Les robinsons de la Guyane
964 pages
Français

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Les robinsons de la Guyane , livre ebook

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Description

Louis Boussenard (1847-1910)



"Les arbres géants de la forêt équatoriale se tordaient sous la rafale. Le tonnerre grondait furieusement. Les éclats de la foudre, simultanément sonores ou étouffés, brefs ou prolongés, secs ou crépitants, bizarres parfois, terribles toujours, semblaient se confondre en une seule et interminable détonation.


Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, s’étalait, à perte de vue, au ras les cimes une immense nuée noirâtre, bordée d’une sinistre bande cuivrée. Des éclairs aveuglants, affectant toutes les formes et toutes les couleurs, mêlés dans une colossale fulguration, s’en échappaient comme d’un cratère renversé.


De ces vapeurs trop lourdes qu’un implacable soleil avait fait surgir d’insondables marais et de solitudes inexplorées, roulaient de véritables trombes. Ce que nous nommons en Europe des gouttes de pluie, semblait de larges coulées de métal en fusion, à travers lesquelles se reflétaient étrangement les éclairs.


Les feuilles tombaient, hachées comme par un ouragan de grêle, mieux encore, comme par des millions de jets de pompes à vapeur.


De temps en temps, un acajou énorme, l’orgueil de la forêt vierge, s’abattait lourdement ; une ébène verte, au tronc élevé de plus de quarante mètres, aussi dur que le fer, voltigeait comme une paille ; un cèdre séculaire, que quatre hommes n’eussent pu entourer de leurs bras, éclatait, ainsi qu’une planchette de sapin, un simaruba, un boco, ou un angélique, dont les cimes trouaient la nue, roulaient, fracassés les premiers."



Condamné au bagne pour ses activités politiques, Robin s'évade. La route vers la liberté est semée d'embûches. Il rencontre Casimir, un vieux lépreux ; les deux hommes s'entraident. La femme et les enfants de Robin finissent par le rejoindre...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 novembre 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384421466
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0022€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les robinsons de la Guyane


Louis Boussenard


Novembre 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-146-6
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1144
Première partie
Le tigre blanc
I
Un orage sous l’équateur. – L’appel des forçats. – Trop de zèle ! – Aux armes ! – L’évasion. – Les « Meurt-de-faim ». – Les chasseurs d’hommes. – Il y a fagot et fagot. – Entre chiens. – La forêt vierge la nuit. – La proie et l’ombre. – Tigre moucheté et tigre blanc. – Mauvais coup de fusil, mais superbe coup de sabre. – Vengeance d’un noble cœur. – Le pardon. – Libre !...
 
