Nouvelles des aubes tristes et du soleil de novembre
278 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Nouvelles des aubes tristes et du soleil de novembre , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
278 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

« La période courte de l'Histoire, disons celle qui s'étale sur une génération d'hommes, se prête volontiers à l'analyse des causes et effets. On cherche à peser les conséquences de telle action et à comprendre l'enchaînement des événements, on s'interroge sur l'exhaustivité de ses propres connaissances, on doute d'une perspective trop vite profilée. Un verdict boiteux guette l'honnête chroniqueur, le fait caché l'archiviste obstiné, l'uchronie le meilleur esprit. » Les histoires familiales de personnages issus de milieux socio-culturels variés sont au cœur des neuf nouvelles qui composent ce recueil. L'auteur dresse le portrait d'hommes et de femmes touchants, qu'ils soient ouvriers du bâtiment, grands bourgeois, ou encore paysans. Fin connaisseur de l'âme humaine, il décortique les réactions de ses personnages à des moments charnières de leur existence. Ses récits donnent à méditer sur les aléas du destin, invitant le lecteur à réfléchir aux raisons qui motivent certains choix décisifs. Que peuvent avoir en commun une artiste sculpteur rattrapée par la brutalité du monde contemporain, un curé philosophe, un maire traversant une crise existentielle, sinon leur besoin de s'émanciper ? L'art, et en particulier la littérature, occupe une place cruciale dans le parcours spirituel de plusieurs personnages, comme dans la nouvelle décrivant la lente conversion religieuse d'un retraité. Avec un grand sens du rythme et un talent particulier pour les dialogues, Bruno Latapy ne manquera pas d'émouvoir et de divertir son lecteur, pour mieux l'instruire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 novembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342058314
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Nouvelles des aubes tristes et du soleil de novembre
Bruno Latapy
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Nouvelles des aubes tristes et du soleil de novembre
 
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
 
 
″Hommes de l’avenir, souvenez-vous de moi […]″
″Les obus miaulaient,″
″Pendant vos aubes pathétiques [,]″
″Pendant le blanc et nocturne novembre […]″
Guillaume Apollinaire
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Seconde partie. Soleil de novembre. Nouvelles
Ne manquons pas la lumière écourtée des fins d’automne. En novembre, le mois qui fait clore les ouvertures, fuir au-dedans des maisons, un rayon froid de l’astre éloigné anime parfois, sans qu’on l’en prie, les cœurs étonnés.
 
Ces textes sont moins contractés que les précédents, bien tristes, disent-ils… Normal ! Pour être imprimé, un maigre bonheur n’a pas vraiment de caractères en relief et il faut aligner les signes pour en relever les faibles modulations. Ainsi, personne n’ose dire qu’il le connaît sûrement (à la différence du bonheur majuscule, éclatant, porté aux nues, – pour s’y perdre).
Celui-là rend muets les gentilles gens, et avec raison ! Il est incertain, au passage menacé, comme de l’abreuvoir, la brebis qui monte plus haut, par monts et par vaux… Qui croirait qu’il puisse durer ? Pas davantage que son contraire, même si le Diable a bien du talent.
 
