Les Âmes perdues
272 pages
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Les Âmes perdues , livre ebook

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Description

Cela fait trente ans, depuis qu'il est décédé dans un accident de voiture, que Nerman est observateur. Son rôle : repérer les êtres humains en souffrance et éviter qu'ils ne deviennent des âmes perdues. Nerman pense que son existence a été insignifiante, tout comme sa mort. Transparent... Surtout aux yeux de Garance, dont il est amoureux depuis trois décennies. Frustré, animé par un désir de vengeance, désirant prouver à son employeur qu'il existe, il va choisir d'intervenir dans l'existence d'Inès. Inès va alors perdre le contrôle de sa propre vie. Et Nerman, le contrôle de son intervention. Car Inès est devenue la pièce maîtresse d'un conflit qui les dépasse...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 avril 2019
Nombre de lectures 3
EAN13 9782414335954
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mélina Cavret
Les Âmes perdues
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I.
Chapitre 1
L’homme marche vite. N’importe quel passant l’eut croisé en ce petit matin froid et brumeux de début de printemps n’eut pas vu grand chose de lui : juste une longue parka couleur taupe qui recouvre les trois quarts de son corps et deux yeux coincés entre une écharpe élimée et un feutre un peu désuet. Il regarde sa montre, il est en retard. Il accélère le pas. Le bureau est tout proche. La rue est déserte. Juste le bruit de ses souliers. Le rythme de son pas cadencé. Il remonte le boulevard de la Madeleine au pas de course et s’engouffre dans un petit café situé à l’angle de l’avenue de l’Hôtel Dieu. Une sonnette retentit pour prévenir de son intrusion. Le café est à l’image de la cité nantaise. Pas âme qui vive. Quelques tables imitation marbre, des chaises dépareillées, une ou deux banquettes, des tabourets haut perchés, un comptoir interminable et un homme, posé derrière le comptoir, devant une avalanche de bouteilles, qui astique méticuleusement un verre. Peau mate, cheveux et yeux sombres, la
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cinquantaine, l’air hispanique. L’air seulement, Marc est originaire du Loir et Cher, indiscrétion volée à la dernière fête de Noël du personnel. Il semble reconnaître l’intrus car un large sourire dévoile à présent une rangée de dents parfaitement alignées. – « Bonjour, Monsieur Nerman. » Trente ans qu’il lui sert du « Monsieur » Nerman. – « Bonjour, Marc. » D’aussi loin qu’il s’en souvienne, tout du moins depuis qu’il travaille ici, Nerman a toujours vu Marc à la même place effectuant la même tâche et lui servant la même soupe. – « Prêt pour une nouvelle journée au paradis, Monsieur Nerman » – « Toujours prêt Marc, toujours prêt. » Un subtil signe de tête. Nerman a l’autorisation du maître des lieux : il se dirige vers les portes battantes situées à gauche du comptoir et se retrouve alors dans un couloir étroit faiblement éclairé. Au fond du couloir, une porte. Il l’ouvre et à tâtons cherche l’interrupteur. La pièce qu’il éclaire est grande, beaucoup plus fraîche, sans fenêtre, avec d’épais murs de pierre. Nerman referme la porte derrière lui. Des caisses de toute dimension se sont emparées de la pièce. Elles ne tolèrent que de rares espaces qui garantissent pour tout bon contortionniste l’accès à l’ascenceur situé au fonds de la réserve. Nerman s’apprête à appuyer sur le bouton du premier sous sol quand il entend des bruits de pas et des éclats de voix. La porte de la réserve s’ouvre laissant passer deux de ses collègues. Deux hommes vêtus en costume, des allures de banquiers, d’assureurs ou pire de comptables ou d’agents immobiliers. Le plus jeune, un roux, tout rond, un visage
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rond derrière des ronds de rousseur, des yeux ronds derrière des lunettes rondes, salue Nerman. – « Eh, bonjour Nerman, comment ça va ce matin ? » – « Bonjour Dimitri. Bonjour Victorien. Ça va bien. Et toi ? » Nerman retient poliment les portes de l’ascenseur pour laisser entrer ses collègues. Poignées de main cordiales. L’ascenseur est étroit. Dimitri soupire, se cale dans le fonds, imité par Victorien. Nerman tel le groom d’un hôtel de luxe se poste devant eux et actionne le bouton qui les mènera au premier sous sol. Les portes se referment et dans un léger bruissement, l’ascenseur entame sa longue descente. – « Très bien, j’ai une de ces pêches. On t’a pas vu hier soir au match. On a été excellent. Marquer deux buts ». – « Mmh, bien », commente Nerman. Dimitri continue de lui narrer ses exploits