Les Pays
60 pages
Français

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Description

Claire, fille de paysans du Cantal, est née dans un monde qui disparaît. Son père le dit et le répète depuis son enfance : ils sont les derniers. Très tôt, elle comprend que le salut viendra des études et des livres et s'engage dans ce travail avec énergie et acharnement. Elle doit être la meilleure. Grâce à la bourse obtenue, elle monte à Paris, étudie en Sorbonne et découvre un univers inconnu. Elle n'oubliera rien du pays premier, et apprendra la ville où elle fera sa vie. Les Pays raconte ces années de passage.

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Informations

Publié par
Date de parution 06 septembre 2012
Nombre de lectures 11
EAN13 9782283026366
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0374€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

MARIE-HÉLÈNE LAFON
LES PAYS
roman
   
À la porte de Gentilly, en venant de la gare, on n’avait pas vu de porte du tout, rien de rien, pas la moindre casemate, quelque chose, une sorte de monument au moins, une borne qui aurait marqué la limite, un peu comme une clôture de piquets et de barbelés entre des prés.
Fille de paysans, Claire monte à Paris pour étudier. Elle n’oublie rien du monde premier et apprend la ville où elle fera sa vie.
Les Pays raconte ces années de passage.

Professeur de lettres classiques à Paris, Marie-Hélène Lafon a publié tous ses romans (dont L’Annonce , 2009) aux éditions Buchet/Chastel.
Les publications numériques des éditions Buchet/Chastel sont pourvues d’un dispositif de protection par filigrane. Ce procédé permet une lecture sur les différents supports disponibles et ne limite pas son utilisation, qui demeure strictement réservée à un usage privé. Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur, nous vous prions par conséquent de ne pas la diffuser, notamment à travers le web ou les réseaux d’échange et de partage de fichiers.
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ISBN : 978-2-283-02636-6
Pour Anne
« Nous ne possédons réellement rien ; tout nous traverse. »
 
Eugène Delacroix,
Journal
1.
On resterait partis quatre jours. On logerait à Gentilly, dans la banlieue, on ne savait pas de quel côté mais dans la banlieue, chez des sortes d’amis que les parents avaient. C’était le début de mars, quand la lumière mord aux deux bouts du jour, on le voit on le sent, mais sans pouvoir encore compter tout à fait sur le temps, sans être sûr d’échapper à la grosse tombée de neige, carrée, brutale, qui empêche tout, et vous bloque, avec les billets, les affaires et les sacs préparés la veille, au cordeau, impeccables alignés dans le couloir ; vous bloque juste le jour où il faut sortir, s’extraire de ce fin fond du monde qu’est la ferme. On n’y passe pas, on ne traverse pas, on y va, par un chemin tortueux et pentu, caparaçonné de glace entre novembre et février quand il n’est pas capitonné de neige grasse ou festonné de congères labiles ; on s’enfonce, le chemin est comme un boyau, entre les noisetiers ronds et les frênes et d’autres arbres dont personne ne dit le nom, parce que l’occasion manque de nommer les choses, et pour qui, pourquoi, qui voudrait savoir. On prendrait le train à Neussargues, un train direct, sans changement jusqu’à Paris. Changer eût été difficile, voire exorbitant, ou périlleux ; à trois, on n’aurait pas su au juste où aller dans la gare de Clermont que l’on ne connaissait pas, où il aurait fallu prendre un souterrain, monter et descendre des escaliers, repérer un quai, en traînant les bagages, sans rien oublier sans rien perdre, surtout le gros sac bleu du père où étaient les cadeaux pour les amis, fromages, de deux sortes, cantal et saint-nectaire, et cochon maison, boudin terrine rôti saucisses, de quoi nourrir cinq personnes pendant quatre jours et plus. Le père aurait préféré partir en voiture ; jusqu’à Clermont c’est facile, il sait il l’a déjà fait, ensuite on se lance, on aurait suivi les panneaux, Paris est toujours indiqué. Le père avait insisté au téléphone, en janvier quand on s’était souhaité la bonne année et que le voyage avait vraiment été décidé. Cette fois c’était bon, on ne reculerait plus, depuis le temps qu’il s’en parlait, de ça, de venir à Paris quelques jours au moment du Salon, on devrait pouvoir s’arranger pour les bêtes à la ferme et partir à peu près tranquille, avec les gamins, les deux plus jeunes, la fille et le garçon, Claire et Gilles, qui n’avaient jamais vu la tour Eiffel. Au téléphone on n’entendait pas ce que disaient les amis de Gentilly, elle d’abord la femme, Suzanne, et lui ensuite Henri, l’homme, le Parisien le vrai, qui était né là-bas et avait l’accent pointu. On n’entendait que les paroles du père mais on comprenait que Suzanne avait appelé Henri, pour la voiture, pour expliquer au père qu’il n’imaginait pas, qu’il ne pouvait pas imaginer comment c’était d’arriver à Paris en voiture quand on n’avait pas l’habitude, et les directions dans tous les sens, les camions, les motos qui se faufilaient partout, il fallait savoir, ou suivre quelqu’un au moins la première fois, et encore même comme ça c’était difficile. Le père secouait la tête, il se sentait capable, il avait envie d’essayer, avec une bonne bagnole, qui tourne comme un moulin, comme ils font maintenant, on va partout. Il avait tordu le nez, et mordu sa bouche en dedans comme il faisait toujours quand il était contrarié, et répété, remâché que, pour les matchs de rugby, à Castres, à Cahors, à Brive et même plus loin, à Toulouse, il avait toujours su le trouver, le bon trou, il disait le bon trou, il était même connu pour ça, les autres qui étaient avec lui le laissaient faire et chaque fois à force de se glisser dans tous les coins, il se garait près des stades, à deux pas. Henri avait tenu bon, avait promis de lui montrer, sur place, de l’emmener faire un tour pour voir, constater que c’était impossible, ce qu’il aurait voulu, quitte à tout noter sur un papier, de se repérer aux panneaux publicitaires ou aux enseignes, aux immeubles, aux bâtiments, comme à l’entrée de Clermont ; on n’avait pas le temps d’hésiter une seconde, il fallait anticiper, se placer dans la bonne file dès le début. Les Parisiens n’avaient pas cédé. Pour cette première fois, ils iraient par le train. Ils arriveraient à la gare de Lyon, sur le coup de sept heures, bien gentiment, sans se fatiguer. Henri viendrait les cueillir sur le quai, les trois, avec les sacs et les paquets, et direction Gentilly.
 