Nouvelle n° 1. Le Jacquot à l’église. (Si c’est possible de croire ça…)
Jacques Mattathias posa les verres et la bouteille de Pernod sur la table. La réunion était terminée ; ils étaient prêts pour l’ouverture de la chasse dimanche : chacun était à jour de sa quote-part des frais, les bracelets correspondants aux bêtes qu’ils prévoyaient de tuer avaient été reçus de la préfecture de Bar-le-Duc, les nouvelles vestes orange requises pour se déployer dans les champs et les bois étaient attribuées aux chasseurs.
Ils étaient sept membres de cette association informelle et rigoureuse ; il était difficile d’y entrer, et personne n’osait la quitter de crainte de ne pouvoir y revenir. Mattathias louait à son nom le droit de chasser sur plusieurs parcelles situées au nord de la ville ; ceux des chasses voisines n’avaient pas intérêt à y mettre un pied ni à tirer sur un animal qui s’y trouverait.
Jacques, dit Jacquot, Tonton, le « chef », ne plaisantait pas avec les règles et la discipline s’y rapportant. À midi, il se leva, ce qui indiquait que la séance l’était aussi. Allez, les gars ! Sans bouger de sa place, il salua d’un signe de main ses équipiers qui disparurent en souhaitant bon appétit.
Il rejoignit Thérèse dans la cuisine pour le déjeuner ; il était d’humeur guillerette : tout était en ordre, une bonne journée s’annonçait pour le jour d’après ; les bêtes seraient surprises, les chasses alentour verraient qui était manchot.
« C’est quoi ces gâteaux ?
— Pour demain. Il y a une vente au profit du patronage. J’en ai fait trois.
— …
— Assieds-toi, c’est chaud. »
Il déplia sa serviette, se servit de vin, huma les parfums qui montaient du fait-tout posé entre leurs assiettes : un poulet cuit avec des pommes de terre, du laurier et du thym, issus du poulailler et du jardin.
« Ça serait bien que tu m’accompagnes en voiture. J’pourrai pas tout porter à pied.
— Demain, c’est l’ouverture.
— Comment j’fais alors ?
— Demande donc à Gilbert et Liliane : ils y vont… sûr ! »
L’après-midi, il nettoya son fusil, puis alla repérer les traces d’animaux avec Paul Trousselot, dit P’tit Paul, dit Paulot, la Trousse, Lolo. C’était son complice et factotum, de longue date, en toute chose, la chasse en particulier ; il fallait un cerveau, pour chasser… et un assistant ! Il convenait de repérer les passages, les positions à prendre, deviner le temps qu’il ferait, choisir les chiens qui iraient. Et ce n’est pas les autres farceurs du groupe qui feraient le boulot : ils n’avaient pas la moindre idée pour guider le mouvement, non plus que le courage, la veille, d’arpenter le terrain. Donc, Jacquot s’y collait, avec P’tit Paul bien sûr ; c’est pour cette raison qu’on appelait le premier Tonton et le second Lolo.
Ils tuèrent le jour en question une biche et deux cochons ; même la chasse de Patin-Mottard, le maire, n’avait pas fait mieux. Vers cinq heures, un peu pris par l’anisette et le vin du repas des chasseurs, il rapporta un cuissot de sanglier à la maison.
« Où qu’tu vas le mettre ? Le congélo est plein.
— J’allais pas le laisser aux autres. Peut ben rester un moment dehors, avec le froid qu’y fait… »
Il se changea (il ne tolérait pas le négligé, sur lui, chez lui), graissa son fusil (il avait tiré trois fois, dont un coup qui avait couché la biche), il alluma la télévision en attendant l’heure du dîner.
« Alors, t’as été avec Gilbert et Liliane ?
— Non. Y pouvaient pas, fallait qu’y s’aillent chez la sœur de la Liliane à déjeuner. J’ai été à pied.
— T’as vendu tes gâteaux ?
— Oui. »
Ils s’assirent plus tard dans les fauteuils pour regarder le film du dimanche soir à la télé, mais Thérèse monta se coucher rapidement ; lui-même ne suivait pas grand-chose, ne voyait ni n’entendait ce qui sortait du poste. Avec la même attention au spectacle proposé que celle d’une vache sur les genoux à abri des baliveaux face au chemin, il ruminait, – bien des pensées.
Qu’est-ce que sa femme avait eu besoin ces dernières années de se toquer de religion ?
