Quitter Téhéran
116 pages
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Quitter Téhéran , livre ebook

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Description

Naïri Nahapétian a vu sa vie basculer à l’âge de 9 ans, au moment de la révolution islamique en Iran. Elle quitte Téhéran pour Paris avec sa mère, pensant revenir quelques semaines plus tard. Mais l’exil dure. Et son père ne les rejoint pas. Des années plus tard, après une profonde dépression, Naïri se lance dans une enquête familiale pour comprendre ce qui a empêché son père de s’installer à Paris avec elles.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2023
Nombre de lectures 40
EAN13 9791036358968
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Bayard Éditions, 2023 18 rue Barbès, 92128 Montrouge Cedex
EAN : 979-1-036-35896-8
Conception graphique Élodie Cavel
Typographies Roman Grotesque de Bureau Brut Lyon Text de Commercial Type
Photo de couverture Bertrand Meunier/Tendance Floue
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
S OMMAIRE
Titre
Copyright
Prologue
Première partie
L’école buissonnière
Le voyage sans retour
Ici et là-bas
Robes et révolution
Vanak
Mon père
Là où s’échangent les informations
Protégés, séparés et inférieurs
Mémoire
Une famille liée au Dachnak
Sa vie n’avait pas été facile
Ayat
Les lits dans les placards
Les couleurs de l’agenda
Françoise et Sadegh
Féministe sans le savoir
L’adolescence
Maternités
La psychanalyse
Les lettres de mon père
Seule à Paris
#MeToo adolescente
Les petits boulots
Coïncidences
Le lien
J’ai cessé de croire en Dieu…
Deuxième partie
« Bienvenue en Iran »
Téhéran
Premiers reportages, premières fêtes
Le voile
Le journalisme
Taarof et savoir-vivre
Les cours de persan
Ce que je n’ai pas réussi à transmettre
Le Norouz perdu
Barbès
Ce qui s’est passé à Téhéran
L’amour à l’iranienne
Binationale
Écrivaine off-shore
J’y crois encore !
Téhérangeles
Contrastes
Où je crois en savoir plus sur mon père
Ce qui s’est vraiment passé à Téhéran
Ce qui s’est passé à Tabriz
Épilogue, Je suis un axolotl
De la même autrice
Dans la même collection
Prologue

En janvier 2018, à l’âge de quarante-huit ans, j’ai soudain plongé dans une dépression profonde dont je n’ai réussi à m’extraire que six mois plus tard.
Je n’avais jusque-là jamais montré de symptômes, j’étais quelqu’un de dynamique, affichant une bonne humeur constante et un optimisme à tout crin. Et voilà que je n’avais plus d’énergie pour rien faire, que tout était un effort et que j’étais en proie à des pleurs et des angoisses irrationnelles.
Ainsi, toutes les nuits, j’étais réveillée, le souffle court, le cœur serré, par la certitude qu’il allait arriver quelque chose de grave à mon compagnon Olivier et à mon fils Rouben. Le matin, je me levais épuisée, en proie à des pensées absurdes. Je devais par exemple quitter Olivier pour le préserver de ma dépression, il fallait que j’abandonne tout, que je m’isole si je voulais protéger mon entourage, me soufflaient les forces qui s’étaient emparées de moi. Je n’y cédais pas, et je n’ai coupé les ponts avec personne. Toutefois, moi qui ai des capacités de travail impressionnantes, j’ai été incapable de rien faire pendant des semaines, incapable de mettre le pied dans mon journal, incapable d’écrire.
Mes journées se résumaient à ce gouffre immense que j’avais dans la poitrine.
J’avais construit toute ma personnalité en rupture avec ma mère et voilà que je vivais la même chose qu’elle. Ses mots me hantaient comme une menace : « C’est encore la dépression, je suis retombée dans la dépression, la dépression revient. »
Ce n’est qu’en prenant un médicament puissant que j’ai retrouvé mon état normal. Et je me suis aussitôt demandé pourquoi. Pourquoi alors que tout allait bien dans ma vie ai-je plongé dans un tel désespoir ? Comment ai-je pu ainsi pendant des mois perdre tout lien avec la personne que j’étais auparavant ? Qu’est-ce qui a pu provoquer une pareille crise alors que j’avais déjà derrière moi de longues années de psychanalyse ?
Pour y répondre, il faut revenir dans le passé, jusqu’à mon enfance en Iran, mon adolescence à Paris, jusqu’à ces jours où je faisais l’école buissonnière en cachette.
PREMIÈRE PARTIE
L’école buissonnière

