Les Carnets du secret
188 pages
Français

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Les Carnets du secret , livre ebook

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Description

Marthe traverse son quotidien, jalonné de rares repères qui ne parviennent pas à l'ancrer dans la réalité de sa vieillesse. Le passé l'a empoignée et s'efforce de la ramener vers une vie ancienne dont elle a perdu tout souvenir... La relecture des carnets dans lesquels elle a jadis transcrit ses rêves ne lui apprend rien, mais la plonge dans une mer d'angoisses. Amnésie ou déni ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 avril 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414336227
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Emma LOUIS
Les Carnets du secret
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Chapitre 1
La vieille dame est contente. Cette plante verte toute desséchée, dont elle a coupé les tiges sans pitié, pointe un entortillement vert tendre pour signifier son envie de vivre. Elle n’aime pas voir mourir les plantes. Elle déteste qu’on abatte les arbres. Tous actes lui rappelant sa propre fin dont elle ne doute pas de l’imminence. – « Tu vas me survivre, peut-être ! » lance-t-elle à l’adresse du caoutchouc miraculé. La semaine dernière, son chat l’a quittée, à l’âge de 19 ans. Il avait dû épuiser ses sept vies. Arroser la plante ? Ne pas l’arroser ? Elle n’a jamais su situer le juste milieu. De milieu, elle n’en a plus depuis qu’elle est à la retraite. Sa solitude est nécessairement extrême puisqu’elle a toujours vécu dans l’excès. Excès de passion, excès de boisson A
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présent, en forme d’autopunition, le vide est devenu son seul repère, son seul repaire. Il y a bien les papotages trois fois par semaine, au salon de thé, qui fait également office de bar. Heureusement, car elle ne boit que de la bière. Ses comparses, d’anciennes collègues, confites en orthodoxie, l’encouragent dans son excentricité qui les conforte elles-mêmes dans la quiétude de leur petite vie. Lorsqu’elle n’a pas rendez-vous avec elles, son unique sortie la conduit, après un passage obligé à la supérette du quartier, dans un bistrot dont elle est devenue la mascotte, malgré sa discrétion, ou peut-être grâce à elle. Grâce à son sourire qui témoigne de sa reconnaissance, à la bière, au patron, au serveur… Sa fidélité n’est-elle pas le gage de sa pérennité ? Elle aime l’étonnement respectueux des autres clients qui s’interrogent sur son degré de notoriété. On l’appelle par son prénom, sans aucune familiarité. C’est le seul lieu où il ne lui est pas imposé de parler pour dissimuler son étrangeté. Nul besoin de se confier pour se faire accepter.
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Mais est-on véritablement soi-même dans la solitude de son appartement ? Elle songe à reprendre un chat. Le seul être autorisé à entendre sa voix, en ce lieu de réclusion. Elle a bien tenté de parler à la plante, mais celle-ci a failli en mourir. L’arroser, ne pas l’arroser ? Elle lui concède un demi-verre d’eau. Elle ouvre la fenêtre. Un peu d’air, comme un semblant de souffle de vie. Des jeunes, éméchés, braillent une chanson à la mode. Ses oreilles souffrent de la violence de cette agression. Elle est donc toujours en vie.
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Chapitre 2
Elle ne se souvient plus de son rêve de la nuit précédente, ni de ceux des autres nuits. Depuis longtemps un pan de sa vie lui échappe. Sitôt qu’une image s’esquisse à l’horizon de ses souvenirs, elle tente de la retenir, mais telle une bulle de savon, elle explose, brouillant tout itinéraire vers son élucidation. Naguère ses nuits lui racontaient des histoires, rocambolesques, magnifiquement horribles, énigmatiques, dans les moindres détails. Elles pimentaient la fadeur de certaines de ses journées. Mais il y avait aussi d’autres fictions, mauvaises copies de la réalité, et dont elle interrogeait en vain les simulacres. Cette fois, la courte période d’inconscience, intermède concédé par l’insomnie, lui a laissé la lourde sensation d’un ressenti coupable inscrit dans les égarements de sa jeunesse. Mais
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elle triture en vain sa mémoire, pas la moindre image de son voyage nocturne. Il est 4 heures trente. Elle allume la télévision avant de se préparer un café. Elle souffle dans sa main qui lui renvoie l’odeur amère de son haleine. J’ai trop bu de bière, se reproche-t-elle. Au menu d’Arte, un énième documentaire sur les espèces en voie de disparition… Du déjà vu. Sa pensée ondoie au gré des puissants remous de l’océan. Les baleines à bosse devant lesquelles elle s’est maintes fois extasiée grâce au petit écran, ne l’intéressent pas aujourd’hui, tandis qu’elle s’aventure dans le labyrinthe de ses obsessions. Elle en est sûre, elle a fait un ou plusieurs cauchemars cette nuit. Trois, si elle en juge par le nombre de réveils brutaux et salvateurs tout-à – la fois qui lui en ont épargné la funeste conclusion. Pourquoi ne les a-t-elle pas notés alors ? Chaque matin, comme au sortir du tombeau, son esprit en lambeaux peine à se reconstituer. On sonne à la porte. Il est 10 heures. Elle n’a pas bougé du canapé, ne s’est pas apprêtée. Et, de toute façon, elle n’ouvre jamais à personne.
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Elle s’approche sans bruit du judas. C’est Lucie, un membre de leur trio de rombières, qui tente sa chance. Cette dernière a déjà insisté plusieurs fois pour lui rendre visite, dans le but de découvrir son appartement. Mais le désordre, quoique léger, la choquerait, sans nul doute, et elle ne manquerait pas de passer un doigt sur les meubles, poussiéreux, bien entendu… La vieille dame retourne à sa télévision. La dernière fois que quelqu’un a pénétré dans son appartement, c’était… Elle ne sait plus.
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Chapitre 3
Elle a une idée très claire de ce qui l’attend cet après-midi au Salon de Thé. Lucie va l’interroger, avec un sourire plein de sous-entendus, pincé par l’acrimonie. : – « Alors, Marthe, on n’ouvre pas aux copines ? » – « Désolée, j’étais dans mon bain ! » – « Je sais que tu étais là car ta fenêtre était ouverte ! » Sous prétexte d’une course à faire dans son quartier, elle avait voulu forcer l’intimité de cette sauvage beaucoup trop discrète à son goût. Germaine s’immisce opportunément dans la conversation pour évoquer la visite de sa fille et de ses petits – enfants. Le sujet favori de Lucie qui renchérit sur la beauté, l’intelligence et le reste à l’avenant, des siens, tous traits qui
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caractérisent nécessairement leurs lignées respectives. Marthe n’a pas eu d’enfant. Son mariage n’a duré que six mois, huit peut-être. Les deux vieilles pies, plus âgées qu’elle, ainsi qu’elle ne se prive pas de se le répéter, non sans délectation, s’appesantissent sur leurs extases familiales, dans le but inavoué de stigmatiser la solitude irréductible de cette femme aux airs supérieurs.
D’ordinaire, elle commande une seconde bière, sous le regard faussement complice de ses partenaires. Mais, aujourd’hui, leurs jacassements brouillent les ondes vacillantes échappées de sa nuit, et auxquelles elle ne veut pas échapper. Car elles ont quelque chose à lui dire. Prétextant un rendez-vous, elle les quitte, à leur grand soulagement, lui semble-t-il. Elle se rend dans son bistro, lequel, par bonheur, se trouve à l’écart de leur chemin de retour. Peine perdue, car son cauchemar s’est désagrégé à jamais. Elle se consacre désormais à la dégustation de sa bière qui distille en elle la
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