Marrakech, Lumière d Exil
168 pages
Français

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Marrakech, Lumière d'Exil , livre ebook

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Description

Par-delà l’image convenue de la femme sacrifiée, Rajae Benchemsi découvre, en évoquant de l’intérieur le destin de ses aïeules musulmanes, le visage d’un autre Islam, de générosité, de raffinement arabo-andalou et de beauté.C’est donc un véritable roman d’initiation que cette quête d’identité entre Occident et Orient, entre modernité et féodalité, servie par une langue puissante et lyrique, riche des deux imaginaires qu’elle porte

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2012
Nombre de lectures 6
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Marrakech, LuMière d'exiLEditions
© Marsam - 2012
Collection dirigée par Rachid Chraïbi
6, rue Mohamed Rifaï (Place Moulay Hassan ex. Pietri) Rabat
Tél. : (+212) 537 67 40 28 / 67 10 29 / Fax : (+212) 537 67 40 22
E-mail : marsamquadrichromie@yahoo.fr
Site web : www.marsam-editions.com
Compogravure flashage
Quadrichromie
Impression
Bouregreg - Salé
Dépôt légal : 0291/2012
I.S.B.N. : 9954-21-273-8Rajae Benchemsi
Marrakech, LuMière d'exiLDu même auteure
• Parole de Nuit, poèsie, Éditions Marsam, 1997
• Fracture du désir, nouvelles, Actes Sud, 1998
• Marrakech, lumière d'exil, roman, Sabine Wespieser éditeur, 2003
Réedité par les Editions Marsam, 2012
• La controverse des temps, roman, Sabine Wespieser éditeur, 2006
Réedité par les Edit
• L'interprète des éphémères, nouvelle, Editions Filigrane
• La main, nouvelle, Editions Elyzad, 2007
• Mon père, récit, Editions Chèvre-feuille étoilé, 2007
• L'intuition créatrice, essai, publié par Venise cadre, 2010
Réedité par les Editions Marsam, 2012
• Sur mes traces, nouvelles, Editions Marsam, 2012
Couverture
Farid Belkahia
Jamaâ Al Fna Marrakech, huile sur toile,
161 x 221 cm, 1963 5
Des mains. des mains blanches. Des mains
brunes. Des mains paumes ouvertes vers le ciel.
Comme pour lui éviter de s’effondrer. Peut-être
simplement pour l’accueillir. L’empêc her de se
mêler au sol mouvant de l’antique place
jamaa-alFna.
Les veines bleues et tendres augmentaient la
fragilité de la main trop blanche. Une main sans
histoire tant la neutralité de sa blancheur était
déconcertante. Le henné onctueux cou lait de
la seringue comme une lave obscène. Verdâtre.
Visqueux. Éternel, il honorait encore une fois les
graphismes sacrés de l’Islam. Formes géométriques
ancestrales. Losanges. Triangles. Arabesques.
Spirales. Délectation de la mémoire. Frondaisons de
mosquées. Rosaces de zelliges. Ciel de stuc. Odeurs
exquises et innommables de l’enfance. Odeur
de la mémoire elle-même. Tous ces graphismes,
profondément ancrés dans l’inconscient de Bahia,
affuaient naturellement au bout de son regard et
de son geste, solennellement complices, chaque
fois qu’elle s’apprêtait à tatouer une main. Elle
aimait la spirale par dessus tout. « C’est le début
et le bout de la vie », se plaisait-elle à dire. Une
spirale apaisée dont l’extrémité intérieure semble se
prosterner devant le destin. Toutes ces mains qui
se succédaient, sous l’œil attentif de Bahia, étaient 6 Marrakech lumière d'exil
devenues, au fl du temps, un véritable alphabet qui
s’organisait pour signifer le monde. Son chant, son
poème, mais aussi sa complainte . Sa perception
des êtres et des choses était défnitive ment aliénée
à ces petits membres qui donnent la température
de l’espace. La texture de chaque main lui indiquait