Philippe était mort il y a maintenant treize ans : bien des jours depuis, dont il avait fallu atteindre le crépuscule… Elle avait paru tenir le coup, pourtant ; certes son visage avait pris une teinte cireuse, sa chevelure soudainement virée au gris ; sur le moment, elle s’était occupée à tenir la maison, la nettoyant comme jamais, de la cave au grenier, des placards aux sanitaires, chassant la poussière de derrière les meubles, changeant la literie deux fois par semaine. Elle avait beaucoup pleuré – lui aussi, sèchement, dans son cœur, comme un homme de son pays, de son temps. Il avait son travail, n’aurait pas admis un signe de faiblesse en public ni de compassion.
Entre eux deux, il n’en parlait jamais, hormis des aspects matériels, le tri des affaires du défunt, le soin de la tombe. Jacques avait vendu la carabine Luger de son fils : il ne restait maintenant rien de lui.
Thérèse ne conduisait pas ; tous les jours, elle marchait jusqu’au cimetière, situé par chance à la lisière nord de Ligny-en-Barrois, du côté de leur maison, construite à l’écart en bord de route. Aller-retour, il fallait compter cinq kilomètres, à se tordre les chevilles dans l’herbe bordant le fossé.
Elle restait une demi-heure, détachait les feuilles mortes collées sur le marbre et le ciment, disposait dans un vase des fleurs du jardin, puis se plantait aux pieds de son fils, ne pensant ni aux jours passés avec lui ni aux suivants. – Il était ici. Parfois, elle entrait dans la ville et rapportait du pain.
Deux ans après la disparition de son fils, Mattathias avait vendu son affaire ; il n’avait pas trouvé à céder la clientèle, avait liquidé les engins et le matériel de chantier, fait au mieux pour placer ses neuf ouvriers chez des collègues. Il travaillait depuis quarante-cinq ans : il avait envie d’être un peu tranquille. Cependant, les journées s’étaient révélées longues, les projets manquaient, la présence de sa femme s’avérait terriblement silencieuse.
À cette époque, Thérèse ne se leva plus ; elle préparait le petit-déjeuner, nourrissait les poules, et se recouchait. Même la visite au cimetière était délaissée. Le médecin, ne découvrant aucun symptôme physique, conclut à une dépression et prescrit les médicaments en vigueur ; elle ne restait plus au lit, allait et venait, dans sa robe de chambre de laine, lentement, retournant sur ses pas, remplissait un seau de grain pour le porter aux volailles et réapparaissait avec, s’étant aperçue qu’elle avait déjà fait la distribution.
Il n’avait pas envie de devoir prendre les mêmes drogues et comprit qu’il fallait qu’il aille voir ailleurs. Il organisa donc la chasse, avec une bande de copains sélectionnés pour leur capacité à payer leur part de charges et pour leur docilité ; avec P’tit Paul en tant que compagnon et homme à tout faire, il accepta aussi des chantiers de construction : de petites maisons, à bâtir sous l’œil d’un maître d’œuvre complaisant, payées en billets. Il rentrait déjeuner, dîner, ponctuel, satisfait de trouver Thérèse en vie.
Ils s’étaient rencontrés à Bar-le-Duc, en 1970, alors qu’il venait de s’établir à son compte ; Thérèse était serveuse à la brasserie de la rue Jean-Jacques Rousseau, où il avait ses habitudes. Grande, brune aux cheveux longs frisés, les yeux bleus, elle répondait d’un sourire aux plaisanteries des consommateurs, de café ou d’anis, esquivait d’un mouvement de croupe leurs gestes aventureux ; le patron l’aimait bien, car elle faisait bonne figure dans l’établissement et stimulait la clientèle par sa résistance.
Mattathias, accoudé au comptoir, à sa manière sans fioritures, lui avait proposé de l’épouser.
« Chiche !
— Ben, ouais. J’suis sérieux. »
Ils étaient du même matériau humain, dur et résistant : elle avait accepté. Ils avaient vingt-six ans ; Dominique était né en 1971, Philippe en 1975.
On aime ses gamins tels qu’ils viennent ; on peut pourtant avoir l’œil qui brille et la tête qui se re

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents