Le pantin rêveur
258 pages
Français
258 pages
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Description

Je voulais bannir et mettre fin à toutes ces hypocrisies stéréotypées qui nous fragilisent et que l'on nous inculque dans notre enfance, à tous ces préjugés qui font de nous des êtres vides, incapables de prendre une initiative ou de nous assumer. Quelle solution ?

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Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2021
Nombre de lectures 4
EAN13 9789947630914
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LE PANTIN RÊVEUR© Bibliothèque Nationale d’Algérie, 2021
ISBN : 978-9947-63-091-4
Dépôt légal : août 2021
www.editions-dalimen.comSari El-Bahdja
LE PANTIN RÊVEURApprends à écrire tes blessures dans le sable.
Et à graver tes joies dans la pierre.
Lao
Souviens-toi, tout ce qui fait mal rend plus fort.
Beaucoup ne la supportent pas, mais un petit nombre de gens
grandissent dans la soufrance. Sois fort dans ton corps et
dans ton âme et apprends l’endurance.
Indira Gandhi
7À Bouba,
Qui m’a fait partager son histoire personnelle et ses silences
Mes remerciements à Mme Ait-Ouali Malika
pour ces encouragements
9Les yeux fermés, je me suis assoupie le temps
d’un rêve. Le silence de la nuit était propice à
accueillir dans ma tête une déferlante de souvenirs
qui me ramenaient immanquablement chez moi.
Déflaient alors derrière mes paupières le spectacle
insaisissable des cimes enneigées en hiver, les vertes
prairies de mon enfance où tous les animaux vivaient
en parfaite harmonie, tous nos paysages inondés
par le soleil sous un ciel bleu azur éblouissant, notre
hameau noyé dans le brouillard d’une éternelle
quiétude. J’aimais l’automne avec ses arbres colorés. Les
enfants se jetaient alors dans les énormes tas de
feuilles mortes amassées sur le bord de la route. La
vie s’écoulait comme dans un livre avec ses habitants
qui ressemblaient aussi à des personnages de roman.
Nul ne violait notre espace de paix. La moindre
personne étrangère à cet univers, même si elle n’était
que de passage, était vite repérée et surveillée de
près : qui est cet homme ? Avait-il l’habitude de
passer par là ? Chez qui allait-t-il ? Rien ne devait
perturber notre tranquillité. Force était de croire que
j’y avais laissé une grande part de moi-même. C’est
dans ce décor que je m’étais nourrie de tous ces rêves
juvéniles absurdes que l’on croit à portée de main et,
naïvement, je me suis laissée emporter par eux. Les
larmes inondent mes joues.
11 Racines
Quelques jours avant ma naissance, mon père
qui était en procès depuis de nombreuses années
avec un de nos voisins pour un lopin de terre qu’il lui
avait spolié, vit la fn de son calvaire : la justice avait
tranché : enfn le terrain lui appartenait. C’est
justement à cette période que je suis venue au monde et c’est
tout naturellement que l’on me prénomma Bouchra.
J’ai été à ce moment crucial de la vie de mes parents
un peu ce bechrit el kheir, c’est-à-dire ce papillon de
nuit qui présage la bonne nouvelle, la richesse… un
peu comme la patte de lapin sous d’autres cieux. A
la suite d’une mauvaise prononciation de Youcef
mon frère âgé alors de trois ans qui commençait tout
juste à parler, on me donna tout simplement le nom
de Bouba comme il l’avait décidé ; ce diminutif me
collait plutôt bien à la peau, puisque, aux dires de ma
famille, j’étais une petite flle afectueuse, turbulente
et toute en rondeur assortie d’un tempérament gai, et
a fni par être adopté par tout le monde, si bien que
13n’importe quel voisin questionné à mon sujet pouvait
dire : Bouchra ? Je ne sais pas qui c’est ! Ah, Bouba !
bien sûr que je la connais. Heureusement pour moi,
je n’avais pas hérité d’un de ces prénoms cadeau de
naissance dont la famille m’aurait afublé, en souvenir
d’une tante ou d’une aïeule décédée qui aurait obligé
mon entourage à me rebaptiser par la suite tant il
aurait paru obsolète !
Gratifée de ce prénom, on me regarda pendant de
longues années comme une vraie porteuse de chance
et de bonheur. Bien sûr, il n’était pas question d’usurper
la place de mon frère, premier né de la fratrie, consi -
déré dès sa naissance comme une bénédiction du ciel.
