Les Années dérobées
208 pages
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Les Années dérobées , livre ebook

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Description

« Beaucoup moins évasif le toubib cette fois, mais ne dit-il pas cela pour t’encourager ? Quand même, trois ans, ça paraît une éternité quand on a dix-sept ans : ça te mène à vingt ans et on t’aura donc dérobé trois des plus belles années de ta jeunesse. Dur à avaler. Tu lui as promis et tu t’es promis à toi-même de te battre, de ne pas te laisser aller au découragement, de te persuader qu’il te reste toute une existence après dix-sept ans, mais tu sais au fond de toi-même qu’il faudra des signes, des manifestations évidentes d’une amélioration de ton état pour que tu remontes la pente, que tu ne te laisses pas gagner par la déprime et que tu puisses sentir, croire que la vie peut encore être belle, digne d’être vécue. C’est dur, ça le sera. Prépare-toi, mon p’tit gars ! »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 avril 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342003833
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0071€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Années dérobées
Hubert Gervais
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Les Années dérobées
 
 
 
À Micheline, mon épouse trop tôt disparue.
À mes petits-enfants Killian, Mei Ly et Somai.
 
 
 
 
«Les maladies du cœur, aussi bien que celles du corps, viennent à cheval et en poste, mais elles s’en vont à pied et au petit pas. »
Saint François de Sales
 
 
 
 
Remerciements
 
 
 
Un grand merci à mon ami Christian Cuzacq pour sa relecture attentive, ses remarques pertinentes et les précisions apportées pour compenser mes trous de mémoire.
 
Un autre grand merci à Thierry pour son aide informatique efficace.
 
 
 
 
Le choc
 
 
 
