute, altière, comme on respire un air privilégié. Les badauds, ébaubis, l’encensaient du regard, à l’égal d’une star, miss France, ou quelque autre acabit de ce genre. Mais celle-ci n’en avait cure, n’en quêtait aucune grâce, nul remerciement. Elle paraissait s’en moquer radicalement. Son regard perçant, avisé, remettait les choses à leur place. « Quel mariage odieux, finalement », songea-t-il…
Les véhicules continuaient de tourner inlassablement autour de la place, dans le même sens… Une brise légère agitait faiblement le feuillage des arbres. Ray Georges considéra encore la jeune femme brune, puis revint vers le spectacle que représentait pour lui, les mariés… Il songea à la chance ou au sort du mari, dans la soudaine révélation qu’il le plaignait d’être lié à cette jeune femme au regard si hautain, impitoyable. La beauté, quand elle est frelatée, devient odieuse à voir. Comment appelle-t-on ce genre de femme : « Pimbêche, Roulure cynique, Précieuse ridicule, Madame de ? » Le regard de la jeune mariée, à l’idée qu’il s’en faisait, était un regard à conscience de classe. Sans doute l’un et l’autre seraient-ils heureux ensemble, le mari et l’épousée, parce qu’ils se ressemblaient, le beau jeune homme en jaquette, probablement un avocat, un cadre supérieur, un PDG, un industriel, quelque chose de ce genre ? Le père de la mariée suivait derrière, un gros cigare au bec, coiffé aussi d’un chapeau haut de forme. La mère, elle, semblait émue, assez humble en apparence, le regard tendre et doux. D’autres flashes d’éclairs au magnésium fusèrent, par-ci, par-là. La plupart des gens du cortège arboraient un air compassé, un maintien de circonstances, certains d’appartenir à un milieu huppé. Du fond de l’église,
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les accords de l’orgue s’estompaient, étouffés par le son des cloches. L’assistance continuait d’applaudir, à l’envie… « Dans une période, où pas mal de gens ont du mal à joindre les deux bouts, cela donne à prévoir, songea Ray Georges, ou justifie l’envie, la jalousie, le besoin de vivre par procuration, de prendre un bol d’oxygène, à l’occasion ! » La mariée daigna enfin accorder un sourire condescendant à ceux qui se trouvaient là. Un sourire qui rappelait à la galerie environnante, qu’ils n’étaient pas, qu’ils ne seraient jamais du même monde. La fille rayonnait de prétention, et ce rayonnement avait quelque chose d’indécent, de malsain, comme si, extérieurement, il révélait aux autres, à la foule des badauds, qu’elle était satisfaite d’avoir décroché le gros lot.
Ray Georges, en regardant ailleurs, comme quelqu’un qui a besoin d’oxygène, considéra les pigeons, là-haut, au sommet de l’église. Son regard rencontra le ciel bleu et pur, au-delà du branchage des platanes, et il respira une bouffée d’air ensoleillé. Puis son regard s’abaissa et se trouva progressivement au niveau du sol. Des véhicules contournaient la place, un concert d’applaudissements accueillait les mariés. Ceux-ci prenaient place dans une limousine de luxe. Le cortège suivait, dans des voitures luxueuses aussi. La foule des badauds commençait à se disperser.
La jeune femme brune remarquée dans la cohue n’avait pas bougé. Elle lui donna l’impression d’avoir le regard embué de larmes. Pour quelle raison ? Il n’avait pas encore trouvé de réponse. Ses beaux yeux, en amande, comparés à ceux des autres, contrastaient par leur éclat un peu triste, mais la jeune femme paraissait si gracieuse, d’une humilité
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si touchante, qu’il fut pris un instant par le désir de s’approcher d’elle pour lui parler et entendre le son de sa voix. Il l’avait vue picoter des paupières, un instant plus tôt, le regard mouillé de larmes, comme si le spectacle des mariés, du cortège, devant ses yeux, semblait à jamais devenue floue. La haie humaine commençait à se désagréger, et Ray Georges continuait de l’observer. Le contact fut bref. Dans le temps qu’elle croisa son regard, elle parut accéder à une autre réalité. Il eut l’impression étrange qu’elle se sentait soudain découverte, dénudée des pieds à la tête. Il la vit quitter l’emplacement la foule qui se dispersait, afin de poursuivre son chemin. Ray Georges se proposa d’aller dans la même direction.
L’inconnue marchait d’une allure assez vive, presque décidée, avec un rien de nonchalant cependant dans la démarche, comme si elle n’était vraiment pas pressée, et retardait le moment où elle savait qu’elle allait rejoindre le lieu où elle se rendait. Sans savoir trop pourquoi, Ray George se proposa de la suivre, par désœuvrement. Ils avancèrent l’un derrière l’autre, à cinquante mètres de distance environ, durant un certain temps. Puis la distance diminua entre eux progressivement. Ce ne fut plus qu’une dizaine de mètres, puis cinq mètres. La jeune femme ralentit soudain le pas… Des passants vinrent les croiser sur le trottoir, à contre sens. L’inconnue paraissait savoir effectivement où elle allait. Il en eut soudain la révélation. Mais à cause de l’appréhension qu’il ressentît de la voir disparaître, il se rapprocha encore… Toujours imprégné dans le regard par le charme de sa silhouette en mouvement, la souplesse nonchalante du corps que son imperméable dissimulait, il vit l’inconnue se retourner, comme si elle se
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sentait suivie. Elle considéra Ray Georges, d’un regard strict, sans appuyer, et il ralentit le pas… Que faisait cet homme, derrière elle, avec ses cheveux un peu gris ? Quelle importance sa traque, avait-elle pour lui ? Ils étaient le long d’une rangée de vitrines. La jeune femme eut un haussement d’épaules, quasi imperceptible, en signe d’agacement. Elle se remit à marcher… Il la suivit encore et se rendit compte qu’ils approchaient de l’enseigne d’un cabaret assez connu à Toulouse, le « Lautrec ». L’enseigne lumineuse au-dessus de la porte n’était pas allumée encore, mais l’entrée semblait accessible à n’importe qui. Il vit la jeune femme s’arrêter, pousser l’un des battants de la porte de l’établissement et disparaître à l’intérieur.
* * *
A ce moment, le quidam que Ray Georges se sentit devenir, eut le temps d’apercevoir, au passage, le décor faiblement éclairé de la salle, avec ses fauteuils d’un cuir grenat, ses tables, son bar, ses tabourets hauts perchés sur lesquels des femmes assises semblaient attendre, en fumant une cigarette, en buvant un verre, ou en échangeant des propos. L’inconnue devait être une entraîneuse, une hôtesse de bar américain, et venait prendre son quart à la boîte, en ce début de week-end. Ray Georges resta sur le trottoir. Il ne se vit pas entrer à l’intérieur, en poussant la porte du cabaret. Pour quoi faire ? Il faisait si beau, dehors, en ce début de printemps… Il se promit d’y venir, une autre fois, quand il aurait de l’argent à dépenser et qu’il serait mieux sapé, mieux mis, plus présentable.
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