Les arbres géants de la forêt équatoriale se tordaient sous la rafale. Le tonnerre grondait furieusement. Les éclats de la foudre, simultanément sonores ou étouffés, brefs ou prolongés, secs ou crépitants, bizarres parfois, terribles toujours, semblaient se confondre en une seule et interminable détonation.
Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, s’étalait, à perte de vue, au ras les cimes une immense nuée noirâtre, bordée d’une sinistre bande cuivrée. Des éclairs aveuglants, affectant toutes les formes et toutes les couleurs, mêlés dans une colossale fulguration, s’en échappaient comme d’un cratère renversé.
De ces vapeurs trop lourdes qu’un implacable soleil avait fait surgir d’insondables marais et de solitudes inexplorées, roulaient de véritables trombes. Ce que nous nommons en Europe des gouttes de pluie, semblait de larges coulées de métal en fusion, à travers lesquelles se reflétaient étrangement les éclairs.
Les feuilles tombaient, hachées comme par un ouragan de grêle, mieux encore, comme par des millions de jets de pompes à vapeur.
De temps en temps, un acajou énorme, l’orgueil de la forêt vierge, s’abattait lourdement ; une ébène verte, au tronc élevé de plus de quarante mètres, aussi dur que le fer, voltigeait comme une paille ; un cèdre séculaire, que quatre hommes n’eussent pu entourer de leurs bras, éclatait, ainsi qu’une planchette de sapin, un simaruba, un boco, ou un angélique, dont les cimes trouaient la nue, roulaient, fracassés les premiers.
Ces géants, reliés ensemble par d’inextricables lianes, et dont les maîtresses branches disparaissaient sous des orchidées, des broméliacées ou des aroïdées en pleine floraison, oscillaient, puis s’écroulaient sous la même poussée. Des milliers de pétales rouges coulaient à travers les herbes : on eut dit des gouttes de sang arrachées aux flancs des colosses foudroyés.
Les animaux affolés, se taisaient. Seule, mugissait la grande voix de l’ouragan, qui atteignait alors une invraisemblable intensité.
Cette formidable symphonie de la nature, qu’on eut dit orchestrée par le génie des tempêtes, et exécutée par un chœur de Titans, remplissait l’immense vallée du Maroni, le grand fleuve de la Guyane française.
La nuit s’était faite tout à coup, avec cette rapidité particulière aux zones équatoriales que le soleil éclaire sans aurore, et d’où il disparaît sans crépuscule.
Quiconque n’eût pas été familiarisé de longue date avec ces terribles convulsions, fût resté passablement étonné, à la vue d’une centaine d’hommes de tout âge, et de nationalités différentes, qui, debout, rangés sur quatre files, se venaient sous un vaste hangar, silencieux, impassibles, le chapeau à la main.
La toiture, en feuilles de « waïe », semblait à chaque instant près de s’envoler. Les poteaux en « grignon » tremblaient dans leurs alvéoles, les quatre falots, accrochés aux quatre angles paraissaient au moment de s’éteindre.
La physionomie des inconnus, Arabes, Indiens, Noirs ou Européens, conservait quand même cette impression de morne impassibilité.
Tous étaient pieds nus, vêtus d’un pantalon et d’une blouse de toile grise au dos de laquelle se voyaient deux grandes lettres noires séparées par une ancre, C.-P.
À travers les quatre files, circulait lentement un homme de taille moyenne, aux épaules démesurément larges, à la figure brutale, que coupait une grosse moustache brune, aux longues pointes cosmétiquées. Des yeux gris-bleu, sans regard, ou plutôt qui voyaient sans regarder, donnaient à cette physionomie une inquiétante expression de ruse et de duplicité.
L’homme, vêtu d’une vareuse de drap gros-bleu, au collet rabattu, entouré d’un galon d’argent, portait sur chacune de ses manches, deux galons également en argent. Un sabre-briquet, dans le ceinturon duquel était passé un pistolet d’arçon, lui battait les mollets. Il tenait enfin à la main un solide gourdin avec lequel il exécutait de temps à autre, d’un air satisfait, un moulinet, dont la correction indiquait une science approfondie de l’art du bâtonniste.
Il inventoriait, de la cime à la base, tout en s’éventant avec la visière de son képi, de la même étoffe que la vareuse, chacun des hommes qui répondait à l’appel de son nom.
Cet appel était fait par un homme vêtu du même uniforme, qui se tenait en avant du premier rang, et dont le physique formait avec celui de son compagnon un contraste frappant.
Ce dernier, grand, mince, bien bâti pourtant, était porteur d’une physionomie tout d’abord sympathique. Détail particulier : il n’avait pas de bâton. Il portait un petit carnet sur lequel étaient inscrits des noms.
Il appelait à haute voix, et s’interrompait souvent, tant était assourdissant, le bruit de la tempête.
– Abdallah !...
– Présent !...
– Mingrasamy !...
– Présent !... répondit d’une voix rauque un Hindou, qui grelottait, en dépit de la température suffocante.
– Encore un qui a la danse de Saint-Guy... grommela l’homme aux moustaches cirées... Ça prétend avoir la fièvre. Attends un peu... mon drôle... Je vais te faire danser avec mon éventail à bourrique !
– Simonin !...
– Présent !... articula faiblement un Européen à la face livide, aux joues creuses, et qui pouvait à peine se tenir debout.
– Mais réponds donc plus haut... animal.
Et le bruit sourd d’un coup de bâton résonna sur les épaules du pauvre diable, qui plia et poussa un hurlement de douleur.
– Là !... Je savais bien que la voix lui reviendrait... Le voilà qui chante maintenant comme un singe rouge.
– Romulus !...
– Présent !... cria d’une voix de stentor un nègre d’une taille colossale en montrant une double rangée de dents dont un crocodile eût été jaloux.
– Robin !...
Pas de réponse.
– Robin !..., répéta celui qui faisait l’appel.
– Mais réponds donc !... canaille, hurla le porteur du bâton.
Rien. Un vague murmure circula sur les quatre rangs.
– Silence !... tas de chiens... Le premier qui abandonne sa place ou qui dit un mot, je lui brûle la g..., termina-t-il en armant son pistolet.
Il y eut quelques secondes d’accalmie pendant lesquelles le tonnerre se tut.
– Aux armes !... Aux armes !... cria-t-on dans le lointain.
Puis un coup de feu...
– Mille millions de tonnerre !... nous sommes dans de jolis draps. Voilà bien sûr Robin évadé et c’est un politique ! Que je crève à l’instant, si je ne tire pas du coup mes trois mois de clou.
Le « déporté » Robin fut porté manquant, et l’appel se termina sans autre incident.
Nous disons déporté et non transporté ; la première de ces deux appellations étant réservée aux hommes accusés de délit politique, la seconde servant à désigner les criminels de droit commun. C’est, en somme, l’unique et platonique différence établie entre eux par ceux qui les ont expédiés dans cet enfer et ceux qui les gardent. Travaux identiques, nourriture, vêtements et régime analogues. Les déportés et les transportés, confondus dans une horrible promiscuité, reçoivent avec une égale surabondance jusqu’aux coups de trique du garde-chiourme Benoît, lequel n’a – on a pu le constater – de Benoît que le nom.
Nous sommes, avons-nous dit, en Guyane française, sur la rive droite du Maroni qui sépare notre colonie de la Guyane hollandaise.
La colonie pénitentiaire où se passe présentement – février 185... – le prologue du drame auquel nous allons assister, se nomme Saint-Laurent. Elle est de fondation toute récente. C’est une succursale de celle de Cayenne. Les forçats, encore peu nombreux, ne sont guère que cinq cents. Le lieu est malsain, les fièvres paludéennes y sont fréquentes, et les travaux de défrichement écrasants.
 