Printemps 1955
Quand tu es élève de première, interne au lycée, que tu t’apprêtes à passer ton premier bac sans anticiper trop de problèmes, que tu es jeune, fringant, que tu as une petite amie, pas de soucis majeurs, que tu trouves du bleu dans le ciel même quand il est gris, que tu es heureux de vivre, c’est une baffe en pleine gueule, un coup de pied au bas-ventre, un coup de poing dans le plexus, un sale coup du destin, un ciel qui te tombe sur la tronche. Tu commences à te poser des tas de questions, ton cerveau fonctionne en accéléré, ton moral tombe dans tes chaussettes, tu n’es plus toi-même, tu te demandes comment c’est possible et tu te pinces très fort pour vérifier que tu existes. Pourquoi toi ? Tu ne mérites pas ça, c’est injuste, inhumain, l’ado fauché en pleine jeunesse, le passé révolu, l’avenir en lambeaux, le présent invivable. Ça commence banalement par un rhume, ça se poursuit par une bronchite, tu tousses un peu, tu n’y fais pas gaffe, tu poursuis ton chemin, tu n’es pas très en forme mais tu ne te plains pas. Ça passera comme c’est venu, vite, subrepticement. Mais non. Tu tousses un peu plus, tu craches et tu transpires la nuit. Tu vas à l’infirmerie du bahut où on ne te soigne pas, tu traînes encore un peu, puis un jour, trop fatigué, tu l’écris à tes parents qui viennent te chercher, t’arrachent à l’internat, te ramènent à la maison, pas plus inquiets que ça pour le moment. Ouf ! C’est déjà mieux d’être chez soi, dans sa maison, dans son lit, dans ses pantoufles. Vient le médecin de famille, qui t’ausculte, te tape sur la poitrine, utilise son stéthoscope, te fait dire 33, te questionne comme un flic et finalement hoche la tête en disant :
—  Je n’aime pas ça, je voudrais qu’on l’emmène voir un phtisiologue, un spécialiste des poumons.
Tu fais trente-cinq bornes en voiture pour aller voir le pneumololo-phtisiologue en question. Tu retournes donc dans la ville où se trouve ton bahut. Bis repetita  ; il t’ausculte, te soumet à un interrogatoire en règle et dit :
— Hum, je n’aime pas ça. (Lui non plus !) Voyons ce que donne la radioscopie.
Il te positionne contre la plaque froide. Bon Dieu, ce qu’il peut faire froid chez ce toubib. Un pneumologue, qu’on dit. Tu parles, on caille tellement que ses clients doivent attraper la crève dans son cabinet et aggraver leur cas. Il prend son temps, regarde en haut, en bas, à gauche, à droite, te repositionne sur le côté gauche, sur le côté droit, te place sur le ventre, de nouveau la face contre la plaque froide. Il soupire, grommelle et ne veut plus en finir. Tu ne sais pas pourquoi, tu as l’impression d’être un ver de vase qu’on fixe à un hameçon quand on va pêcher le lieu sur la côte au bouchon coulissant et cette pensée te fait presque rire. Tu continues à tousser et le pneumologue veut même voir ce que tu craches.
— Non, vraiment, je n’aime pas ça, redit-il.
Tu finis par t’inquiéter, Tu n’en mènes pas large, mais il fait durer le suspense. Il en a enfin fini avec la radio. Il s’assoit sur son siège en cuir, derrière son bureau en désordre et s’exprime lentement, gravement, solennellement avec un air de circonstance. Il s’adresse aux parents :
— Madame, monsieur, je n’ai pas de bonnes nouvelles. Votre fils est manifestement atteint de tuberculose pulmonaire, atteinte sous-claviculaire droite, excavée selon toute probabilité. C’est très sérieux.
Ta mère se mord les lèvres, durement touchée manifestement, bien qu’elle s’efforce de n’en rien laisser paraître. Ton père reste bouche bée, atteint lui aussi, même s’il parvient à maîtriser ses émotions. Toi, tu encaisses la claque et les larmes te montent aux yeux.
— Vous êtes sûr, docteur ?
— J’aurais souhaité vous annoncer une meilleure nouvelle ; il n’y a malheureusement pas l’ombre d’un doute. Mais dites-moi, ce jeune homme n’avait-il pas viré sa cuti ?
— C’est ce qu’on nous a dit au lycée.
— Hum, encore une mauvaise lecture. Il a certainement contracté la maladie par quelqu’un qui crachait des BK, des bacilles de Koch. Et il est passé par une primo-infection que personne n’a repérée ?
— Pas au lycée, en tout cas, c’est notre médecin de famille qui nous a adressés à vous après avoir examiné notre fils.
Tu écoutes en silence, la gorge serrée et tu continues à tousser. Dehors, l’orage gronde.
— Et alors, l’avenir c’est quoi ? Le sanatorium, je suppose ?
Ta mère suppose bien.
— Il existe une structure pour lycéens atteints de tuberculose. Il faudra faire une demande. Cela passera d’abord par un séjour en pré-cure, comme on dit. Pour le traitement, rassurez-vous, on a fait beaucoup de progrès : PAS (acide para-aminosalicylique) et streptomycine donnent de bons résultats. Je vais vous donner l’adresse des services auxquels vous devez vous adresser. Je fais un mot à mon collègue généraliste pour que vous commenciez immédiatement le traitement chez vous, le temps que votre demande soit agréée. Il suffit d’une infirmière qui se déplace pour l’injection de strepto, le PAS se prend par voie buccale.
Il s’arrête pour rédiger le mot et chercher les adresses adéquates. Un silence gêné s’établit du côté des parents qui n’osent même plus te regarder. Tu gamberges en essayant de penser à ce que le futur te réserve. Dans un premier temps, tu seras à la maison, c’est déjà ça, ensuite tu imagines avec inquiétude un séjour dans un milieu sûrement moins hospitalier que son nom l’indique, mais c’est flou ; comment visualiser ce que tu ne connais pas ? Tu sens ton estomac se contracter : la trouille, à n’en pas douter.
— C’est où, la pré-cure et le sana pour lycéens ?
L’inquiétude est perceptible dans la voix de ta mère.
— La pré-cure, ça peut être à Paris et il y a d’autres établissements en province. Le Sanatorium des Lycéens se trouve en Seine-et-Marne, pas loin de Paris, dans la Brie, un établissement tout neuf, situé à Neufmoutiers-en-Brie très exactement.
— En Seine-et-Marne ?
Cette fois, c’est ton père qui s’inquiète.
— C’est cela. Oui, je sais, ce n’est pas la porte à côté, mais c’est le seul établissement adapté au cas de votre fils.
— C’est quand même loin.
Ça tracasse visiblement ton paternel, qui aimerait mieux que ce fût plus près, évidemment.
— C’est vrai, monsieur ; je crois cependant qu’il faut en passer par là. Il en va de la réussite du traitement. J’ai reçu de très bons échos de cet établissement.
Le toubib se montre rassurant.
— Voilà, tenez-moi au courant de l’avancée de vos démarches et s’il y a le moindre problème, n’hésitez pas à me contacter. Bon courage, surtout à toi jeune homme, mais ne perds pas le moral, tout s’arrangera, il faut simplement un peu de temps et beaucoup de courage, comme je viens de le dire.
Propos lénifiants auxquels tu ne crois pas trop. Retour crispé en voiture. Silence pesant. Tu penses bien sûr à quelque chose qui n’a pas été évoqué dans le cabinet du toubib et que tu as bien en tête ; tes parents aussi, évidemment. Tu sais que ton grand-père maternel était atteint de tuberculose et qu’il en est mort. Bien sûr, on n’en a pas souvent parlé à la maison ou dans les réunions de famille ; sujet tabou. Et toi tu bous, tu bous. Tu essaies de te convaincre qu’à son époque, on ne savait pas traiter la maladie et que maintenant, comme l’a dit le toubib, on a fait beaucoup de progrès, on continue à progresser et on peut sans doute s’en sortir. N’empêche, le grand-père est bien parti de la caisse, pas du ciboulot, pas des tripes ou d’un traumatisme crânien, non il est mort de la maladie que tu as contractée et, que tu le veuilles ou non, tu n’es pas rassuré, tu imagines alternativement le pire et le meilleur, tu en as mal à la tête entre deux quintes de toux. Tu ne dis rien, tu te tasses sur le siège arrière de la traction et tu fermes les yeux pour ne pas voir le paysage défiler.
L’orage diminue, un timide soleil réapparaît. Tu ne l’apprécies pas. Chez toi, le lendemain ; retoubib, le médecin de famille cette fois. Il lit la lettre de son collègue, hoche la tête et dit :
— Mon pauvre gars, il va te falloir du courage (décidément le mot favori des toubibs). Bon, tu vas commencer ton traitement. Tu vas prendre du PAS effervescent par voie buccale ; pas terrible pour l’estomac mais on n’a pas le choix. Il faut en passer par là. Tu vas rester au lit le plus possible. On va aussi faire une analyse de tes crachats et dès demain, tu auras la visite de mademoiselle Durand, l’infirmière qui te fera d’abord une prise de sang pour formule sanguine et vitesse de sédimentation, et tu devras subir une piqûre de strepto par jour. Vous faites la demande pour une place en pré-cure, immédiatement. Est-ce que tu fumes, mon garçon ?
Là, tu commences à avoir envie de l’envoyer balader. Tu réponds, et c’est vrai, que tu fumes une Gitane de temps en temps, tes parents le savent d’ailleurs, et ta mère, qui descend un paquet de Week-End

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