Le matin, je me levais sans bruit pour aller à l’école alors que ma mère dormait encore, engourdie par les antidépresseurs, dans le deux-pièces que nous occupions toutes les deux à Paris depuis notre départ de Téhéran. Je prenais le chemin du collège. Sauf quand la matinée commençait par le cours de sport que je séchais allègrement pour aller en métro jusqu’à la place de la Concorde. Là, errant sous les arcades de la rue de Rivoli, j’attendais l’ouverture de WHSmith pour me perdre dans les rayons de la librairie. Qu’il vente ou qu’il pleuve, mes pas me ramenaient toujours au même endroit, pour ces promenades sans fin loin de ma classe. Je n’étais pas consciente, alors, que je revenais vers un quartier où je m’étais rendue avec mon père lors du seul séjour qu’il serait autorisé à faire auprès de nous en France durant les sept années qui ont suivi la révolution iranienne.
Car rapidement mon père fut mamnol kheroudj  : interdit de sortie. Pour une raison que lui-même ignorait, il fut placé par le régime islamique sur une liste noire qui l’empêchait de venir nous voir et nous empêchait de rentrer en Iran au risque de ne plus pouvoir repartir. Pourquoi ? Pourquoi mon père s’est-il ainsi retrouvé dans le viseur du régime islamique ?
Je ne le comprendrais que bien des années plus tard.
À l’époque, il nous écrivait de longues lettres où il se posait désespérément cette question, ne sachant d’où venait l’interdit, quand il serait levé, si un jour, oui ou non, il prendrait fin et nous permettrait de nous retrouver. À l’époque, je ne me posais pas la question, me contentant durant les six longues années où a duré notre séparation de faire régulièrement l’école buissonnière pour revenir sur les traces de notre promenade commune. Je mentais à ma mère, qui me croyait à l’école, et trafiquais mon cahier de correspondance pour pouvoir continuer en douce. J’étais toute à mes mensonges et à ma fuite.
Car lors de mes errances sous les arcades de la rue de Rivoli, je fuyais en réalité l’intégration, qui, résolument en marche à travers l’école, me plaçait dans un conflit de loyauté avec mes parents. Je fuyais mon sentiment de culpabilité, de plus en plus pesant à mesure que la santé de mon père, après plusieurs AVC, se dégradait en Iran. Surtout, je fuyais le tête-à-tête avec ma mère, dont le quotidien était régi par des rituels insensés destinés à chasser l’angoisse qui l’habitait, des rituels qui s’étaient mis en place quand sa vie avait basculé à cause de la révolution islamique de 1979.
Ainsi, elle entrait dans des rages folles si de l’eau gouttait malencontreusement sur le sol, car cela pou vait, disait-elle, laisser des traces sur la moquette. Ainsi, elle ne supportait pas que des objets auxquels elle tenait soient déplacés sans qu’on lui demande l’autorisation. Elle ne supportait pas que la vaisselle soit faite en son absence. Mais elle ne supportait pas non plus qu’elle s’accumule dans la cuisine.
Elle n’a été, durant toutes ces années où nous avons vécu en tête à tête, qu’une longue litanie de plaintes.
Elle se plaignait du manque d’argent, regrettant tout ce qu’elle avait laissé en Iran, ses verres en cristal, sa vaisselle en argent, le chauffeur qui la conduisait parfois à l’université de Téhéran. Elle se plaignait des Français, qu’elle trouvait durs dans le travail. Il faut dire qu’elle était habituée aux manières suaves et précautionneuses des Persans. Il faut dire aussi que ma mère n’avait en France qu’un contrat précaire de médecin vacataire afin de mener des recherches sur la légionellose au Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris.
Invariablement, et probablement pour se donner du courage, elle ponctuait la fin de sa litanie par un « si on est en France, c’est pour toi, pour t’éviter le voile, parce que je ne supporterais pas que tu grandisses sous un régime islamique ».
Évidemment, j’en concluais que tout était de ma faute. Tout, sa dépression, notre précarité et la mauvaise santé de mon père.
Et pourtant, devant nos amis, les fameux Français, une autre raison était invoquée pour expliquer notre présence à Paris : « Nous étions en vacances, l’Irak a attaqué l’Iran, la guerre a éclaté, les aéroports ont fermé, nous sommes restées. »
Quarante ans après, j’ai réussi à démêler le vrai du faux, les mensonges des demi-mensonges. Quarante ans après, j’ai réussi à comprendre pourquoi mon père est resté coincé en Iran alors que nous nous trouvions à Paris. Surtout, j’ai compris pourquoi nous étions parties sans lui. C’est cette histoire que je vais vous raconter. Une histoire faite d’école buissonnière, d’auto-sabotage, d’échecs et de réussites et d’une psychanalyse qui a pris la forme d’une longue enquête.
Le voyage sans retour

« Je sais que vous ne reviendrez pas. »
C’est par ces mots que mon père nous a dit au revoir à l’aéroport de Téhéran quand nous avons quitté l’Iran en août 1980.
La République islamique avait alors un an et demi. En février 1979, sous la pression des manifestants, le shah, un monarque autoritaire soutenu par les États-Unis, avait dû fuir l’Iran. Un certain ayatollah Khomeyni, un dignitaire religieux charismatique, était rentré d’exil sous l’acclamation de la foule en liesse. Mais rapidement, l’euphorie révolutionnaire avait cédé la place à la terreur. Khomeyni avait instauré la loi islamique, commençant à imposer le voile aux femmes dans l’espace public 1 , réprimant dans le sang toutes les oppositions, y compris les factions marxistes qui le soutenaient quelques mois auparavant. La révolution mangeait ses enfants.
« Je sais que vous ne reviendrez pas », nous avait donc dit mon père, le jour de notre départ, à l’aéroport de Téhéran.
Pourtant, officiellement, nous ne partions que quelques semaines. Ma mère et moi avions en effet l’habitude de passer du temps ainsi toutes les deux à Paris. Et je ne comprendrais que plus tard les forces qui la poussaient à revenir en France tous les étés, et cet été-là en particulier.
Pour l’heure, nous étions occupées à subir les contrôles des autorités pour franchir la frontière de l’Iran postrévolutionnaire.
« C’est quoi ça ? »
Une femme couverte d’un long tchador noir s’empara d’un séchoir à cheveux dans la valise de ma mère.
« Ouvrez-le », ordonna-t-elle, avant de rajuster son voile.
Puis, elle tendit un tournevis à mon père.
Celui-ci s’exécuta tandis que ma mère secouait la tête, exaspérée.

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