Le Sexe des étoiles , livre ebook

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Au début, ils sont trois : une recherchiste qui cherche l’homme nouveau sans trop y croire, un écrivain en panne affligé d’impuissance chronique et une fillette brillante que l’astronomie passionne. Ils ne se connaissent pas; ils évoluent, chacun dans son petit univers tourmenté, en essayant le plus possible de rescaper de l’existence des débris de bonheur. Survient dans leur vie Marie-Pierre, transsexuelle. Rien ne sera plus jamais pareil après que Marie-Pierre, en catimini, leur aura légué cette interrogation brillante : « Au-delà des apparentes protubérances, qu’est-ce qui fait donc que l’on est un homme ou une femme ? »
Depuis maintenant presque quatre ans, Marie-Pierre se butait à l’hostilité de cette vaste confrérie en uniforme dont elle n’avait jamais perçu, avant, l’omniprésent pouvoir ombrageux : les Cravates étaient partout, dans les universités, les laboratoires, les compagnies où l’on refusait de l’engager, dans les ministères où l’on manipulait son dossier avec un arrogant dégoût, dans les médias où l’on se gaussait de son existence, jamais sans doute ne serait-elle absoute d’avoir osé quitter leurs rangs pour rejoindre l’arrière-garde des faiblardes et subalternes femelles.
Depuis maintenant quatre ans, Marie-Pierre tentait d’obtenir que l’on modifie dans son dossier cette lettre M qui l’identifiait au sexe mâle et qui, se perpétuant sur toutes ses cartes officielles, lui occasionnait des déboires innombrables. Une lettre à changer, en somme, l’espace d’une frappe dactylographique, le temps d’un battement de cils de la secrétaire préposée au traitement de texte, pour tout dire rien, ou si peu de chose.
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Publié par

Date de parution

21 août 2015

Nombre de lectures

22

EAN13

9782764430057

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

5 Mo

« L’humour sans quartier de Monique Proulx a cette qualité de savoir montrer que la réalité la plus plausible est la plus farfelue. Que ce que nous préférons fantasmer comme réalité convenue ne tient pas à la face des étoiles. On dit que les meilleurs romans sont ceux qu’on souhaiterait avoir écrit soi-même et c’est exactement ce que je pense ! »
Jean-Roch Boivin, Lettres québécoises
« Monique Proulx avait fait la preuve qu’elle excellait dans le récit court. La construction nous fait glisser, à la fin de ses chapitres, sur des chutes dignes des meilleures nouvelles. »
[s. a.], Nuit blanche
« Le Sexe des étoiles est aussi roman initiatique, en ce sens qu’il raconte la quête de tous ses personnages, quête de ce qu’ils ont de plus important et de plus secret : leur identité. »
Jacques Saint-Pierre, Moebius

De la même auteure
Ce qu’il reste de moi , Boréal, 2015.
Les Aurores montréales , Boréal, 1996/2014.
Champagne , Boréal, 2008.
Le cœur est un muscle involontaire , Boréal, 2001/2004.
Sans cœur et sans reproche , Éditions Québec Amérique, 2002.
Homme invisible à la fenêtre , Boréal, 1993/2001.
Le Sexe des étoiles , Éditions Québec Amérique, 1987.

Conception : Julie Villemaire et Nathalie Caron
Mise en pages : Pige communication
Lecture de sûreté : Sabrina Raymond et Flore Boucher
En couverture : photographie de Zastolskiy Victor / shutterstock.com
Conversion en ePub : Marylène Plante-Germain

Québec Amérique
329, rue de la Commune Ouest, 3 e étage
Montréal (Québec) H2Y 2E1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Proulx, Monique
Le sexe des étoiles
Nouvelle édition.
(Nomades)
Édition originale : 1987.
ISBN 978-2-7644-2956-3 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-3004-0 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3005-7 (ePub)
I. Titre.
PS8581.R688S49 2015 C843’.54 C2015-941016-9 PS9581.R688S49 2015

