Si j ai le cœur étroit, à quoi sert que le monde soit si vaste
360 pages
Français

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Description

Venise au printemps 1978. Un petit voyou visite la ville dans le sillage d'un Socrate alcoolique et d'une jeune comtesse aussi séduisante qu'imprévisible.


Ebloui par ses découvertes, obsédé par l'énigme que pose une tombe ancienne, Isidore traverse cette période comme un somnambule égaré dans le temps, sur les traces de fantômes d'un autre siècle. Sans soupçonner que ses compagnons ne sont pas là seulement pour faire du tourisme. Sans s'apercevoir que l'Italie vit des heures sombres, au diapason des Brigades Rouges et de l'enlèvement d'Aldo Moro.


Michel Paulet est né en 1953. De la mise en lumière à la scénographie, en passant par l'écriture de pièces de théâtre, il a fait à peu près tous les métiers du spectacle. Si j'ai le cœur étroit... est son premier roman.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 18
EAN13 9782362801990
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Présentation de l’éditeur
Venise au printemps 1978. Un petit voyou visite la ville dans le sillage d’un Socrate alcoolique et d’une jeune comtesse aussi séduisante qu’imprévisible.
Ébloui par ses découvertes, obsédé par l’énigme que pose une tombe ancienne, Isidore traverse cette période comme un somnambule égaré dans le temps, sur les traces de fantômes d’un autre siècle. Sans soupçonner que ses compagnons ne sont pas là seulement pour faire du tourisme. Sans s’apercevoir que l’Italie vit des heures sombres, au diapason des Brigades Rouges et de l’enlèvement d’Aldo Moro.
 
Michel Paulet est né en 1953. De la scénographie à la mise en lumière, en passant par l’écriture de pièces de théâtre, il a fait à peu près tous les métiers du spectacle. Si j’ai le cœur étroit est son premier roman.


Michel Paulet
SI J’AI LE CŒUR ÉTROIT
A QUOI SERT QUE LE MONDE SOIT SI VASTE
Roman


 
© 2017 Éditions Thierry Marchaisse

Conception visuelle : Denis Couchaux
Mise en page intérieure : Anne Fragonard-Le Guen
 
Éditions Thierry Marchaisse
221 rue Diderot
94300 Vincennes
http://www.editions-marchaisse.fr

Forum des lecteurs
Marchaisse
Éditions TM

Diffusion-Distribution : Harmonia Mundi

ISBN (ePub) : 978-2-36280-199-0
ISBN (papier) : 978-2-36280-198-3
ISBN (PDF) : 978-2-36280-200-3


I stuck around St. Petersburg
When I saw it was a time for a change
Killed the Czar and his ministers
Anastasia screamed in vain
 
