Passe l’intrus
184 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Passe l’intrus , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
184 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Passe l’intrus Longtemps je n’ai pas su d’où me venait le titre de ce récit, puis j’ai appris que je l’avais emprunté sans le savoir à une chanson de Lara Fabian. Que l’artiste veuille bien trouver, ici, l’expression de ma gratitude. B.G. Ouvrage publié avec le concours de l’Institut Français de Tunisie (IFT) Deuxième édition. ème© Déméter 4 trimestre 2016 ISBN : 978-9973-706-40-9 BÉCHIR GARBOUJ PASSE L’INTRUS roman DÉMÉTER Pour mes enfants, Ghada et Nadhem SUR MAI 68 Ce livre est l’histoire d’un homme en diffculté avec sa mémoire. Il veut ressusciter le visage de la femme qu’il aima dans le contexte parisien de mai 68, mais c’est toujours l’événement qui revient, qui submerge tout. Il va bientôt occuper l’essentiel du récit. L’événement ? En 1968, la France est un pays prospère, apaisé : le franc est fort, c’est le plein emploi, les guerres coloniales sont déjà un lointain souvenir. Mais quand on est jeune et que l’on regarde vers l’aventure andine de Che Guevara ou vers les épopées, bientôt mythifées, de la Chine des Gardes rouges ou du Viet - nam en armes contre l’Amérique, la perspective du bonheur par la consommation peut-elle suffre ? La réponse viendra d’abord de l’université.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2017
Nombre de lectures 10
EAN13 9789973706409
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Passe l’intrusLongtemps je n’ai pas su d’où me venait le titre de
ce récit, puis j’ai appris que je l’avais emprunté sans
le savoir à une chanson de Lara Fabian. Que l’artiste
veuille bien trouver, ici, l’expression de ma gratitude.
B.G.
Ouvrage publié avec le concours de l’Institut Français de Tunisie (IFT)
Deuxième édition.
ème© Déméter 4 trimestre 2016
ISBN : 978-9973-706-40-9BÉCHIR GARBOUJ
PASSE
L’INTRUS
roman
DÉMÉTERPour mes enfants,
Ghada et NadhemSUR MAI 68
Ce livre est l’histoire d’un homme en diffculté avec
sa mémoire. Il veut ressusciter le visage de la femme
qu’il aima dans le contexte parisien de mai 68, mais
c’est toujours l’événement qui revient, qui submerge
tout. Il va bientôt occuper l’essentiel du récit.
L’événement ? En 1968, la France est un pays
prospère, apaisé : le franc est fort, c’est le plein emploi, les
guerres coloniales sont déjà un lointain souvenir. Mais
quand on est jeune et que l’on regarde vers l’aventure
andine de Che Guevara ou vers les épopées, bientôt
mythifées, de la Chine des Gardes rouges ou du Viet -
nam en armes contre l’Amérique, la perspective du
bonheur par la consommation peut-elle suffre ? La
réponse viendra d’abord de l’université. Les jeunes
s’insurgent : ils commencent par revendiquer le droit
de recevoir leurs amies dans leurs chambres
d’étudiants, puis le droit à un enseignement moins
sclérosé, plus ouvert sur la science, le questionnement,
la modernité, puis encore le droit pour les femmes
de disposer librement de leur corps dans un pays où
l’IVG est un crime. Ils ne tardent pas à comprendre,
7dans la foulée, à quel point cette société occidentale
du bien-être est inégalitaire.
Les enjeux de l’événement sont clairs : le savoir,
authentique et ouvert à tous, la liberté sexuelle, la fn
des injustices.
Le 22 mars 1968, les étudiants de Nanterre occupent
la tour centrale de leur faculté. Geste symbolique qui
donne le signal de la rébellion contre l’institution
universitaire, et bientôt l’État, considéré comme
responsable de toutes les oppressions. Les grèves se
multiplient. Dès la fn du mois d’avril, la Sorbonne est
occupée par les étudiants, les autres universités ne
tardent pas à suivre, le mouvement fait tache d’huile.
Et tout s’arrête : l’industrie, l’administration, les
transports. Avant la mi-mai, la France est paralysée.