Néanmoins, chacun de nous a eu sa place dans le cœur
généreux de mes parents. Dans nos familles, et
particulièrement dans le monde rural, une descendance mâle
est précieuse car elle assure la continuité du patronyme
des aïeux voués ainsi à ne pas disparaitre de même
qu’elle assure aussi aux ainés des bras vaillants qui les
soulageront plus tard dans le travail si rude de la terre.
Il n’en restait pas moins que ma naissance ayant
coïncidé avec le règlement du litige qui empoisonnait
la vie de mon père, ma mère n’en démordait pas : j’étais
un porte-bonheur, leur porte bonheur.
Malheureusement cette conviction allait s’efriter
plus tard… en efet, alors que je n’aspirais qu’au
meilleur, j’ai incarné aux yeux des miens le
déshonneur. Sublimée pendant mes premières années, je suis
devenue maudite par la suite car rien ne s’est passé
comme je l’aurai voulu.
14Ma scolarité fut interrompue par mon père au
moment où les portes du collège s’ouvraient à moi,
et fut donc relativement courte. Je n’avais que douze
ans. J’acceptais malgré moi cette sentence. Je m’y étais
résignée presque naturellement et c’est ainsi que j’ai
été grossir le lot des autres flles de mon âge et partagé
le même sort. En efet, chez nous, le taux
d’alphabétisation des flles dans le passé était très bas comparé
à celui des garçons, dû soit aux us et coutumes en
vigueur dans chaque famille ou tout simplement à
l’éloignement des écoles et au manque de transport.
Etant très proche de mon père, lors de ma
dernière rentrée scolaire dont je me souviens encore,
j’avais osé une timide résistance auprès de lui pour le
convaincre de me laisser aller au collège :
« S’il te plaît, Papa, je voudrais étudier comme
mes frères !
— Tu ne peux pas, Bouba, eux se sont des
garçons !
— Et alors ?
— Alors, un garçon doit étudier pour avoir un
diplôme, puis il doit travailler, prendre en charge sa
famille ! C’est une obligation pour moi d’envoyer tes
frères à l’école pour qu’ils deviennent plus tard des
gens respectables !
— Et moi, je ne dois pas aussi étudier pour
devenir respectable ?
— Pas du tout ! Tu deviendras une femme
respectable comme ta mère en apprenant à tenir une
maison, et pour cela, tu n’as pas besoin de l’école ou
15d’un diplôme. En l’aidant dans les tâches ménagères,
ce sera elle qui te guidera pour devenir une bonne
mère et une bonne épouse !
— Mais moi, je veux étudier !
— La discussion est close, Bouba ! Même si je le
voulais, je n’ai pas les moyens de vous envoyer tous à
l’école ! Je ne veux plus entendre parler de ce sujet ! »
Lorsque mon père prenait ce ton, je savais qu’il
valait mieux ne pas insister. C’était sans appel. Je
compris la mort dans l’âme que dorénavant ma place
était à la maison et non sur les bancs de l’école, que
je devais mettre défnitivement en berne ma
curiosité et mon appétit d’apprendre. Adieu livres et
cahiers. Adieu cartable. Bonjour tristesse. Bonjour
les ténèbres.
Heureusement, les choses ont bien changé de
nos jours. L’école est gratuite et obligatoire pour
tous, sans discernement de sexe permettant aux
élèves qui le veulent, d’accéder ensuite à l’université
selon leur capacité et leur choix. Même les parents
analphabètes ont fni par comprendre que des études
solides bien menées pouvaient apporter la notoriété
et un confort social non négligeable aux familles
comme l’ont prouvé bon nombre de médecins,
d’ingénieurs et autres personnalités qui composent notre
société civile et militaire, natifs de certaines régions
déshéritées.
Cependant, nos anciens souvent illettrés
demeurent encore tributaires des plus jeunes pour
leur déchifrer une lettre ou un document
adminis16tratif, tout en sachant qu’ils ne sont pas à l’abri d’une
mauvaise interprétation car incapables de vérifer par
eux-mêmes la teneur de leur courrier.
Mes parents sont nés dans les pittoresques
montagnes qui surplombent la ville de Batna,
capitale historique de l’Est du pays, à quatre cent trente
kilomètres d’Alger. Caractérisée par son passé riche
en histoire, cette ville est connue pour avoir été de
tous temps le vivier de nombreux soulèvements
nationalistes dont le dernier en date conduira nos
ainés, guerriers intrépides, à déclencher le premier

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