Le surveillant Benoît – c’est le nom qu’on donne maintenant aux anciens garde-chiourme des bagnes européens – accompagna sa brigade au casernement. Il avait l’oreille basse, le digne argousin, et la face déconfite d’un renard pris au piège. Son gourdin n’évoluait plus au bout de son poignet robuste. Les pointes de ses moustaches pendaient tristement sous l’averse, et la visière de son képi n’avait plus cette conquérante inclinaison à quarante-cinq degrés.
C’est que l’évadé était un « politique », un homme de haute intelligence, d’énergie et d’action. Sa fuite devait être désastreuse pour le gardien auquel la sollicitude du gouvernement l’avait confié.
Ah ! s’il eût été un vulgaire assassin, ou même un simple faussaire, Benoît s’en fut soucié comme d’un verre de tafia.
Les hommes, ravis de cet incident qui désespérait leur chef, dissimulaient mal la joie que leurs yeux reflétaient en dépit d’eux-mêmes. C’était, d’ailleurs, la seule protestation qu’ils pussent élever contre les actes de brutalité dont ce trop zélé serviteur se rendait coupable.
Ils s’allongèrent sur leurs hamacs, tendus entre deux madriers et s’endormirent bientôt de ce sommeil que procure, à défaut d’une conscience tranquille, un labeur écrasant.
Benoît, plus décontenancé que jamais, s’en alla, sans même se préoccuper de la pluie torrentielle et des hurlements de la foudre, rendre l’appel au commandant supérieur du pénitencier.
Celui-ci, déjà mis au courant de la situation par le coup de feu et l’appel aux armes de la sentinelle, prenait avec calme les mesures qu’il croyait nécessaires pour opérer les recherches.
Non pas qu’il espérât retrouver le fugitif, mais c’est la règle. Il comptait bien plutôt sur la faim, cet implacable ennemi de tout homme isolé dans l’interminable forêt. En effet, si les évasions étaient

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