Chef de l’État, le Général de Gaulle est désemparé.
En secret, il va voir Massu qui commande les troupes
françaises en Allemagne : à ses yeux, c’est déjà la
guerre civile, surtout que les étudiants ont dressé des
barricades au quartier latin.
Mais son premier ministre, le rusé Georges Pompidou
– appelé dans le roman, tour à tour, « l’Auvergnat de
Matignon » (Le Canard enchaîné) et « Raminagrobis »
(François Mauriac) – a une autre vision des choses :
désamorcer l’élan révolutionnaire en persuadant les
syndicats que « tout cela » n’est au fond qu’un
problème de salaires, et que les salaires, ça se négocie.
Problème d’argent n’est pas problème. « Lâchés » par
les travailleurs, les étudiants n’auront alors que le
choix de retrouver les bancs de la fac – ou, plutôt, dans
l’immédiat, de partir en vacances, les rattrapages se
feront à la rentrée.
8Une vaste contre-manifestation
pro-gouvernementale part alors de la place de la Concorde, elle remonte
les Champs-Élysées, comme pour sceller la fn de
l’événement.
Une révolution, mai 68 ? Si l’on veut, vous dira-t-on,
mais a-t-elle produit les changements auxquels
aspirait cette jeunesse-là ? Rien n’est moins sûr, affrment
certains, mais le débat reste ouvert car bien d’autres
voient en mai 68 la base de cette nouvelle
modernité qui est aujourd’hui au cœur des aspirations les
plus diverses : la modernité des droits humains, de
la liberté d’expression, de la parité… Toutes valeurs
perçues non pas sous l’angle de l’achèvement – de la
fn de l’histoire –, mais d’une dynamique sans cesse
réactualisée.
Dans un pays de la rive sud comme la Tunisie – où
se déroule, des décennies plus tard, le travail du
souvenir autour duquel s’organise le récit –, mai 68 est
venu donner une assise doctrinaire et comme une
légitimation aux contestations estudiantines. C’est en
fait vers la « révolution parisienne » que se tournera
désormais la gauche de ce pays pour préciser ses
concepts, revoir, redéfnir ses stratégies.
Elle aura connu bien des vicissitudes, cette gauche,
mais elle a, pour le moins, donné le jour à une société
civile qui demeure, dans ce petit pays du sud, une
force de proposition, un repère fort.
B.G.1. EN APNÉE
La dernière fois, la toute dernière, elle est devant
le car, elle a mis ses grandes lunettes noires, un
bandeau masque le haut du visage, elle coche
les noms sur sa liste. Sept heures, sept heures et
demie, la nuit n’est pas tombée, ceux qui attendent
leur tour se tiennent devant la librairie, et l’on voit
d’abord, dans la vitrine, les minces plaquettes beige
pâle avec les titres en rouge, ensuite les drapeaux
du Vietnam et de l’Albanie, enfn, en toile de fond,
immense, celui de la Chine. Ils montent un par un
dans le car. Si peu de bagage, et Nadine, tout à son
affaire, recomptant les noms sur une grande feuille.
Il n’est pas du voyage. Dans quelques minutes, il
aura fni de saluer, serrant des mains, effeurant d’un
rapide baiser la joue de Nadine. Il va ensuite descendre
jusqu’à la place de la Trinité en songeant aux lacs
italiens, à Bergame et Trieste ( il y aurait ensuite,
longuement, l’Adriatique, puis, après Titograd, la
montagne, et toujours l’Adriatique jusqu’à Tirana –
des années, maintenant, que l’autocar descend vers
le sud).
