Maikan , livre ebook

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Nitassinan, août 1936. Sur ordre du gouvernement canadien, tous les jeunes Innus sont arrachés à leurs familles et conduits à plus d’un millier de kilomètres, dans le pensionnat de Fort George, tenu par des religieux catholiques. Chaque jour, les coups pleuvent : tout est bon pour « tuer l’Indien dans l’enfant ».


Montréal, 2013. L’avocate Audrey Duval recherche des survivants. Dans une réserve de la Côte-Nord, elle rencontre Marie, une vieille Innue, qui va lui raconter tout ce qui s’est passé à Fort George, les violences au quotidien, mais aussi l’amour et l’amitié.


Un roman d’une grande sensibilité qui dévoile un pan méconnu de l’histoire des Amérindiens du Québec, par l’auteur primé de Kukum.

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Publié par

Date de parution

25 juin 2021

Nombre de lectures

4

EAN13

9782902039197

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

2 Mo

Éditeur Amaury Levillayer, PhD
Réalisation éditoriale Joël Faucilhon — numérisation Marie-Laure Jouanno — conception graphique et réalisation Éric Levillayer — correction © Olivier Mazoué — éléments graphiques et logotypes
Édité par © Éditions Dépaysage, 2021
ISBN (papier) : 978-2-902039-18-0 ISBN (epub) : 978-2-902039-15-9
En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du code de la propriété intellectuelle du 1 er  juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.


MAIKAN
Un roman de Michel Jean
-



Plusieurs membres de ma famille ont fréquenté le pensionnat de Fort George. Ce livre leur est dédié.


 
«Très vite dans ma vie il a été trop tard.» Marguerite Duras, L’Amant , 1984.



Province du Québec. Principaux lieux mentionnés dans le roman.


La fuite
La pelle frappe le sol, comme la hache l’arbre à abattre. Cette terre ne se laisse pas travailler facilement et l’acier s’y enfonce avec difficulté. Il creuse, un coup à la fois, avec une sourde résolution. À mesure que s’ouvre le sol, il bute contre des pierres, de plus en plus nombreuses, de plus en plus grosses, qu’il extrait à la main, une à une.
Le vent du nord gifle son visage. Les effluves de sel et d’algues lui donnent la nausée. Sur ses joues, les larmes se mêlent à la sueur. Le vacarme de la mer, griffant de sa rage les rochers dégarnis, couvre le bruit de son travail.
Quand le trou est assez profond, il s’en extirpe enfin. Son regard mouillé se perd un instant au fond de la fosse. Puis il se tourne vers le vent pour le défier une dernière fois. Il voudrait hurler plus fort que l’océan, cracher son dégoût, vomir sa honte pour la jeter à la face de ce monde de roche et de sel. Mais face à l’immensité sombre et mouvante de l’océan, sa gorge d’homme de la forêt et des montagnes reste nouée.
Il hésite, puis, résigné, prend dans ses bras le corps qui gît sur le sol, vérifie une dernière fois qu’il est bien enveloppé dans l’épaisse couverture de laine qu’il a volée. Il aurait préféré un autre linceul, une peau de caribou ou, mieux, d’ours. Une fourrure chaude pour le protéger de la morsure du froid cruel qui règne en ces lieux, même si cela n’a plus vraiment d’importance.
Il serre contre lui le corps déjà raide pour lui transmettre un peu de sa propre chaleur. Un peu de sa vie. Une dernière fois. Puis il descend dans la fosse, dépose avec soin le cadavre sur le sol gelé. Il place ensuite des pierres autour pour former une barrière, puis par-dessus le corps. Quand il a fini, il remonte et, avec la pelle, entreprend de refermer le trou. Il s’assure de bien égaliser le sol pour que personne ne puisse trouver ce qu’il vient de cacher, recouvre ensuite la tombe de roches, de bouts de bois flotté et de branches d’arbres pour effacer toute marque de son passage, comme son père et son grand-père lui ont appris à le faire. Un chasseur suit les pistes ; invisible, il ne laisse pas de traces derrière lui.
Il peut partir. Le temps presse. Il marche rapidement et le sable crisse sous ses pas. Il ne s’inquiète pas, car personne ne vient dans cette partie de l’île la nuit. Le chemin longe la côte et, de l’autre côté du bras de mer, il aperçoit le continent dans la lumière blafarde de la pleine lune, terre ingrate, desséchée et plate comme l’océan dont elle porte les parfums de sel. Mais plus loin se dessine la lisière opaque de la forêt. Elle, elle lui donne des forces.
Il prend la route à droite et s’enfonce vers le centre de l’île pour contourner le village. La voie passe au pied d’une petite colline au sommet chauve balayé par le vent. Il accélère le pas pour atteindre au plus vite l’autre rive avant l’arrivée des employés, avant, surtout, le départ du traversier. Il marche maintenant sur le côté de la route, silencieux, les sens à l’affût, guettant le passage éventuel d’un véhicule, prêt à sauter dans le fossé au moindre bruit. Mais il sait se rendre invisible.
À l’est, le soleil émerge de la forêt, rougit le ciel, immense. Le jour va bientôt se lever. Il faut faire vite. L’air frais emplit ses poumons alors qu’il court sans bruit. Il aperçoit enfin le bac accosté au quai. Ce n’est qu’une petite barge rectangulaire, à la peinture verte et blanche écaillée. La rampe d’accès permettant aux véhicules d’embarquer est abaissée. Les employés l’ont sans doute laissée ainsi la veille. Il s’approche à pas de loup, comme il sait le faire depuis qu’il est enfant, se cache derrière les fourrés, jette un dernier coup d’œil autour de lui. Puis, rassuré, il saute à bord et se dissimule sous une épaisse bâche grise qui recouvre les cordages près de la cabine du pilote. Il s’enfouit avec soin sous la masse tressée. L’odeur de pétrole le prend à la gorge. Il serre les dents, se cale contre le métal froid. Le vent venu du large souffle. Le bateau ondule, craque. L’attente. Interminable.
Au bout d’une trentaine de minutes, il perçoit au loin le son de pas lourds. Deux hommes sautent à bord. De sa cachette, il les entend procéder avec méthode aux manœuvres, mille fois répétées, de mise en marche. Un véhicule monte. Un autre le suit. L’homme abrité sous la toile écoute, chasseur embusqué. Un grincement métallique. La rampe d’accès se soulève. Le moteur gronde, le transbordeur tressaute et bouge enfin. Le pouls de l’homme s’emballe à mesure qu’il s’éloigne de l’île et se rapproche de la forêt. Il la sent. L’excitation le gagne. Mais il doit se calmer ; il ne peut se permettre la moindre erreur. Une autre chance de s’échapper ne se présentera pas. Alors il ferme les yeux. Des hommes parlent près de lui mais il ne les écoute pas. Il se concentre et, peu à peu, sa respiration ralentit. Il est prêt.
Le pilote coupe le moteur. Le bateau file un moment en silence sur l’eau. Puis l’engin rugit à nouveau, plus fort, l’embarcation ralentit. La structure de métal frémit sous l’effort. Le bac glisse jusqu’au quai, accoste. Quelqu’un court sur le pont. Un marin, sans doute, en train de l’amarrer. L’homme sous la bâche entend une fois de plus le grincement de la rampe d’embarcation, à l’avant cette fois, qui s’abaisse. Des moteurs démarrent, les deux véhicules quittent le traversier qui tangue. Le moment approche. D’autres camions montent à bord. Le rituel monotone des transbordeurs qui parcourent toujours le même chemin.
Il entend le bruit sourd des amarres sur le pont annonçant que le bateau se prépare à partir. L’homme gonfle ses muscles endoloris. Au moment où le bac tremble sur l’eau, il bondit de sa cachette. Quelques enjambées lui suffisent pour atteindre le bastingage. Le bateau s’éloigne déjà du quai. Il bondit sur la rampe de métal, puis se projette en avant. Une seconde, il vole au-dessus de l’eau. Le pilote et son assistant n’ont pas eu le temps de réagir. Ils regardent avec surprise l’ombre, sortie de nulle part, bondir vers le quai. Le pilote hésite. Doit-il faire demi-tour pour attraper le fuyard ? Il y renonce. Son travail consiste à conduire ce bateau et non à jouer au policier. Et puis, il n’a jamais vu cet homme, et son sort lui importe peu. Le fugitif a réussi à atteindre le quai d’un bond fulgurant et il court maintenant à grandes enjambées. Quelques passants l’ont vu sauter et le regardent foncer vers la forêt.
Chaque foulée le rapproche de la lisière des arbres et l’éloigne de l’océan Arctique. Son cœur cogne, ses tempes battent au même rythme. Mais rien ne peut désormais l’arrêter. Au loin, le bachoteur le regarde disparaître. Sûrement un désaxé, pense-t-il. Se sauver dans le bois, quelle idée ridicule et surtout, suicidaire. Personne ne peut survivre dans cette forêt maudite. En bon marin, il se sent bien plus en sécurité au milieu de l’immensité d’eau glacée que dans cette mer d’arbres qui vient d’engloutir le fuyard. Ce fou court à sa perte, se dit-il. Qui il est n’a pas d’importance, car plus personne n’en entendra jamais parler. Le pilote se retourne, le vent du large fouette son visage.



L’avocate et le Nakota
Montréal
Ses escarpins résonnent sur le béton. Tout en elle exprime l’empressement : sa façon de bouger, de parler, de sans cesse jeter un coup d’œil à sa montre, de surveiller les messages sur son téléphone cellulaire.
Audrey Duval avance entre les épaves humaines, tentant d’y reconnaître un visage. Sa silhouette fine et ses vêtements jurent avec la faune du quartier. Elle tient dans une main sa mallette noire d’avocate et, dans l’autre, une photo sur laquelle apparaît l’image d’un homme vieilli trop vite, au visage rond traversé de rides, avec des cheveux en bataille, une moustache clairsemée et un nez épaté. Il possède le regard triste et embrouillé de ceux qui ont abusé trop longtemps de drogue et d’alcool frelaté.
— Avez-vous vu Ernest Picard ?
L’homme à la barbe blanche, cernée de jaune, la regarde sans la voir.
— As-tu de l’argent pour un café ? réussit-il à dire pour toute réponse.
L’avocate ne se décourage pas, offre quelques pièces puis continue son chemin. Depuis deux jours elle cherche son homme, comme elle l’a fait avant pour Gertrude Jourdain, Pascale Gill, Linda Bacon et plusieurs autres. Et cette fois encore, elle doit se résoudre à demander l’aide de Jimmy. Le vieux Nakota n’est guère difficile à trouver. Il passe ses journées dans sa roulotte où il accueille les Autochtones dont personne d’autre ne se préoccupe. Les perdus, les abandonnés. Ces hommes et femmes qui ont quitté leur réserve pour venir s’échouer dans une ville qui n’en veut pas.
Audrey entre sans frapper et surprend Jimmy en train de faire chauffer la soupe qu’il va distribuer ce soir.
— J’ai de nouveau besoin de vous, Jimmy, dit l’avocat

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