Mick Jagger
 


Si j’ai le cœur étroit, à quoi sert que le monde soit si vaste
1. Les tâtonnements
Nous étions donc à Venise depuis environ deux semaines, parfois proches et parfois séparés, harmonieusement ou non, sans projet bien précis, et nous avions décidé tacitement d’y rester le plus longtemps possible.
L.J. enrichissait ma visite de son savoir, me guidant dans les recoins connus ou inconnus de la ville. Lettré subtil, il promenait sur les ponte son corps de gros mangeur, de téteur impénitent de cigares noirs et malodorants, d’amateur de moisissures et de décompositions. D’un palais à l’autre, il décodait pour moi les finesses de l’architecture et des œuvres d’art, les effeuillant familièrement comme un de ses livres de chevet, notant parfois une idée sur un carnet ou souhaitant la partager avec moi.
Il faut ajouter une précision importante : nous étions tous les trois assez désargentés. J’étais le seul qui travaillait, d’une façon très irrégulière, à des emplois subalternes et déconsidérés. L.J. donnait quelques cours (français, latin, grec ancien) à des enfants abrutis. Il devait parfois se résoudre à quémander auprès de ses frères et sœurs, tous notables de province aisés mais peu portés sur l’assistance et le mécénat familial. C’est pourtant comme ça qu’il voyait sa situation, humiliante et conflictuelle.
– Personne ne pense dans cette famille, disait-il en me fixant de ses yeux hallucinés. Il n’y a que moi. Et je ne pense pas seulement pour moi, mais également pour eux. Je pense pour tous.
On avait l’impression qu’il s’exprimait par débordement, voire explosion, sa voix enflait, ses cheveux volaient autour de son visage comme des guêpes. Il respirait et transpirait comme un marathonien.
– Ils s’imaginent que c’est facile : deux médecins, un architecte et même un prêtre, et pas une lueur d’intelligence originale. Ils ignorent que rien n’est plus douloureux que la pensée créatrice. Ils pourraient bien participer, merde. Je ne pense pas par plaisir, ça pense en moi. C’est une damnation.
Puis il se calmait, reprenait son souffle et finissait son verre. Son regard insistant s’attachait au mien.
– C’est aussi pour toi que je travaille. Est-ce que tu comprends ce que ça signifie ? L’intelligence est particulière, mais la pensée est universelle.
Je savais ce que ça voulait dire et je commandais une autre tournée. Il s’enfilait une rasade de bûcheron et reprenait.
– Merci. Mais ne te méprends pas sur mon compte. L’utilité sociale du moraliste ne se limite pas au bavardage.
Il existe des philosophes dont le talent ne s’exprime entièrement que dans les débits de boissons, pour un public anonyme et indifférent. Le plus souvent ces penseurs ne provoquent que l’agacement et professent pour des disciples qui ne sont pas au niveau de leur enseignement. Mais cet enseignement, ils le distribuent généreusement, sans demander de formation préalable, sans initiation et sans sélection. C’est presque gratuit.
On les reconnaît à ce qu’ils peuvent tituber, vomir à vos pieds, sans interrompre le développement d’un raisonnement complexe, ni en perdre le fil. C’est une prouesse que peu de philosophes accomplissent avec aisance. J’avais pu constater que mon ami était de ceux-là, plusieurs fois dans la même soirée, et sans que jamais la puissance de sa réflexion en souffre. Mais ce n’est pas la seule originalité des philosophes de bistrot : ils délivrent aussi un enseignement éclectique, ouvert sur le monde et ont la particularité de s’impliquer, d’impliquer l’auditoire et l’environnement à la construction de leur système. On ne disserte pas sur les grands sujets de la même façon dans un amphithéâtre de faculté ou accoudé à un comptoir de banlieue, tard le soir, avec trois grammes dans le sang et le patron qui presse pour la fermeture. La parole est parfois confuse, mais la pensée reste active, l’entendement acéré, et le discours s’adapte en permanence à la situation, à l’interlocuteur qui peut varier souvent au cours de la soirée selon les entrées et les sorties du café.
Il s’agit de cours particuliers, où les questions ne sont pas toujours les bienvenues : c’est à l’auditeur de pêcher à la volée les concepts utiles à la conduite de sa vie. Attention ! Je ne parle pas ici de ces buveurs bavards et incommodants qui en sont la caricature, mais d’un authentique intellectuel, un métaphysicien dont les prouesses, comparables à celles d’un sportif, nécessitaient donc le soutien de quelques adjuvants. Pour moi, L.J. vivait dans un monde rassurant que j’enviais et que j’admirais, dans lequel il y avait une explication à tout.
– Lorsqu’un philosophe prend la parole, disait-il, on doit avoir l’impression qu’il sort du boulot, qu’il a mal aux épaules, les mains blessées avec de la poussière dans les cheveux. On doit sentir immédiatement qu’il sait de quoi il est question, de la vie et de la souffrance. Et lui, il doit parler comme si sa voiture était garée en double file, un œil sur l’auditoire, l’autre sur la rue, avec le souci du temps qui passe et du passage imminent du camion de la fourrière. Moi, je parle comme un voleur, je veux dire tout avant qu’on vienne m’arrêter, avant qu’on ait pris conscience du caractère subversif de ce que je dis. Je parle par effraction, je parle d’une catacombe, je parle sous la menace.
L.J. était plus âgé que moi et pour cette raison, mais aussi à cause de son activité de philosophe et de sa culture sans limite, j’avais avec lui le rapport du disciple à son maître. Quand je posais une question naïve, il était parfois sentencieux mais je ne m’en offensais pas, j’étais simplement flatté et fier qu’il consente à s’entretenir avec moi. J’étais ébloui par sa personnalité, son aisance, son savoir et la puissance de sa pensée. J’ai reçu une éducation sommaire, et j’en ai conservé le douloureux syndrome de l’autodidacte, de celui qui n’a pas de diplôme, ni de réseau et sait que, pour lui, l’essentiel de la vie intellectuelle demeure hors de sa portée, tout comme le pouvoir et la promotion sociale. Nous nous retrouvions régulièrement, et je buvais ses paroles comme lui les verres de côtes-du-rhône que je lui payais. Mais j’étais sûr, au fond, que c’était moi le gagnant de ce marché. Lorsqu’il ne philosophait pas, L.J. était d’ailleurs extrêmement sobre, restait chez lui, lisait et se faisait une cuisine élaborée et délicieuse.
Nous vivions sur le pécule maigrichon que j’avais grappillé avant notre départ. J’en étais sincèrement heureux, mais je regrettais que le séjour soit forcément étriqué par le manque de crédit. J’avais à cette époque le désir du partage, mais je n’en avais pas les moyens. Aujourd’hui, la situation s’est inversée. Prémonitoire, L.J. m’avait prévenu :
– Si tu avais l’argent, tu n’aurais plus le désir du bien. Préserve le désir, c’est une richesse supérieure. Remets-nous une tournée s’il te plaît et pense à ceci : avant c’est Dionysos lui-même qui régalait les hommes, aujourd’hui nous n’avons plus que des bistrotiers d’extrême droite pour remplir cette mission divine.
 
Nous avions quitté la France accompagnés d’une personne d’un genre et d’un style tout à fait différents, une jeune comtesse brune et vive, qui empruntait à Venise son propre itinéraire de rêves, de songes intimes et d’activités confidentielles. Elle disparaissait parfois pour une période indéterminée, mais le plus souvent elle suivait avec moi le parcours des visites documentées, initiées et conduites par L.J.
La comtesse Livia, puisque c’était son nom à l’époque, ne travaillait pas non plus, elle n’en avait apparemment pas le temps. J’avais su par mon ami que la période faste de sa noblesse était passée depuis longtemps. Sur l’arbre généalogique de sa famille, très ancienne, elle était issue d’une branche qui donnait des fleurs magnifiques, comme elle, mais ne portait plus le moindre fruit. L.J. m’avait beaucoup parlé d’elle, mais également beaucoup menti à son propos. Néanmoins, pour ce que j’en savais, elle vivait confortablement. Elle avait de nombreuses connaissances disposées à la soutenir et savait prendre beaucoup à des cibles bien choisies, tout en donnant très peu en échange. Pour ma part, ma destinée de prolétaire et de dilettante m’excluait de cette catégorie. Je ne pouvais lui offrir de cadeaux comparables à ceux qu’elle obtenait habituellement, mais pour cette raison sans doute étais-je p

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