de footballeur amateur mais en réalité Nerman a déjà décroché. Dimitri n’est pas méchant voire même il peut être classé, si elle existe, dans la catégorie des êtres tout en rondeur, roux et gentils. Il est juste inintéressant. Dimitri est une jeune recrue. Il travaille avec eux depuis cinq ans. Et Nerman s’est assez vite rendu compte de son handicap. Ainsi, lors des pauses café, lorsque Dimitri arrive et entame la conversation, il n’est pas rare qu’un phénomène bizarre frappe ses collègues : l’un va chercher du sucre, l’autre une cuillère, l’autre encore a oublié qu’il avait un truc urgent à faire à propos d’un machin qui ne peut pas attendre. Et telle une nuée de moineaux face à un rapace, ses collègues se dispersent laissant le pauvre Dimitri pourtant tout sourire aller halpaguer un autre groupe bientôt également contaminé. L’ascenseur est alors pour
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lui un espace béni des Dieux : un espace clos dont ses victimes ne peuvent s’échapper. Ultime solution de repli : Nerman se lance dans une étude attentive et minutieuse de ses chaussures qui l’absorbe à un tel point que son seul moyen de communiquer se résume bientôt à émettre des grognements et/ou des onomatopées. Ses chaussures : deux pauvres choses usées et fatiguées. Triste constat d’un laisser aller qui déprime soudain Nerman. Prends donc exemple sur Victorien, est ce qu’il se laisse aller, lui ? Le jugement est terrible et sans appel. Non, Victorien ne se laisse pas aller. Victorien est l’antithèse de Dimitri et de Nerman. Victorien incarne l’attraction. Les hommes le trouvent sympathique, les femmes le trouvent sympathique et beau et gentil et adorable (une vraie crème se pâment elles). Oui, une crème aux solides souliers italiens parfaitement entretenus, au pantalon ajusté au millimètre près, à la veste cintrée, aux chemises impeccables. Un dessert appétissant ! Un gâteau qui a fière allure et qui résiste à l’épreuve ultime du retrait du film plastique qui a pour vocation d’emprisonner la crème pâtissière entre la génoise et le coulis de fruits rouges ! Nerman lui était un des ces fraisiers qui s’avachissent. Qu’on enlève le film plastique et il se répand dans l’assiette en moins de deux. Des pantalons qui refusent de s’ajuster correctement, des vestes qui se froissent, des chemises informes. Un fraisier raté : sans doute bon, mais dont personne ne veut car victime de son aspect peu appétissant.
Un tintement feutré, l’ascenseur est arrivé à destination. Les portes s’ouvrent, Nerman se sent comme l’évadé jamais officiellement reconnu d’Alcatraz.
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– « Et là, je vous jure les gars, j’ai bondi et je l’ai arrêté avec le thorax. Ça m’a bien coupé le souffle pendant 2 à 3 minutes, mais ça nous a évité l’égalisation. » Jerry s’avance vers eux, interrompant ainsi le monologue footballistique de Dimitri. – « Bonjour, Messieurs. Prêts pour une nouvelle journée au paradis ? » – « Bonjour Jerry. Prêts, toujours prêts ». Jerry est agent de sécurité et à ce titre, il s’empare des attachés-cases de Victorien et de Dimitri et du sac qui pend, agonisant, à l’épaule de Nerman et les fait passer sous une espèce de portique. Impudiques, les contenants exposent leur contenu sur l’écran. L’attirail des hommes de bureau : dossiers papier, crayons, post-it, barre chocolatée pour Victorien. Et en plus, il s’empiffre, songe Nerman, non sans un pincement de jalousie, attribué traditionnellement à la gente féminine. Les trois hommes passent eux mêmes sous un portique qui n’émet aucune objection. Rien n’éveille donc l’attention de Jerry qui leur rend leurs affaires non sans leur souhaiter une bonne journée. – « Le patron est d’humeur printanière, » fait remarquer Victorien. Tout le long du couloir, de grandes baies vitrées permettent d’admirer le soleil qui se reflète sur les toits encore couverts de givre matinal. Les premiers bourgeons pointent timidement. Des envolées d’oiseaux rendus hystériques par la fin de l’hiver complètent ce décor de carte postale. Dimitri rayonne, un soleil tout rond et roux. Première étape : le bureau de l’intendance, siège de la reine Josie. Josie, un petit bout de femme qui fête ses quarante ans