11Le vieux professeur ne sait quand la décision a
été prise, mais il leur fallait ce voyage, il fallait une
fn à cette saison. Un ou deux soirs par semaine,
ils se retrouvaient dans l’arrière-salle de ce bistrot,
l’Albert de Liège, où des tables de billard, souvenir
de temps révolus, étaient encore empilées contre le
mur du fond. Il serait bien en peine de reconstituer
les débats, mais il retrouve sans diffculté la plupart
des visages. Des voix lui reviennent aussi. Celle, un
peu grêle, de Serge, plus rarement, celle de Nadine
( sa voix, toujours un ton en dessous, qui mettait
parfois comme une distance). Il revoit Serge, le soir
où il était arrivé en retard et qu’il eut comme un
saisissement : c’était, dans la pénombre, son propre
sosie qui venait. Serge avait commencé par dire
qu’ils étaient « en perte de vitesse », il en avait bien
peur. Amphithéâtre Richelieu, il avait pris la parole,
il voulait entraîner les étudiants dans la cour, mais
« la dame en noir », comme il disait, était arrivée au
moment où il lançait son appel, et la plupart étaient
restés. Le vieux professeur revoit encore la « dame en
noir » dont il suivit, lui aussi, les cours, il la revoit
qui vient du fond de la scène, parée de ses bijoux, elle
avance lentement, précédée de deux appariteurs, les
mêmes depuis des années, qui avaient mission, l’un
de tirer la chaire professorale de façon à ce qu’elle
puisse, en s’asseyant, trouver d’emblée la contenance
requise par son magistère, l’autre à disposer sur
la table divers objets dont la fonction leur était un
mystère, autant que l’étaient les poésies qu’elle
tentait d’expliquer. Il verrait Serge, quittant d’un pas
décidé la salle, puis, dans la cour, face à la chapelle,
regardant se défaire le petit groupe qui l’avait suivi.
12« En perte de vitesse». L’image revient, peu à peu,
de cette arrière-salle de bistrot, qui était tout près
de chez lui, boulevard Sébastopol. Le groupe est là,
six ou sept jeunes, discutant sans passion, presque
à mi-voix. Ils entourent Nadine, ils sont dans son
orbite. Elle s’est penchée vers Serge. Surtout ne pas
céder au doute. Cette euphorie, disait-elle, que l’on
voyait naître et gagner peu à peu la ville, le pays, est
en soi la preuve qu’il y a « un appel», et qui vient « du
plus profond».
Il a, en revanche, plus de mal à voir le garçon qu’il
fut dans leur orbite. Il est en retrait, puis soudain
immobile, intimidé, dirait-on, par l’idiome qui peut,
à tout moment, redevenir étranger, comme fait pour
contraindre la pensée. Il a juste, en ultime défense,
un masque de concentration souriante où passe,
parfois, un pli sceptique.
Il ne croit pas avoir vu venir l’événement. Une
année plus tôt, chez lui, les choses avaient bougé à
l’université, des étudiants avaient même été déportés
dans le désert, au sud de la Tunisie, mais c’était son
pays : ici, on peut dire non sans être arrêté, envoyé au
bagne, l’État est patient. Aussi n’a-t-il pas fait attention
lorsque les premières affches étaient apparues. Il y
en avait même une, à Censier, à côté d’une salle de
T.D, que personne, deux semaines durant, n’avait
songé à arracher, et qui était pour moitié doléances
en rapport avec l’université, pour moitié appel à la
solidarité avec des métallurgistes qui entamaient une
grève. Il la relisait, à chaque fois qu’il passait devant,
mais le contenu lui paraissait lointain et comme
irréel – et d’abord qu’est-ce qui n’allait pas dans cette
13faculté dont les couloirs brillaient comme un sou
neuf ? Puis il s’était un jour retrouvé à Nanterre – et
qu’est-ce qu’il pouvait bien faire dans cette faculté,
posée au milieu des bidonvilles ? –, et soudain les
étudiants étaient partis à l’assaut de la tour centrale,
il les avait suivis, avait écouté les slogans, il était
ensuite revenu à Censier, il n’avait pas encore quitté
sa chambre à la Cité Internationale que les premières
A.G se tenaient dans diverses « Maisons», y compris
celle qui portait le nom de son pays et dont on savait
qu’elle grouillait d’agents ( à peine faisaient-ils l’effort
de se déguiser en étudiants), mais il était fnalement
passé au travers de ces prodromes, toujours curieux
mais ne pressentant rien. Nadine avait, en revanche,
la certitude que des « choses importantes se
préparaient». Il li

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents