Les Rues sans nom
134 pages
Français

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Les Rues sans nom , livre ebook

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Description

Il s'appelle Konrad. Il travaille à la rénovation des grands magasins parisiens comme manœuvre, et il dort sous l'auvent d'une station service désaffectée. Il possède un matelas, un smartphone et quelques affaires. Sa chemise est accrochée sur un clou, au mur, afin de rester bien repassée.
Deux couvertures lui suffisent pour se protéger du froid et de l'humidité de l'hiver. C'est l'histoire d'hommes, de femmes, d'enfants, de rencontres, de chaleur humaine. Ce sont des morceaux de vie de ces gens, invisibles pour certains, importants pour d'autres, parce qu'un jour, un mec a refusé que certains aient froid et faim.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 mai 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414336975
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sam Kamat DAX
Les Rues sans nom
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Aux trois D.
« On est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance » Jean François Paul de Gondi (Mémoires – 1717)
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« Il parait que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c’est une crise. Depuis que je suis petit c’est comme ça. » Coluche.
Je me souviens de ce premier soir de maraude et de la foule de sentiments et de pensées qui m’ont alors envahie.
Partir en maraude, aller dans le « quart monde » était comme entrer dans un monde parallèle au monde « normal ». C’était comme si l’un et l’autre étaient juxtaposés sans jamais parvenir à se toucher, s’unir, ou se mélanger. Aller à la rencontre de tous ces gens, entrevoir puis percevoir et recevoir leur précarité et leur misère, était bien plus brutal que tout ce que j’avais pu imaginer. Ce premier soir, je me suis sentie envahie par un sentiment d’impuissance au point qu’à un moment donné je me suis vue jeter l’éponge. Non pas parce qu’il m’était insupportable de supporter ces visions de désespoir, cette misère sociale et humaine, non. Mais je pensais simplement qu’aider, soulager, apaiser
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et réconforter des personnes adultes, déjà enfoncées dans un système inerte et sclérosé, était perdu d’avance. Le peu que la maraude était capable d’apporter me paraissait semblable à une goutte d’eau dans un océan.
Mais le temps m’a prouvé le contraire… heureusement ou malheureusement.
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« Je ne suis pas allé partout, mais je suis revenu de tout. » Coluche.
Chapitre 1 Lundi Octobre 2017 – France – quart monde
En route : Ces jourslà on est toujours un peu tendu. Lorsque l’on arrive au local où l’on est sensé tous se retrouver avant de partir à la rencontre des gens de la rue, c’est avec un peu de stress et d’appréhension. Comme on ne se connait pas tous, on tente parfois de discuter, plus pour détendre l’atmosphère et effacer les tensions latentes que par intérêt les uns pour les autres. Après tout, nous sommes venus pour un but précis et commun, et ce but est si compliqué… Dans le camion, on s’adresse un peu la parole mais, encore une fois, à peine. Suivant son caractère on essaie de plaisanter, pour dédramatiser les moments à venir. Certains essaient de faire connaissance mais sans oser aller plus loin de crainte de paraître indiscrets, et puis personne n’est vraiment là pour ça, même si le fait d’être ensemble apporte un certain réconfort.