infaillible ment le caractère de toutes ces femmes.
Happées par les yeux de feu de Bahia elles
s’arrêtent, place Jamaa-al-Fna, pour faire tatouer
leurs extrémités, ignorant la colère sourde et
l’immense souffrance qui animent son regard
animal. Elle les voit à peine. Comme si seules leurs
mains la retenaient de partir et de quitter ce monde.
Elle porte tou jours sur son visage, pour travailler,
un léger voile de mousseline noire qui dessine ses
yeux, saisissants de beauté et de force. Des yeux
déchaînés. Noirs. Brillants. Indomptables. Rien de
lyrique ou de lancinant qui les humanise. Rien. Que
de la rage, humide et violente, où vient s’abîmer,
non la femme, mais le féminin lui-même. Toutes
ces femmes, en tendant la paume de leurs mains
au tatouage de Bahia, consa crent, dans ce geste
généreux, le féminin en elles.
« Sur cette main, je veux un cœur. Juste un cœur»,
dit la jeune touriste.
Bahia déplaça lentement ses pupilles lourdes.
Colla son regard noir au regard bleu et fuyant de
la jeune femme. Puis, sans rien dire, en observant
furtivement la paume trop frêle, elle y grava un cœur.
Un cœur éphémère. Libre des enchevêt rements
de l’art musulman. Un cœur froid, inaccessible à
toute générosité. Submergé par les vrombissements Marrakech lumière d'exil 7
intena bles de la place. Un cœur inapte à l’amour. De
sa seringue, elle irrigua alors « cet organe mâle par
excellence ». Si la vie s’accorde au féminin, pensait
Bahia, son battement est mascu lin. Son pouls est
mâle. Elle dessina sur la main de la jeune femme avec
cette semence verte qui brunit en séchant. Comme
pour fger ce cœur et le rendre défnitivement fermé
aux péripéties de l’amour. Un cœur vert sur une
main blanche. Tout autour, des veines : des veines
bleu violacé. Des veines fnes. Des veines froides.
Venelles où tout interfère avec tout. Le sang avec la
chair. La peau fne avec la poussière du désert. Les
phalanges avec les remparts rouges de la ville. Bahia
allongea à son tour ses doigts efflés et prit le triste
billet que lui tendait la touriste. Vingt dirhams. Vingt
dirhams pour éprouver dans sa chair cette autre face
de la civilisation arabe et berbère. Le henné livrait
à ces jeunes étrangères un avant-goût de l’inconnu
en Islam. Occasion inespérée de réduire l’immense
différence qui les séparait de cette culture. L’acte en
soi leur semblait une concession à ce monde et leur
donnait la délicieuse impression d’être des initiées.
Des houris. Prêtes pour les noces. Aptes à la joie et
à l’allégresse. La place frétillait alors d’un subtil jeu
sexuel exalté par la musique et les chants, profanes
ou religieux, qui montaient des kios ques et des cafés.
Les yeux rivés sur leur tatouage encore frais, elles
doublaient de leurs torsions délicatement sensuelles
cel les éternelles et divinement ambiguës des cobras
qui dan saient au rythme de la confrérie des Issaoua.
Bahia m’aperçut enfn. Nous nous embrassâmes
tendrement. 8 Marrakech lumière d'exil
« Ne t’occupe pas de moi, lui dis-je.
— Ça risque de durer longtemps. Nous sommes
samedi. Il y a beaucoup de clients.
— Ce n’est pas grave. Je t’attends. »
La ville prend ses aises en ce début
d’aprèsmidi. Elle semble s’étirer et pousser au loin sa
respiration. Au-delà d’un horizon qui se perd d’un
côté dans les montagnes de l’Atlas, de l’autre vers le
désert invisible et pourtant fortement pré sent dans
les esprits et les regards des passants. Le désert
est le véritable arrière-pays, abstrait et imaginaire,
qui donne à Marrakech l’étrange et mystérieux
raffnement de sa culture arabe, andalouse et berbère.