À Paris il pleuvinait noir dans les rues brillantes chargées de gens. Dans la gare on n’avait rien senti, s’il faisait chaud ou froid, moins froid qu’à Neussargues quand même. On avait entendu des paroles, embrassé les joues blanches et bien rasées d’Henri qui était grand, long de jambes. Et appelait le père Jeannot sur le quai de la gare de Lyon. Comme en été. Lui demandait Jeannot alors le train tu as supporté tu vois c’est bien tu vois tout ce monde ici ça sent les vacances et le Salon ça débarque avec les sacs à provisions bourrés. Henri conduisait en remuant les mains, expliquait, la Seine, juste en sortant de la gare, en remontant vers la place d’Italie, la Seine c’était autre chose que la Santoire, on avait beau dire, mais pour les truites rien à faire. Il riait. Henri parlait facilement, et vite ; il disait Parigot tête de veau Parisien tête de chien en mangeant le saucisson accoudé à la table au mois d’août pendant les vacances. On les voyait à Pâques, et en août ; ils venaient deux ou trois fois par saison, avec la sœur aînée de Suzanne, Thérèse, et son mari qui faisaient une grosse propriété plus haut encore dans la vallée, au pied du puy Mary. Thérèse avait repris la ferme, avec son mari, après les parents et les grands-parents, et Suzanne était partie à Paris, on disait montée, à la Poste, mais pas dans le courrier, elle était dans les chèques postaux, on savait qu’elle s’occupait de ça, des chèques postaux, dans de grands bureaux derrière la gare Montparnasse. On ne connaissait pas Suzanne et Henri dans leur hiver de la ville, on ne les imaginait même pas. Ils venaient surtout l’été ; le dimanche de la fête patronale, le premier dimanche après le 15 août, on mangeait ensemble dans la vaste pièce carrelée de brun, la mère s’ingéniait aux fourneaux, le repas était cossu, les hommes se remplissaient le ventre pour mille ans, les femmes faisaient honneur. On riait, ça riait dans la grande cuisine jaune. Suzanne, sa sœur, les deux maris, les fils qui étaient presque des jeunes gens, tous avaient ce don de famille de se réjouir ensemble, ils étaient gais, ils aimaient à rire dans le lâcher du corps et la mansuétude d’âme dont s’accompagnaient pour eux les fortes mangeailles. Dans le creux de l’après-midi, tous, sauf le père, Suzanne et Henri, sortaient, pour faire trois pas et s’asseoir sur le banc de pierre grise dans l’ombre du tilleul, le dos collé au mur du jardin, histoire de prendre sans en avoir l’air la juste mesure de l’été qui flamboyait, jeté à cru sur toutes les choses tremblantes, mordues de soleil, éperdues, les moutons de Raymond, les seuls du pays, en face, dans le pré pelé juste sous la route, les huit maisons de Soulages arrimées à flanc de pente de l’autre côté de la Santoire, le hêtre du pré carré, frémissant dans le grand incendie, les vaches égrenées le long de la rivière, l’âne planté raide à l’ombre du pignon, les deux tracteurs, à cabine et sans cabine, rouges et patients, garés sous les frênes jeunes à la montée de la grange, et les poules terrées dans la poussière sous l’érable. On ne dirait plus rien ; ou pas grand-chose ; on attendrait qu’un morceau de temps passe avant de repartir chacun dans sa vie et dans le tournoiement des besognes toujours recommencées. On savait que, dans la cuisine, le père et Suzanne se seraient lancés, sous l’œil impavide d’Henri, dans l’une de ces joutes verbales qui les rassemblaient en de semblables circonstances autour du sempiternel et cuisant sujet de l’avenir de l’agriculture. Le père prophétisait l’inévitable agonie, Suzanne prônait l’adaptation, l’innovation, l’invention ; elle soufflait dans l’air chaud la fumée de ses gauloises sans filtre tandis qu’il s’affairait à rouler ses cigarettes, il disait ses pipes, de tabac gris ; Henri comptait les points, ébloui toujours par sa Suzanne, vaillante et tenace, que ne rebutaient pas les convictions abruptes du père et sa prédilection infaillible pour le pire. Bien que mariés depuis neuf ans, Suzanne et Henri étaient encore tout l’un à l’autre, comme suspendus dans le bleu des débuts ; c’étaient des prévenances sans fin, des attentions infimes et multipliées, des chéries et des minous

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