Les méduses ont-elles sommeil ?
39 pages
Français

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Les méduses ont-elles sommeil ? , livre ebook

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Description

"Mon destin ne pouvait pas être aussi simple que le leur. Aussi plat. Aussi rien. Je voulais devenir quelqu'un. Paris m'attendait, je le savais, que Paris m'attendait. J'ai alors quitté le gouffre dans lequel Dieu et ma mère m'avaient implantée, et ai fait de mon quotidien ce dont je n'avais jamais rêvé : un désastre."Prix Renaudot Poche 2017

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Informations

Publié par
Date de parution 12 avril 2017
Nombre de lectures 63
EAN13 9782072714344
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0274€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

COLLECTION FOLIO
Louisiane C. Dor
Les méduses ont-elles sommeil ?
Gallimard
Louisiane C. Dor est née en 1992. Inspiré par ses années parisiennes, Les méduses ont-elles sommeil ? est son premier roman.
Mon destin ne pouvait pas être aussi simple que le leur. Aussi plat. Aussi rien . Je voulais devenir quelqu’un. Paris m’attendait, je le savais, que Paris m’attendait. J’ai alors quitté le gouffre dans lequel Dieu et ma mère m’avaient implantée, et ai fait de mon quotidien ce dont je n’avais jamais rêvé : un désastre.
PRÉFACE

Cela commence à sentir le souvenir empoussiéré, à ressembler au paysage qui s’éloigne à l’arrière de la voiture. Pourtant, aujourd’hui encore lorsque je repense à cette période – qui fut brève mais assez longue pour me marquer le front au fer rouge – un goût amer s’installe sur mon palais et puis mon cœur s’agace. Tout est allé si vite. C’est devenu un peu compliqué à retranscrire, parce que j’ai déjà rendu tous ces mauvais souvenirs, à l’horizontale sur un divan blanc. J’aurais pu passer ma vie entière à tenter d’oublier ces huit mois de vie branlante, qui m’ont paru des siècles. Les jours devenaient si courts et les nuits si longues ; parfois j’avais à peine le temps d’entrevoir le soleil qu’il s’était déjà sauvé.
 
C’est le profil même d’un adolescent, de vouloir expérimenter ce qui n’a pas besoin d’être expérimenté. On nous dit cent fois que sauter sous un poids lourd, c’est mortel. Ça a beau être une évidence, on n’y croit pas parce que ce sont les parents qui l’ont dit. Nous avons besoin d’essayer par nous-mêmes, de faire une overdose pour nous dire que « oui, peut-être, nous aurions dû écouter Maman ». On meurt d’envie de savoir à quoi ressemble cette poudre blanche dont on nous parle à la télévision. Tout ce qui passe sur les écrans semble inaccessible. Alors quand s’expose devant nous ce produit que l’on n’a vu que dans des clips, films américains et reportages à frissons, on est impressionné. Du rêve. Des produits de consommation. La chose à faire n’est pas de nous en parler mal : mais de ne pas nous en parler du tout . Ne pas nous intriguer parce que nous sommes tous bien trop curieux, et que la curiosité peut réellement être un vilain défaut. On veut boire de l’alcool parce qu’on n’a pas le droit d’en boire. On veut sortir jusqu’à une heure parce qu’on a la permission de minuit. L’adolescent et le bon raisonnement sont deux aimants que l’on tente en vain de coller l’un contre l’autre. Cela ne fonctionne pas, c’est ainsi. Chers parents : faites-vous à l’idée.
1

Voilà. Laurine me tend une paille coupée en deux et sort ce mot sans même me regarder dans les yeux. Tout juste comme si elle me proposait une tasse de café.
— Essaye.
Je ne réponds pas et la dévisage en fronçant les sourcils, l’air de dire « Pour quoi faire ? »
— Essaye je te dis, tu vas voir, ça fait rien.
— Bah ! Si ça fait rien, à quoi ça sert que j’essaye ?
— Je préfère que tu essayes avec moi plutôt qu’avec n’importe qui.
Mes yeux lancent un dernier soupir.
— Toi d’abord.
À quelle table doit-on s’asseoir à dix-huit ans ? Grands enfants ou jeunes adultes ? C’était pourtant hier, le temps où mes vêtements avaient l’odeur de la paille dans laquelle je jouais à longueur de journée, parce que les produits Apple étaient encore trop gros pour être glissés dans nos poches. Le temps où le Lapin de Pâques était de mèche avec la Petite Souris. Le temps des châteaux de sable sur la plage du Lavandou. Le temps où « je comprendrai quand je serai plus grande ». Le temps où je pleurais des larmes de rien sous prétexte que c’était l’heure du caprice. Le temps des tatouages malabars, des osselets, des cassettes audio rembobinées au crayon de papier, des feutres qui sentaient la fraise, des matins avachie devant les Minikeums avec mon bol de Weetos – qui soit dit en passant me permettaient au moins d’être en retard à l’école – des Kinder Surprise qui faisaient perdre une heure et la patience de mes parents, du premier Toy Story que je me repassais en boucle, le temps d’« Hélène et les garçons » qui m’a valu mon prénom, le temps de Shania Twain, de Manau qui viendra les gars, des après-midi pluvieux à jouer à Super Mario sur la première Nintendo, des bonshommes de neige avec leur nez comestible et de l’équitation les mercredis après-midi : le temps de mon enfance. Et puis est arrivé le jour où j’ai compris que le ciel – ou je ne sais trop quoi d’autre – offrait à chacun de nous approximativement quatre-vingt-cinq années de vie, et qu’il allait bien falloir les occuper d’une manière ou d’une autre. Ma vie à moi, d’un plat planche à pain, se laissait rythmer par l’interminable paresse du temps. Tel un vinyle rayé, tout se répétait sans cesse. Il y avait l’école, et la télévision. Qu’aurait-il pu m’arriver d’extraordinaire, alors que jamais on ne m’a posé la question « Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? ». Je n’étais qu’un meuble de plus dans cette maison barbante.
 