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2015
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2015

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc., 2015.
quebec-amerique.com



Moi qui passe et qui meurs,
Je vous contemple étoiles ;
La terre n’étreint plus
l’enfant qu’elle a porté.
Debout, tout près des dieux,
dans la nuit aux cent voiles,
Je m’associe, infime, à
cette immensité,
Je goûte en vous voyant
ma part d’éternité
Ptolémée
(traduit par Marguerite Yourcenar)

1.
Voilà donc ce que l’on ressentait à faire souffrir les autres : une sorte d’ennui, somme toute confortable, composé de torpeur, de morosité et d’un gringalet fantôme de culpabilité – la culpabilité de n’en point éprouver, en fait –, mixture finalement bénigne qui n’empêchait pas Gaby d’apprécier la densité ocre de la lumière de ce midi d’automne, ni son estomac de borborygmer d’inanition, hélas.
Les choses se passaient mal.
Ils étaient attablés tous deux près de la fenêtre de la cuisine – quoique « attablé », en ce qui concernait René, constituât un euphémisme plus que douteux, écrasé sur lui-même qu’il était, comme énucléé de sa propre colonne vertébrale… – et René sanglotait. Cela provenait vraisemblablement d’un de ses lobules pulmonaires, écorchait au passage son diaphragme ratatiné sous l’effort, remontait par saccades asthmatiques le long de sa trachée-artère et explosait enfin, geysers intarissables et gargouillants, par maintes ouvertures de sa tête ; cela durait depuis des heures et cela avait perdu, il faut bien le dire, de son initiale aptitude à émouvoir.
Gaby se contraignait néanmoins à ressentir quelques frémissements navrés ou, du moins, à en donner l’apparence. Après tout, elle avait longtemps aimé cet homme, avec une démesure névrotique qu’il ne lui avait jamais rendue, d’ailleurs, mais tant pis, le temps n’était plus à la plate comptabilité. Le temps était à la rupture, unilatéralement décrétée par Gaby, ce qui en compliquait le processus, même amorcé depuis un mois.
Et puis il y avait le fromage, troisième protagoniste non négligeable dans la cuisine, un gorgonzola parfaitement à point, nappé d’une humidité bleuâtre, moirée, odorante. Cette fermentation bactérienne voisinait en toute amitié sur la table avec un pain croûté que Gaby avait préalablement découpé en tranches dans l’espoir d’accommoder icelui avec l’autre, et vice-versa. Or, la chose, pour simple qu’elle parût, se montrait difficilement réalisable. On ne mange pas à côté de quelqu’un qui pleure : ça n’est guère poli, et c’est très certainement monstrueux. Et tandis que René, allégorie vivante de l’ontologique détresse humaine, se convulsait dans un désespoir sans borne, Gaby, elle, lançait des regards désolés au gorgonzola et se haïssait d’avoir faim – mais que peut-on contre la viscère lorsqu’elle est vide, et que Tantale était un pauvre homme.
Il y eut tout à coup accalmie lacrymale : le corps de René réintégra son espace longiligne coutumier, sa voix redevint parlante, ses yeux, presque secs. Gaby allongea la main vers le fromage.
— Je veux savoir son nom, éructa René.
— Le nom de qui ? fit stupidement Gaby, la main suspendue dans l’atmosphère.
— Prends pas ton p’tit air imbécile. Le gars avec qui tu couches.
Il n’y avait pas d’autre gars, personne, aucun motif extérieur à blâmer, rien qu’une très ordinaire petite mort amoureuse, celle qui germe inéluctablement dans l’âme de celui des partenaires qui depuis toujours se fait flouer par l’autre, « rien qu’une très banale insurrection de négresse, mon amour », lui avait-elle pourtant expliqué trente jours auparavant, déjà… Mais il ne la croyait pas, ne la croirait jamais, personne ne veut d’une vérité chétive qui n’a pas le panache des flamboyantes tromperies.