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depuis dix ans, des cheveux courts restés châtains grâce à des colorations haut de gamme et régulières. Seul artifice toléré chez cette femme adepte du naturel dans son apparence comme dans son attitude. – « Salut les garçons ! » – « Salut Josie, du travail ce matin ? » se renseigne aimablement Nerman. Josie a en effet du travail. Plusieurs interventions doivent avoir lieu aujourd’hui. La journée promet d’être chargée et sa nouvelle stagiaire « n’est pas une flèche ». – « Pas plus dégourdie qu’une moule hors de l’eau ». La moule en question arrive alors, les bras chargés d’une caisse qui fait quasiment la moitié de sa taille et l’oblige à avancer en zig-zag contrainte de faire de nombreux arrêts pour lancer des coups d’œil sur le côté afin de détecter d’éventuels obstacles. – « Dépêche toi. Pose la caisse sur la table. Non, sur le bureau. Non, plutôt par terre. » La pauvre stagiaire tourne, vire comme un bouchon à la surface de l’eau harponné par un poisson. En sueur, elle dépose enfin son fardeau et réajustant ses lunettes, luttant pour discipliner ses cheveux rendus fous par l’effort, leur décoche un sourire forcé, rosissant légèrement à la vue du fraisier appétissant. Deuxième étape : le bureau de la maintenance informatique. Des gars un peu étranges, tout calmes, maîtres d’un monde inconnu ! Nerman avait connu ce bureau avant l’avènement de l’informatique et d’internet au début des années 80 quand les téléphones portables pesaient un demi kilo et ne servaient qu’à téléphoner. Quand les objets étaient simples ainsi que les façons de les
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nommer : un autoradio (écouter de la musique dans une auto), un balladeur (écouter de la musique en se balladant), un téléphone portable (téléphoner avec un téléphone qui se porte). Nerman s’avouait à présent perdu, largué, décalé depuis que la planète s’était googleisée et qu’un monde inconnu avait éclos. On parlait de black berry (un fruit qui sert à téléphoner ?), de fishing (quoi, des techniques de pêche ?). Les choses se complexifiaient et les façons de les nommer ne permettaient plus d’en identifier les caractéristiques. Alors, pour lui, ce bureau de maintenance informatique abritait les détenteurs des clés d’un monde magique et inconnu. Il faisait appel à eux quand il s’agissait de partager son agenda, de lever ou non son pouce sur facebook ou encore de devenir l’ami d’un ami (personne que tu ne croises jamais mais qui te montre les derniers maccarons qu’elle a préparés entre 9 h 30 et 9 h 45 avant de rejoindre sa tribu d’amour qu’elle adore et de se faire photographier hésitant entre un pain au son et un pain au maïs au rayon boulangerie du supermarché du coin). Le bureau de la sécurité se trouve juste après celui de l’informatique. Aucun étranger ne doit rentrer dans les bureaux. C’est la règle. En trente ans, Nerman n’a jamais vu d’intrusion, du moins aux sous sols. La caisse du bar avait déjà été volée plusieurs fois, au grand désespoir de Marc. Mais les sous sols étaient restés inviolés. Pourtant à écouter Jérémy, le chef de la sécurité, sa vie était en jeu chaque minute comme s’il se trouvait en pleine zone de combat en Afganisthan. – « Salut les gars. Comment vont ce matin ces ptits planqués d’observateurs ? » Pour Jérémy, tous ceux qui n’étaient pas soit à la
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sécurité soit dans les brigades d’intervention étaient des planqués. Des suces-vieds comme il disait en se frappant de ses doigts boudinets son gros ventre. Une énorme panse entretenue à coup d’alcool et de bouffe grasse et qui avait poussé au fil des ans. Nerman ne l’aimait pas. Il ne comprenait pas pourquoi le patron l’avait recruté. – « Alors, Nerman, bientôt la consécration ? » Nerman rougit. – « Oh, vous savez je ne fais que mon travail et pour le reste, on verra. » – « Ouais, c’est ça. A d’autres. Depuis le temps que tu turbines dans cette boîte, tu vas pas me dire que ça te plairait pas d’avoir ta propre petite troupe. Diriger une cellule Z qui te servirait du « oui, monsieur » au petit déjeuner, te garagariser le gosier avec du « merci, monsieur », c’est pas un truc qui te plairait ? Ça fait un moment que t’uses le fonds de ton falzar sur ta chaise de planqué, raide comme un piquet, à jouer le cure-dent obéissant, non ?… » – « oui, trente ans » – « Trente ans ! A la bonne heure ! Alors si t’es pas le prochain, c’est vraiment que le boss a quelque chose contre toi, tu crois pas ? » – « Non, je ne pense pas. Ces choix sont justes et non pas à être discutés. » La preuve, pense Nerman, il a bien recruté un espèce de poulpe ventripotent comme toi. Mais, en réalité, Nerman doute. Une partie de lui a peur que l’invertébré décérébré qui se tient devant lui ne dise juste. Nerman veut cette promotion. Nerman veut réussir, gérer des interventions et superviser des agents des cellules Z. Des agents sur entraînés, rompus à toute sorte d’intervention.
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