Je suis impressionnée devant cette ligne blanche que je ne connais que de nom et de réputation. Je sais que la cocaïne est une drogue, je sais qu’elle s’enfile par le nez, et je sais que son i prend un tréma parce que je l’ai déjà vu écrit sur des casquettes et des T-shirts. Accroupie sur le sol, j’attends hâtivement que les effets éclosent ; mais pas même l’ombre de l’un d’entre eux ne daigne se montrer. Je présage un monde dans le genre Alice au pays des merveilles . Les objets et les murs vont sûrement onduler, je vais voir des lapins blancs en retard, pouffer de rire à en réveiller les morts. Sauf que rien de tout ça n’arrive, et je commence sérieusement à me demander si ce truc blanc que je viens de sniffer ne serait pas plutôt une trace de Dafalgan. Laurine me l’avait pourtant dit, que ça ne faisait rien. Mais alors, quel intérêt ?
Je le lui fais à nouveau remarquer :
— Ça fait rien du tout, ta merde !
Soudain, c’est incroyable. Inouï. Faramineux. Nous plongeons dans un discours si philosophique que j’ignorais jusque-là que j’avais finalement un morceau de neurone qui s’était caché dans un coin et attendait patiemment d’en être délogé. Nous débattons sur des questions existentielles jusqu’à trois heures du matin, sans pause, sans manger, sans boire. Deux moulins à paroles. Nous nous levons uniquement pour aller au petit coin et pour faire les cent pas. Tous les X temps, nous reprenons une lignée de poudre magique, sans trop savoir pourquoi – l’instinct –, et continuons à parler tant les sujets se bousculent dans nos têtes. Comme si la totalité des questions que jamais je n’avais posées, ni à quiconque ni à moi-même, ordonnait d’être posée en même temps. La cocaïne dépose sur mes gencives un adorable goût de lessive. Je savoure ma découverte. La blanche est ce piment qui manquait à ma vie. Ça y est : j’existe.
Je ne me suis jamais sentie aussi vivante. L’air parisien me pénètre. Il est bon et frais. Il sent l’avenir. Nous sommes à la mi-septembre, et les feuilles des tilleuls commencent tout juste à décorer le sol de leurs tapis orangés. Paris est grande et belle sur ses hauts talons. Les jeunes ont ces coupes qui décoiffent ; ils savent accorder les vêtements, les couleurs. Tout est déjà nettement différent.
J’atterris chez une cousine avec la conviction que la capitale m’attendait. Paris est le rêve de tous ceux qui n’y habitent pas. Chez Laurine, il y a de grands fauteuils blancs, un lit à baldaquin que nous partageons et puis ce lustre noir que j’adore regarder. Je fais tache, parmi toutes ces jolies choses. J’ose à peine marcher sur la moquette de peur de la salir. L’appartement est si accueillant qu’on ne sera pas dérangées par l’idée d’y passer nos journées, sans fiche le nez dehors. Il y a ce cours de théâtre à Oberkampf, je dois me renseigner mais cela peut attendre. Je bassine Laurine avec mes envies de tout voir, de tout visiter. La tour Eiffel, Montmartre, Disneyland, le Louvre… Et puis finalement, selon elle, il y a bien mieux à faire.
— Y a rien d’autre que des touristes dans ces coins-là, et tu sais, la Joconde c’était ni plus ni moins qu’une prostituée…
Après avoir avalé un petit rire discret, elle ajoute :
— Ma pauvre petite Hélène. J’ai bien plus moderne pour toi !
2

Nous fêtons mon arrivée dans un bar branché, à Beaubourg. Il n’y a ici pas grand-chose qui reflète l’idée que je me faisais de Paris, sinon les lumières et la taille phénoménale de la ville. Mais ça me plaît. Même cette odeur dans le métro qui porte à réflexion me plaît. Je ne réalise pas où je suis. Puisque mes baskets se sont posées sur le sol de la capitale, j’ai déjà réussi ma vie, quoi que je fasse : j’habite à PARIS . Lors d’un voyage scolaire à Londres, il y a deux ans, les Londoniens eux-mêmes n’en revenaient pas que nous soyons français. Ils disaient « What a chic » et « I love Paris » et « La vie en wose ». C’est de là que m’est venue l’idée d’atterrir ici, pour faire de mon quotidien quelque chose qui ressemble à un tissu de velours.
 
La Mutinerie est un bar tout ce qu’il y a de moins glamour. Les barmaids sont à des millé naires de Kate Moss mais elles ont cette classe différente et mondaine que jamais je n’aurais trouvée à Trapellun. La place Georges-Pompidou est peuplée de jeunes, assis à même le sol. Ils jouent de la guitare, chantent, dansent, jonglent, boivent ; et leurs rires de jeunes heureux résonnent dans tout Paris. Pendant que les lycéens de Trapellun comptent les heures sur la place du village, les Parisiens refont le monde et s’approprient les étoiles. Le bonheur est sacrément mal réparti. J’ai l’impression agréable d’être en vacances, comme ces étés dans le Sud quand on est gosse ; là où tout est si joyeux, presque irréel. Il y a un million de boutiques – ou peut-être plus encore –, des boutiques à touristes que je voudrais toutes dévaliser. Des vitrines où sont exposés des vêtements de seconde main qui brillent comme des sous neufs. Je me plais déjà ici. Tout me plaît. Tout me ressemble. Je me demande si moi aussi je pourrais t

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