— Je vais le tuer. Lui d’abord, toi ensuite.
Et il recommença à pleurer, parce qu’il disait des choses ineptes qui n’arrivaient pas à soulager son désarroi. Pendant tout ce temps, la camionnette de Bertrand, frère mineur et très patient de René, attendait dehors, chargé de ses maigres effets personnels ; il vivait, en fait, agrippé à ses choses à elle depuis des années, comme une sorte de ténia. Bertrand klaxonna timidement. Gaby en profita pour soupirer : ce rôle de Gorgone tortionnaire lui devenait un fardeau, à la longue, il y avait là redondance, excès de masochisme et situation méchamment vaudevillesque. En outre, son estomac renâclait si fort qu’il enterrait les sanglots de René.
— Tu ferais mieux de t’en aller, dit-elle décisivement, exaspérée par la faim, et elle osa se beurrer une gigantesque tartine de gorgonzola, les yeux plissés par la luxure.
Cela eut un effet inespéré. René les couvrit un instant d’un œil sidéré, elle et sa tartine, puis il se leva doucement, replaça la chaise sous la table avec des délicatesses d’Oriental et se tint quelque temps penché au-dessus de Gaby comme pour l’étreindre – mouvement ô combien familier qui réveilla chez elle une vieille trémulation de tendresse. Elle tourna la tête vers lui pour l’embrasser, et c’est ce moment qu’il choisit pour lui expédier très adroitement au visage un crachat volumineux qui recouvrit la totalité de son œil et une partie de sa joue gauche. Puis, il quitta l’appartement. Gaby écouta, pétrifiée, les ronflotements de la camionnette décroître dans la rue. Après quoi, elle s’essuya le visage à même la nappe et avala les trois quarts du gorgonzola sans prendre la peine de l’étendre sur du pain.
***
Elle arriva en retard à CDKP, la station radiophonique la plus batifolante en ville, dixit le leitmotiv de la publicité. Mme Wagner, à l’entrée, momifiée dans sa cage de verre au-dessus de son exemplaire d’ Allô Police , la lippe inférieure flageolant d’émoi au gré de sa lecture sanguinolente, ne leva pas les yeux sur Gaby lorsque celle-ci passa en flèche dans le corridor en lui criant bonjour – elle ne saluait que les animateurs et les hommes cadres de la boîte qui, eux, ne lui accordaient guère plus d’intérêt qu’à une fiente de mulot. L’existence est ainsi faite, de sens uniques et de fourvoiements.
Les invités de Gaby l’attendaient dans le réduit qui servait de bureau aux recherchistes à tour de rôle et qui fleurait ferme le pipi de chat en rut assaisonné de Florient-rose-printanière, puisque c’est avec cette fragrance douloureusement inefficace que l’on tentait d’anéantir la première, imprégnée dans l’âme même des matériaux par le locataire précédent, un féroce félinophile selon toute apparence.
Les invités du jour étaient deux hommes, M. Cayouette et M. L’Heureux, gras tous les deux mais l’un beaucoup plus que l’autre, avec une cascade de chairs moutonnantes qui lui faisaient trois ou quatre tours de taille successifs au-dessus d’une unique ceinture.
— Bonjour, dit Gaby, pressée. Lequel de vous est M. Cayouette ?
— C’est moi, dit l’homme au quadruple abdomen, et il se dressa sur ses pieds avec une célérité surprenante.
— Pardon, objecta le moins gros, qui n’avait qu’un repli ventral, bien que confortable, mais j’étais là avant. L’Heureux. Guillaume L’Heureux.
Il se leva, plus lentement que l’autre.
— Peut-être, fit M. Cayouette avec un bon sourire. Mais la dame, c’est Cayouette qu’elle a demandé. Arthur Cayouette.
— Je suis arrivé une heure avant vous, ça fait u

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