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La promiscuité de l’habitacle nous réchauffe, réchauffe nos corps et nos cœurs, et cette étape bienfaisante est indispensable pour affronter la soirée. Sur le trajet, chacun est plongé dans ses pensées, certains meublent le silence en parlant de tout et de rien, d’autres sont silencieux, graves, parce qu’ils ne savent pas encore comment la soirée se déroulera, parce qu’ils ne savent pas encore ce qu’ils verront, entendront, percevront, supporteront, et parce qu’ils ne savent pas comment ils rentreront chez eux, psychologiquement et physiquement. À toutes les haltes c’est un peu le même rituel, ils sont là à nous attendre, immobiles, le visage figé, crispé, en faction, pleins d’espoirs, de pudeur, de gêne parfois, chacun avec son vécu et son histoire, chacun avec un passif et des bagages plus ou moins lourds. Des bribes de conversations nous renseigneront parfois sur l’étendue de la détresse supportée par certains, sur l’injustice et l’inertie du système, sur notre incapacité à pouvoir changer certains états de faits. Mais même dans ces conditions, la vigilance est de mise. Car il suffirait de peu pour que la situation se détériore rapidement, un regard ou un mot mal placé et mal interprété, et tout pourrait tourner au chaos, comme dans certains esprits tourmentés que nous rencontrons. Ce n’est qu’une fois de retour que la tension retombera, et avec elle, les images d’un monde différent de celui qui nous est quotidien. Puis viendra le moment où les visages, les sourires, les malheurs, s’imposeront à nous de façon lancinante, et continueront à nous hanter de longues heures durant. Il nous sera difficile de nous réchauffer même en restant
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plus longtemps que de coutume sous une douche brûlante, comme pour nous laver de tout ce monde de désolation entraperçu.
Donalbain :
C’est un homme jeune qui semble fort, il est grand et sa carrure est impressionnante. On ne distingue de ses traits qui semblent être pleins de caractère que ses yeux, écartés, son regard doux qu’il cache sous un chapeau, comme par pudeur. Il se frotte constamment les mains et bat des pieds pour se réchauffer, mais surtout pour se donner une contenance. Il ne semble pas remarquer la pluie qui ruisselle sur ses vêtements. Il est si heureux d’avoir des interlocuteurs, qu’il restera avec eux jusqu’à ce qu’ils partent, sans rien demander de plus que le repas qui lui a été servi, et en refusant poliment le supplément lui est proposé. Une soupe et un plat chaud, pris debout sous l’auvent à vélos, l’ont amplement contenté, et la chaleur humaine le comble à un point qu’il ne saurait décrire. Alors il reste là, près des gens bienveillants, sans presque mot dire, son visage souriant contrastant avec la grisaille environnante et avec ses conditions de vie. Il veut juste rester près des êtres humains et de la chaleur qu’ils dégagent, afin d’y puiser suffisamment de force pour retourner passer la nuit dans la forêt. Cette forêt qu’il déclare aimer… beaucoup.
Othello : Il empeste l’alcool à plein nez, râle sur tout car ça lui
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permet d’exister à sa façon, encore un peu, et tente de jouer les durs avec tous ceux qui l’entourent afin de garder l’exclusivité de leur attention. Il monopolise la parole et questionne cette dame bienveillante en la regardant droit dans les yeux, et en la toisant d’un air qui se voudrait supérieur. Comme elle ne baisse pas le regard et ne semble pas impressionnée, il bombe le torse et joue de ses muscles pour lui montrer sa supériorité physique. Puis il se radoucit, tente de faire valoir ses atouts en insistant sur le bleu incomparable de ses yeux, avant d’aller aboyer de nouveau sur une autre personne, et de s’en retourner sur son carton dans un coin d’immeuble où il finira la nuit.
Clélia : C’est une très jolie quinquagénaire, encore coquette, blonde, bien coiffée et habillée de façon plutôt soignée. Elle ne semble pas remarquer la pluie qui dégouline sur sa tête et sur le sac en plastique où se trouvent quelques denrées. Elle accepte un café pour se réchauffer, et un sourire pour se sentir humaine… Elle est gracieuse, n’a aucune expression pouvant trahir une quelconque humeur négative. Elle répond que oui, bien sûr, elle a un endroit couvert pour dormir tranquillement, dans une cage d’escalier où seul le vent la réveille parfois. Elle nous quitte, trempée, avec un large sourire, un peu triste, et nous souhaite de passer une bonne soirée… un au revoir auquel il est difficile de répondre.
Konrad : Il s’appelle Konrad, il travaille à la rénovation des
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