Culture de la précision et du détail. Comme pour
se protéger de l’ouverture du temps sans limites,
des étendues désertiques. Culture sans mièvrerie ni
emphase, de l’ascétisme des graphismes du Sud à la
généro sité sans faille inspirée du soufsme. Les gens,
à cette heure-ci du jour, fusionnent littéralement
avec la chaleur molle et sableuse où s’enfoncent
leurs fantasmes curieusement indestr uctibles.
J’ai soudain la sensation de devenir transparente.
Presque légère. Assez légère pour éprouver le
poids des différentes épaisseurs historiques qui
font de Marrakech l’un des plus complexes et des
plus agréables palimpsestes, dépourvu de cette
arrogance propre aux villes stratifées et structurées
par une mémoire et un passé trop importants. Une
atmo sphère d’éternité enveloppe l’espace. Je suis
incapable de cerner l’étendue de ma volonté. De
mon désir vague de rentrer chez moi ou de rester
dans la ville désolée et appesan tie. La chaleur Marrakech lumière d'exil 9
prodigue une sensation de sable mouvant dont le
tourbillon creuse étrangement l’espace.
Je pense soudain à mon cours sur Lautréamont.
Au deuxième chant de Maldoror. Aux pavés de
Paris. À la mort d’un jeune garçon le soir entre la
Bastille et la Madeleine. À mes étudiants que toute
littérature française non engagée ennuyait très
sérieusement. Ils n’aimaient que Camus, Sartre,
Malraux. La politique, dont pourtant l’État les avait
subtilement dissuadés de s’intéresser de trop près,
occupait une place centrale dans leur vie. Peu à
peu, des pratiques très perverses de l’enseignement
les avaient conduits, sans qu’ils s’en aperçoivent
vérita blement, à concentrer leur réfexion sur
le renouveau de l’Islam. On les nourrissait des
doctrines fondamentalistes qui remontaient jusqu’à
Ibn Taïmiya plutôt que du grand Islam traditionnel.
Je constatais un peu plus chaque jour combien il
m’était diffcile de réduire la distance qui me séparait
de mes étudiants. Nous étions issus de milieux
différents. Nous avions une formation différente. Nous
n’avions pas le même rapport à la langue française,
dans laquelle pourtant se déroulait le cours.
Je rapprochai de Bahia un petit tabouret
recouvert d’une peau de mouton et me laissai
envahir par l’exultante cacophonie de la place.
Une délicieuse sensation d’abandon me
plongea très vite dans une extase sans fn. J’étais
moimême la place. J’étais moi-même la multitude de
bruits divers et eni vrants. Mon corps se dilata. Se
liquéfa. Devint lui-même l’infni. Des sons. Des
sons graves. Aigus. Grinçants. Stridents . Musiques. 10 Marrakech lumière d'exil
Klaxons. Brouhaha. Vrombissements de moteurs.
Cliquetis des marchands d’eau. Puis des voix. Des
voix rauques. Cassées. Sèches. Des voix qui percent
ce tintamar re général et s’ancrent dans le tissu
foisonnant de la cité. Dans sa folie. Dans son délire.
Pourtant, je sens encore le désert. Le désert est là.
Sur la place. L’illustre place Jamaa-al-Fna. Mosquée
du Néant. Début de la vie. Seuil de la méditation.
De la communion avec l’inconnu.
Exquise et irrésistible sensation d’abandon.
Istislam : si puissant et si volontaire abandon de
soi. Appartenance à l’invisible. À l’indicible. Fusion
avec un désert fortement présent et concret dans
cette ville qui, durant des siècles, s’est acharnée
à le repousser. À le nier. À lui tourner le dos. À
défer sa menace en lui opposant des jardins. De la
verdure. Des arssate. Des jnanate. À combler cette
violence irrépressible du sable voué à la démesure.
À l’illimité. Le déser

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